CHAPITRE 6 L'EVEIL DE L'OMBRE
La porte heurta le mur dans un fracas sourd.
Mark entra en titubant.
Un corps blessé.
Un prédateur humilié.
La moitié de son visage n'était plus qu'un amas de chair boursouflée et noircie :
cloques éclatées, suie incrustée, peau brûlée qui tirait sur chaque nerf.
Il respirait avec un sifflement déchiré, chaque inspiration lui arrachait un rictus de douleur.
— JE VAIS LA RETROUVER ! beugla-t-il, la voix brisée.
JE VAIS LA TERMINER !
Dans son élan, il tenta de jeter un objet.
Son bras trembla.
La douleur lui coupa la force.
Le verre partit de travers et éclata lamentablement contre le mur.
Dans le fauteuil sculpté au centre de la pièce, Sélène leva enfin les yeux.
Elle n'eut pas un sursaut.
Pas un recul.
Rien.
Elle regardait Mark comme une mère regarde un enfant qui revient sale d'un jeu trop violent.
— Tu fais beaucoup de bruit, Mark... murmura-t-elle d'une voix douce.
Trop pour quelqu'un qui peut à peine tenir debout.
Mark grogna, s'appuyant une seconde contre la table pour rester droit.
— Elle m'a regardé comme si je n’étais RIEN... elle m'a BRÛLÉ ! Cette petite…
Le mot se brisa dans sa gorge.
La douleur était trop forte.
La honte encore pire.
Il voulut frapper la table.
Son bras se déroba sous le choc.
Les objets roulèrent au sol dans un vacillement pathétique.
Un sourire caressa les lèvres de Sélène.
— Oh... soupira-t-elle.
Elle t'a mis à nu, mon cœur.
Elle t'a vu comme tu es réellement.
Ça... pique un peu, hein ?
Un silence glissa dans la pièce.
Puis un bruit.
Léger.
Un glissement presque imperceptible au fond de la salle.
Un déplacement d'air.
Une ombre qui se décolle d'une autre.
Il était là.
Leary.
Silhouette haute, manteau sombre, couvre-chef embué d'ombre.
Aucun trait visible.
Aucune expression.
Simplement une présence si dense que l'air sembla se contracter autour de lui.
Mark se raidit immédiatement.
Son pied recula d'un millimètre malgré lui.
Sélène, elle, sourit différemment.
De la douceur.
De la fierté.
Une fierté déformée.
— Tu vois, Mark... lui, il n'a pas eu besoin de crier, dit-elle en jetant un regard tendre vers Leary.
Il entend les silences.
Il sent les intentions.
Il lit la peur... même quand elle ne bouge pas.
Mark cracha, brûlé par la jalousie.
— Ferme-la.
C'est pas parce que tu préfères TON JOUET que…
Un son sec coupa sa phrase.
Un souffle.
Un rire étouffé.
Leary riait.
Pas un vrai rire.
Un souffle amusé, glacé, presque inaudible... mais tellement humiliant.
Mark explosa :
— QU'EST-CE QUE T'AS À RIRE ?!
Leary pencha légèrement la tête.
Un geste lent, précis, presque élégant.
Puis sa voix tomba :
— Elle t'a échappé.
... et pas que ça.
Il laissa la phrase flotter une seconde.
Juste assez pour que Mark comprenne l'allusion brûlante.
Sélène émit un petit rire cristallin, presque enfantin.
— C'est vrai, dit-elle doucement.
Elle t'a laissé un souvenir... visible.
C'est presque poétique.
Mark s'étouffa de rage :
— Je te jure que je vais—
— Non, coupa Leary.
Tu ne feras rien.
Il s'avança d'un pas.
Un seul.
Suffisant pour faire reculer Mark d'un demi-mètre.
La douleur arracha un souffle à Mark, un sifflement qui vibra dans sa gorge.
Leary le jaugea un instant, silencieux.
