CHAPITRE 9 CE QUI REMONTE

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Leary était parti depuis quelques minutes.
Comme si sa présence n'avait existé que pour elle.
La cour était vide maintenant.
Vide... mais saturée d'une tension qui vibrait encore sous sa peau.

Elyna resta immobile devant la baie vitrée, la main posée contre le verre froid.
Ses doigts tremblaient à peine.
Pas de peur.
Pas vraiment.
Juste le contrecoup brutal.
Celui qu'elle détestait.

Elle inspira trop vite.
Son souffle se brisa, un choc sec contre sa propre cage thoracique.

Puis quelque chose céda.

Pas son corps.
Pas son visage.
Mais la paroi qu'elle maintenait depuis des années, trop solide, trop serrée.

Une larme tomba.
Une seule.
Puis une autre.

Son visage resta impassible.
Ses yeux, eux... se fissurèrent.

Elle glissa le long de la vitre et s'assit contre le mur, les genoux ramenés contre elle.
Une position qu'elle n'adoptait plus.
Plus depuis...
Elle refusa d'aller au bout de la pensée.

Un souffle rauque monta de sa poitrine.
Pas un sanglot.
Un déchirement.
Net. Brut. Ravalé.

Elle pensa à son père.
Pas avec douceur.
Pas avec nostalgie.
Avec cette coupure interne, ce souvenir mal rangé, celui qu'on n'a jamais eu le droit d'approcher vraiment.

Puis son frère.
Son rire.
Le silence qui l'avait avalé.
Un silence qui revenait encore parfois, logé dans ses os, comme une vieille ecchymose.

Elle pensa à la lame.
Pas pour la peur.
Pour ce que ça avait laissé en elle.
La marque invisible, plus profonde que la cicatrice.

Elle pensa à la voix.
À ce :

« Ne bouge pas... tu vas comprendre. »

Et au fait qu'elle comprenait toujours trop bien.

Les larmes coulaient, brûlantes.
Pas par peine.
Par tension.
Par lutte.

Elle détestait ça.
Cette faiblesse qui cherchait une brèche.
Cette émotion qui revenait par surprise, qu'elle pensait morte depuis longtemps.
Cette... fracture.

Elle écrasa une larme du bout des doigts, presque furieuse.

Pas maintenant.
Pas comme ça.

Elle redressa la tête un peu trop vite — réflexe de survie.
Son oreille s'attarda sur un bruit.
Le tic d'un métal, léger.
La vibration d'un conduit.
Elle analysait encore, même au bord du gouffre.

Puis—

CLAC.

La serrure claqua.
Son cœur se propulsa contre ses côtes.
Ses doigts se crispèrent au sol.
Elle se redressa d'un mouvement sec, prête — même en larmes.

La porte s'ouvrit.

— Elyna ?

Lavigne entra, arme levée, les épaules tendues.
Elle scrutait la pièce avec une précision presque chirurgicale : angles, plafond, vitre, recoins... jusqu'à ce que son regard accroche enfin Elyna, assise au sol.

— ... Merde...

Elle rangea son arme.
S'approcha lentement, comme si Elyna était faite de verre...
ou de verre prêt à exploser.

Lavigne s'accroupit à sa hauteur, sans la toucher.
Une distance respectueuse, protectrice.

Elyna avait encore les joues humides.
Ses yeux, rougis, restaient fixés sur un point flou au sol.
Sa respiration accrochait, comme si elle essayait de la remettre en ordre.

Lavigne parla enfin, doucement :

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Sa voix n'était plus policière.
Elle était calme.
Rassurante.

Elyna inspira difficilement, cherchant un semblant de voix.

— ... Il était là.

Le visage de Lavigne se resserra.
Pas de tirade.
Pas de surprise exagérée.
Juste un battement de cœur un peu trop fort dans sa gorge.

— Où ?

— La cour.

Un silence s'installa, épais comme du tissu mouillé.
Lavigne jeta un coup d'œil derrière elle, vers la vitre.
La lumière blafarde de la cour n'avait rien de rassurant.

— Les caméras ont sauté, dit-elle. Toutes en même temps. On a cru à une panne... jusqu'à ce que je voie ton signal vital sur le moniteur.

Elle respira plus lentement, comme si ça l'aidait à digérer ce qu'elle venait de dire.

— J'ai accouru.

Elyna essuya une larme du revers de la main, agacée par ce geste qu'elle ne voulait pas avoir.

— Je vais bien.

Lavigne secoua la tête, doucement.

— Tu encaisses. C'est différent.

La phrase tomba entre elles, honnête, sans jugement.

Elle se rapprocha d'un pas.
Pas pour la toucher.
Juste pour être là.

— Tu l'as vu combien de temps ?

Elyna hésita.

— Assez.

Lavigne inspira, yeux baissés une seconde, puis releva le regard vers elle.

— Tu n'aurais pas dû vivre ça ici. Pas dans un endroit censé être sécurisé.

Pas une excuse.
Pas une justification.
Juste une vérité qui lui pesait.

Elyna releva la tête, lentement.

— ... Vous ne pouviez pas prévoir.

Lavigne la contempla une seconde, comme si elle cherchait quelque chose dans ses yeux.

— Tu ne devrais pas avoir à te défendre comme ça.

Elyna dévia le regard, mâchoire serrée.

— Je ne me défends pas. Je... je constate.

Un silence.
Un vrai.
Pas inconfortable.
Juste lourd de ce qu'elles ne disaient pas.

Lavigne se redressa un peu.

— Tu n'es pas seule, d'accord ? Même si tu as l'habitude de l'être.

Elyna eut un micro-sursaut, presque imperceptible.
Comme si la phrase avait touché quelque chose sous la peau.

Elle ne répondit pas.

Lavigne ajouta plus bas :

— On va renforcer la sécurité. Et je vais rester ici jusqu'à ce qu'ils arrivent.

La radio grésilla soudain, déchirant l'air :

Unité 3 ! Visuel sur Mark ! Individu armé, confirmé ! Il se dirige vers le secteur sécurisé !

Le visage de Lavigne se transforma instantanément.
Elle se releva d'un bond, ressortit son arme.

— On doit partir. Tout de suite. MAINTENANT !

Elle tendit la main.

Elyna la fixa une seconde, encore assise contre le mur.
Puis elle posa sa paume dans celle de Lavigne.

Un geste simple.
Mais c'est ce geste-là qui les fit bouger ensemble.

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