CHAPITRE 12 DISPARAITRE
La rue s'éteignit derrière eux.
Il ne resta plus que leurs pas lourds, la nuit froide...
et cette impression étrange qu'une ombre continuait de marcher juste derrière, même après la fin de la scène.
Les policiers tiraient Elyna en avant, encore secoués, encore sous adrénaline.
Le commissariat n'était qu'à deux rues.
Une marche courte, mais suffocante.
Lavigne ouvrait la voie, crispée, son arme toujours en main.
Les agents encadraient Elyna comme une criminelle, mais leurs regards montaient sans cesse vers les toits.
Vers chaque creux d'ombre.
Personne ne parlait.
Elyna avançait mécaniquement.
Son corps tanguait légèrement à chaque pas, comme si elle marchait dans un vide intérieur où rien ne trouvait prise.
Pas de peur.
Pas de culpabilité.
Juste cette fatigue blanche qui avalait tout.
Devant le commissariat, un agent voulut la pousser trop vite.
Lavigne s'interposa immédiatement :
— Hé ! Doucement.
Si vous continuez comme ça, vous allez attirer exactement ce qu'on veut éviter.
Alors vous vous calmez.
Les agents obéirent.
Ils avaient tous compris la même chose :
Il rôdait encore quelque part.
Les portes blindées se verrouillèrent dans un claquement sourd, résonnant comme un gong métallique.
— Salle d'interrogatoire deux, déclara un agent en badgant.
Elyna entra.
S'assit.
Ne dit rien.
Lavigne renvoya les policiers d'un geste sec.
— Dehors. Tous.
La porte se referma.
Le silence tomba.
Elle resta debout quelques secondes, comme si elle devait reprendre le contrôle de sa respiration avant d'oser s'asseoir.
Puis elle prit place face à Elyna.
— Elyna... comment tu te sens ?
La douceur de sa voix détonnait avec tout ce qui venait de se passer.
Elyna mit une vraie seconde à reconnecter ses pensées.
— Fatiguée, dit-elle simplement.
Vraiment fatiguée.
Lavigne l'observa.
Pas d'effondrement.
Pas de panique.
Pas ce choc post-traumatique que tout le monde attendait.
Juste... un vide lucide.
Et cette lucidité-là lui fit plus peur que les larmes qu'elle attendait.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
Tu n'aurais jamais dû porter ça seule. On aurait dû—
— Il fallait que quelqu'un le fasse, coupa Elyna.
Ce n'était ni un reproche, ni une justification.
Juste un fait posé sur la table.
Lavigne sentit sa gorge se serrer.
Une longue minute passa.
Ni l'une ni l'autre ne bougea.
Puis Elyna releva la tête.
— Je veux aller dans un endroit fermé.
Lavigne fronça les sourcils.
— Un secteur protégé... ?
— Oui. Avec une vraie cellule.
Sans fenêtre.
Sans accès.
Un endroit où il ne peut pas entrer.
Sa voix était calme.
Trop calme.
— Elyna... l'isolement, même en protection... c'est difficile. C'est…
— C'est le seul endroit où je disparais, coupa-t-elle doucement.
Où il ne me voit plus.
Où il ne m'entend plus.
Ce calme-là alarma Lavigne.
— Elyna... tu sais ce que ça implique ?
— Je veux juste dormir, répondit-elle.
Dormir sans craindre une vitre, un toit... ou une ombre.
Elle inspira lentement.
— Et je veux vous aider.
Lavigne releva brusquement la tête.
— M'aider... à quoi ?
Elle cligna des yeux, comme si elle rassemblait ses pensées une à une.
— À arrêter tout son bordel.
Le nom n'avait pas besoin d'être prononcé.
Leary pesait dans la pièce comme une force invisible.
Lavigne l'observa.
Cette fille vidée... mais droite.
Brisée nulle part.
— Pourquoi ? demanda-t-elle doucement.
Elle cligna des yeux encore, comme si les réponses venaient de très loin.
— Parce qu'il ne s'arrêtera jamais.
Avant moi, il y en a eu d'autres.
Après moi, il y en aura encore.
Elle releva un regard noir, lucide.
— Et parce que je suis déjà dedans.
Que je le veuille ou non.
Un silence énorme remplit la pièce.
— Vous avez besoin de quelqu'un qu'il remarque, ajouta-t-elle.
Quelqu'un assez proche pour le pousser à l'erreur.
Le souffle de Lavigne se bloqua dans sa gorge.
C'était brutal.
Lucide.
Et terriblement vrai.
Elle posa les mains sur la table, se pencha vers elle.
— D'accord.
On fera ça.
Mais à ma manière.
Et sous ma protection.
Elyna hocha la tête.
— Très bien.
Simple.
Beaucoup trop simple.
Et c'est précisément là que Lavigne comprit :
Elyna n'était ni en choc, ni perdue.
Elle était ailleurs.
Un territoire intérieur dangereux, silencieux, aiguisé.
Humaine, oui.
Mais une humaine qui venait de tenir toute une nuit sous un poids qui aurait écrasé n'importe qui.
Et ça...
Lavigne ne l'oublierait pas.

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