CHAPITRE 11 LA PROIE VOLEE
Le tir vibrait encore quelque part dans la rue.
Pas un son.
Un impact qui continuait de trembler dans les corps.
Elyna abaissa le bras.
Elle ne sentit rien.
Ni choc.
Ni remords.
Ni victoire.
Juste un vide ,immense, propre, tranchant.
Le genre de vide qui ne laisse place à absolument rien... sauf à ce qui vit en dessous.
Le sang de Mark s'élargissait lentement autour de sa tête.
Elle observa.
Constata.
Rien d'autre.
— POSE L'ARME ! À TERRE ! MAINTENANT !
Les policiers surgirent avant même qu'elle n'ait le temps de respirer.
Ils la plaquèrent au sol avec une brutalité pressée.
Son genou heurta le bitume.
Un coude s'enfonça dans ses omoplates.
— LÂCHE TON ARME !
— ELLE A TIRÉ, BORDEL !
Elle ne résistait pas.
Son visage touchait presque le goudron glacé.
Son souffle restait court mais stable , trop stable.
Un agent attrapa son poignet bandé avec une violence sèche.
Une douleur électrique lui traversa le bras.
Un son lui échappa, bref, arraché à son corps, pas à son esprit.
Des pas rapides claquèrent contre le trottoir.
C'est là que Lavigne apparut.
Elle entra dans la scène comme une louve qu'on aurait tenté d'abattre.
— LÂCHEZ-LA ! RECULEZ ! IMMÉDIATEMENT !
Sa voix claqua, tranchante, non négociable.
Les agents hésitèrent.
Une seconde seulement.
L'un resserra encore son emprise.
Elyna sentit sa vision blanchir un instant.
— Capitaine, elle a exécuté…
— Recule.
Pas un cri.
Un couperet.
Lavigne se baissa aussitôt, repoussa deux policiers d'un bras, ses gestes courts, prêts à mordre si nécessaire.
— Vous la lâchez. Maintenant.
Les mains se retirèrent enfin.
Elyna releva légèrement la tête.
Lavigne posa une main sur son épaule, ferme, protectrice, ancrée.
— Elyna... respire doucement.
Tu m'entends ?
Elle inspira.
Un peu.
Comme si son corps redémarrait.
Son regard glissa vers Mark.
— Il allait continuer, dit-elle.
Voix plate.
Constat.
Lavigne ferma les yeux une fraction de seconde.
Une douleur réelle traversa ses traits.
— Je t'avais promis qu'il ne t'approcherait plus...
Elyna tourna la tête vers elle, lentement.
Ses yeux étaient vides et lucides à la fois.
— Il ne m'a pas touchée.
La phrase frappa Lavigne plus fort qu'un coup.
Elle inspira comme si quelque chose venait de se loger sous ses côtes.
Un agent tenta de reprendre Elyna :
— On la met en garde à vue—
Lavigne le frappa du plat de la main, sec, précis.
— Tu arrêtes ça.
Maintenant.
Elle se redressa, fit face à son équipe, sa voix redevenue chirurgicale.
— Vous la menottez, oui.
Procédure.
Mais sans violence.
Sans geste brusque.
Elle balaya la rue du regard.
— On n'est pas seuls.
Un frisson invisible parcourut les agents.
Aucun n'osa lever les yeux.
Lavigne se pencha vers Elyna, murmurant sans bouger les lèvres :
— Il est encore là.
Elyna ne répondit pas.
Elle n'avait pas besoin.
Son regard posé sur l'asphalte disait la même chose :
Je sais.
Elle aussi le sentait.
Sa présence, étirée au-dessus d'eux.
Les menottes se refermèrent, cette fois sans brutalité.
Lavigne la releva doucement, main glissée dans son dos comme un bouclier.
— On rentre.
Je suis là.
Elyna avança.
Pas parce qu'on la poussait.
Pas pour se laisser guider.
Pour garder l'avantage invisible.
Et là-haut, immobile dans une ombre parfaite, Leary regardait.
Aucun mouvement.
Aucun souffle visible.
Juste une présence trop précise pour être naturelle.
La frustration distordait l'air, fine, métallique.
On venait de lui voler un geste.
Une trajectoire qu'il avait déjà écrite dans sa tête.
La pulsion coupée vibrait dans sa cage thoracique comme un écho mal étouffé.
Et chez lui, ce genre d'écho ne mourait jamais.
Il cherchait un chemin.
Il en trouvait toujours un.
Quelqu'un finirait par en porter la trace.
Elyna disparut dans l'entrée du commissariat.
Les yeux de Leary restèrent accrochés à elle jusqu'au dernier centimètre.
La nuit retomba.
Lourde.
Étrange.
Un silence neuf se posa sur la rue.
Pas celui de ce qui venait de se produire.
Celui de ce qui venait de commencer.

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