Puis, calmement :
— Tu es trop bruyant.
On entend tes intentions avant même que tu ouvres la bouche.
C'est lassant.
Mark serra les dents, tremblant.
Leary inclina légèrement la tête.
— C'est rare qu'une proie improvise mieux que toi.
Ça me plaît, balança Leary.
Sélène se mit à rire doucement.
Un rire léger, presque musical.
— C'est vrai, mon cœur... Tu vibres tellement que même elle a senti ton geste avant qu'il n'arrive.
Tu t'éparpilles.
Tu te fissures.
Tu... dégoulines.
Mark voulut lever le bras.
Son épaule craqua sous la douleur.
Il retomba presque à genoux.
Leary posa alors une main sur son épaule.
Juste une main.
Et Mark se figea.
Complètement.
Comme si toute la pièce venait de lui tomber dessus.
— Si tu bouges encore...
Je vais oublier que tu souffres déjà assez.
Il n'y avait pas de menace dans sa voix... C'était une certitude.
Sélène marcha autour d'eux comme une danseuse.
Elle posa deux doigts sous le menton de Mark, et le força à relever un peu la tête.
— Tu vois, murmura-t-elle.
C'est pour ça que je garde Leary près de moi.
Il est stable.
Attentif.
Obéissant quand il veut bien...
Elle eut un petit sourire tordu.
— ... et toi, tu n'es que bruit et fissures.
Mark trembla.
Douloureux.
Honteux.
Humilié.
— ELLE EST À MOI ! gémit-il.
Je l'ai trouvée—
— Écoute-moi, mon cœur.
Tu as tout gâché.
Tu transpires la douleur, la colère, la peur...
Ce n'est pas une bonne odeur pour la chasse.
Elle caressa sa joue intacte, un geste tendre et cruel à la fois.
— Ce qui vient maintenant...
Ne te concerne plus.
Elle se tourna vers Leary.
Et là, son regard changea encore.
Un éclat de fierté, d'admiration perverse.
Quelque chose de maternel...
... mais déformé, tordu par la folie.
— Tu prends la suite, mon beau.
Si tu veux.
Je sais que tu voulais dormir...
Mais regarde donc ce qu'elle a fait à notre petit Mark.
Elle a de l'esprit.
Et toi... tu t'ennuies tellement quand ils sont idiots.
Leary resta immobile.
Puis répondit :
— Elle m'intéresse.
Deux mots.
Calmes.
Sûrs.
Glacials.
Sélène frissonna de plaisir.
— Alors amuse-toi, murmura-t-elle.
Pour nous deux.
Il se détourna.
Mark tenta un dernier souffle :
— Leary... c'est moi qui—
— Oui, répondit Leary.
Tu l'as trouvée.
Et tu l'as perdue.
Impeccable résumé.
Il se détourna.
En passant à côté de Mark, sans même le regarder, il ajouta :
— Je t'ai juste observé.
Et j'ai vu tes failles s'ouvrir avant même qu'elle ne lève la main.
Tu penses trop lentement.
Il posa la main sur la poignée.
Puis, dans un souffle amusé :
— Rien ne t'appartient, Mark.
Pas même ce que tu poursuis.
La porte se referma dans un chuintement.
Le silence tomba comme une couverture froide.
Sélène s'approcha de Mark.
Elle plaça ses doigts sur les zones brûlées de son visage.
Il tressaillit, un souffle étranglé.
— Oh, Mark... soupira-t-elle doucement.
Regarde ce qu'elle t'a fait.
C'est presque joli.
Presque.
Elle l'embrassa délicatement sur la tempe intacte.
Un baiser maternel.
Glacial.
— Il va la briser, tu sais.
Encore plus fort que les autres.
Parce qu'elle lui a offert un jeu plus long, un intérêt...
Elle recula, souriante.
Un sourire vide et musical.
— Cette fois...
On joue sérieusement.

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