Ingrid et Édith longeaient la plage depuis plus d'une demi-heure, les mouvements du sable humide dans l'eau massant leurs pieds durcis par les journées passées en tongs. Les lieux devenaient de plus en plus désertiques sans laisser paraître la moindre trace de la praia do homen nu à l’horizon.

- Je commence à fatiguer. On pourrait se poser ici. Te sens-tu prêtes à dévoiler ton intimité, Ingrid ?

- Je suis un peu embêtée. J'espérais découvrir une zone clairement délimitée pour le naturisme …

- Peut-être que nous y sommes sans le savoir. Et n'oublie pas que nous devrons faire le même trajet en sens inverse pour rentrer. Je te laisse choisir si tu préfères que nous nous posions au bord de la plage ou plus près des dunes.

Autour d'elles, Ingrid observa quelques tandems disséminés sur la plage. Il y avait plus de duos d'hommes que de couples mais tout le monde était nu cette fois. Estimant les conditions optimales pour tester le naturiste en pleine nature, Ingrid accepta de s'arrêter et proposa à son amie de s’éloigner de l'océan, en direction des dunes. Elle était prête se lâcher un peu plus, à tenter le naturisme mixte, mais hors de questions de s'exposer à d'éventuels voyeurs. Édith, surprise par l'attitude de son amie habituellement si prude, la suivi sans rien dire. Elles étalèrent leurs serviettes de bain puis se dévêtirent toutes les deux avant de s’asseoir face à la mer. Le vent caressant sa peau sans plus aucune entrave, Ingrid se sentit qu'elle commençait à se libérer du carcan des apparences qui l’avait si souvent étouffée par le passé.

- Cela fait une éternité que je n’ai plus fait de naturiste. J’avais presque oublié à quel point c’était agréable. Lorsque nous étions en Finlande, c’était le seul moment où je pouvais me libérer de la vie protocolaire liée à la fonction de Jean. Un moment d'acceptation de son corps à l'opposé du comportement des Brésiliennes.

Et pendant qu'Édith observait discrètement les alentours, le regard d'Ingrid se perdit dans le grand bleu, la ramenant à leur arrivée au Brésil quelques années plus tôt. L'ambassade était située à Brasilla, mais il leur arrivait parfois de se déplacer jusqu'au consulat régional de Rio de Janeiro. Lors de leur premier déplacement le consul avait organisé, pour Jean et elle, une visite privée du Cristo Redentor au sommet du mont du Corcovado. Là-haut, ils avaient eu une impressionnante vue panoramique du Pain de Sucre et des plages de Copacabana et Ipanema dans la baie de Guanabara. Ils avaient profité du déplacement pour séjourner pendant quelques jours à Ipanama, le berceau de la bossa nova et de la plage de la chanson mythique « Garota de Ipanema ». Elle avait été choquée par les strings brésiliens qui attiraient l'attention sur les fesses des jeunes femmes. Une minuscule ficelle presque invisible qui attirait bien plus le regards des hommes que le naturisme qu'elle avait connu en Finlande. Et Jean s'était révélé particulièrement attiré par ces beaux postérieurs.

- J'imagine que cette tendance brésilienne t'irait à merveille, mon cœur.

- Tu sais que j'ai besoin d'un peu de temps pour m'acclimater d'abord mon loulou. Mais j'ai l'impression qu'ici le silicone ne vas pas dans les poitrines. Je ne fais pas le poids face à la mode Kardashian.

- Tes fesses sont magnifiques, mon cœur, et sur cette plage nous sommes incognitos.

- Nouveau pays, nouveau fantasme loulou. Je te promets d'envisager sérieusement la chose pour notre prochaine escapade.

Ils avaient traversé la crise des sept ans de vie commune, leur couple avait trouvé son équilibre. Elle pensait que Jean été aussi heureux qu'elle avec leur petit bonheur tranquille...

C'était avant qu'elle ne découvre les écarts de son époux. Elle n'a jamais porté ce fameux bikini brésilien. Avant que ses souvenirs ne la fasse à nouveau basculer dans la rancœur lorsque Édith la sortit de sa rêverie.

- J’ai une amie qui a avait perdu confiance en elle après un cancer du sein et qui a pu accepter son nouveau physique grâce au naturisme. Elle y est allée sous les conseils de sa thérapeute.

- Je n'en doute pas, il y a beaucoup de bienveillance parmi les naturistes. Lorsque j’étais jeune, je ne voulais pas fréquenter des thermes mixtes, craignant d'attiser le désir des hommes. Un problème qui n'existe plus maintenant que mon corps s’est lâché avec l'âge. C’est étrange et libérateur.

Édith n'appréciait pas les remarques négatives de son amie liées à leur âge, même si elle avait remarqué qu'Ingrid tentait une nouvelle forme d'autodérision qu'elle ne lui connaissait pas. Les magazines expliquant comment rester belle après quarante ans n'avaient plus de secret pour elle. Chaque fois qu’elle se faisait photographier, elle cherchait la position la plus flatteuse. Pour paraître plus grande et élancée sur les clichés par exemple, elle se mettait sur la pointe des pieds lorsqu’elle ne portait pas de chaussures à talons. Édith ouvrit alors une de ses revues pour optimaliser ses chances de séduire un de ces hommes, jeunes de préférence. Elle avait la chance que son type métissé rendait l'estimation de son age difficile et elle préférait de loin les trentenaires. Pendant ce temps, Ingrid s’allongeait sur le sable, glissant dans un état de communion avec la nature proche de la méditation.