Business as Usual

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Vieille-Toulouse & Buzet sur Tarn, mercredi 19 février


La journée de Camille avait été bien remplie. Elle avait passé la matinée sur un chantier dans le quartier du Busca. Un client, propriétaire d’une vaste propriété, héritage familial, avait décidé de la réaménager selon des concepts d’avant-garde. Le cahier des charges était draconien : de l’extérieur, rien ne devait altérer l’aspect historique, mais les équipements intérieurs et la décoration devaient être alignés sur les derniers standards et les technologies les plus avancées. Pour ce travail, Camille collaborait avec le cabinet d’architectes de Francis Mauriac. Depuis qu’ils avaient fait connaissance lors d’une soirée au Private, ils avaient eu l’occasion de travailler ensemble à plusieurs reprises, leur complicité libertine n’interférant pas avec de le sérieux de leurs activités professionnelles. Après le déjeuner, la jeune décoratrice avait quitté le centre-ville pour aller visiter la résidence d’un couple ayant récemment investi dans une villa moderne sur la colline près de Vieille-Toulouse. Camille et Carmen avaient été sollicitées grâce à une relation commune, et exceptionnellement, il avait été décidé de fermer la galerie pour permettre aux deux femmes de se retrouver pour la visite. Le site était réellement hors du commun, une cascade de terrasses de béton, de verre et d’acier sur un coteau dominant la plaine de la Garonne et le parc du confluent. Leur client les reçut chaleureusement en leur faisant découvrir les lieux.

« Nous recherchions une propriété nous assurant le calme à proximité de la ville. Nous sommes tombés sur ce bien qui venait d’être mis en vente. La propriété a appartenu à un industriel russe qui avait, selon l’agence, des activités illégales qui l’ont mené en prison pour longtemps. Mon épouse est tombée sous le charme au premier coup d’œil, mais l’intérieur est à cent lieues de ce que nous aimons. Il faudra tout refaire et remplacer l’ameublement.

— Je comprends le coup de foudre, apprécia Carmen, je suppose que par beau temps, la vue porte jusqu’aux Pyrénées.

— En effet, il se dit que l’endroit n’aurait pas dû être construit, ajouta le nouveau propriétaire, mais il y aurait eu des incitations qui ont mené l’équipe municipale de l’époque à revoir le classement. Attendez que je vous montre l’intérieur, vous allez comprendre notre problème. »

L’étage principal était constitué d’une enfilade de salles et salons donnant sur une immense terrasse. L’espace était envahi par des meubles de styles disparates, la plupart provenant, sans aucun doute, directement de Russie. Camille se dit que certaines pièces avaient sans doute étaient glanées dans des propriétés d’anciens aristocrates ou d’apparatchiks soviétiques. D’autres objets avaient une origine religieuse, icônes et objets liturgiques orthodoxes. À l’étage inférieur, l’ancien propriétaire avait probablement installé son espace de travail. Les équipements avaient disparu, mais restaient un immense bureau de verre et d’acier ainsi que plusieurs fauteuils de cuir blanc. Une pièce plus petite devait sans doute héberger les employés les plus proches. Une petite kitchenette complétait l’espace. Toutes les pièces donnaient elles aussi sur une terrasse plus petite, dominant une piscine qui aurait satisfait une commune de taille moyenne.

« Je comprends votre problème, commenta sobrement Camille, c’est très typé !

— Ce n’est pas tout, il y a même un sauna près de la piscine, le négociateur m’a expliqué qu’il avait été démonté dans un établissement de bains de Saint-Pétersbourg.

— Que comptez-vous faire se tout cela ? demanda Carmen, je ne suis pas antiquaire, mais je suis sûre que certaines de ces pièces ont de la valeur.

— Je n’en doute pas, mais je ne peux plus les voir. Trouvez-moi quelqu’un qui m’en débarrassera.

— Pas de problème, intervint Camille, je pense à quelqu’un qui a des réseaux. Que voudriez-vous à la place ?

— Nous avons vécu en Californie, cette architecture m’a rappelé certaines villas de Santa Monica ou de Malibu.

— Je vois, on peut vous faire quelques propositions dans ce sens. Permettez-moi d’ajouter quelques questions plus indiscrètes, vous allez vivre ici seulement avec votre épouse ?

— En fait, j’ai des enfants, deux, mais ils sont grands et vivent avec leur mère. Il faudra sans doute prévoir des chambres de passage. Pour eux ou des amis. Je prévois aussi d’organiser des soirées, nous avons une vie sociale assez développée. Il faudra préserver un espace pour permettre cela.

— Je ne pense pas que ce sera un problème, acquiesça Camille, il y a bien assez de place. Voulez-vous conserver ce bureau ?

— Oui, il me convient, il faudra juste éclaircir les murs.

— Je crois que nous avons une bonne idée. Pourriez-vous nous communiquer les plans de la maison ? demanda Camille.

— Bien sûr !

— Carmen, as-tu d’autres points à aborder ?

— Non, j’ai aussi quelques idées, nous allons commencer à mettre cela sur le papier et nous vous ferons quelques propositions rapidement.

— Dans combien de temps, demanda l’homme. Ma femme est très impatiente d’emménager ici.

— Laissez-nous une dizaine de jours, répondit Camille. Je vous recontacterai d’ici là, pour les meubles. »

Après avoir déposé Carmen en ville, Camille était de retour à Buzet à la nuit tombée. Elle remarqua la Porsche de Léonard dans le garage. Il était rare que le médecin soit à la maison avant elle.

« Raconte-moi ta journée, demanda-t-il en lui tendant un verre de vin. Tu rentres tard !

— J’ai raccompagné Carmen en ville. Nous avons rencontré un nouveau client. Une villa extraordinaire, mais décorée par des Russes sans aucun goût. Une accumulation de vieilleries tsaristes et de pseudo-modernité sans style.

— Et c’est qui ce client ?

— Un industriel qui l’a rachetée il y a peu. J’ai compris que le précédent propriétaire, qui l’avait fait construire est maintenant en prison.

— Ce n’est pas banal, en effet.

— On pourrait y organiser des soirées magnifiques.

— Tu as déjà essayé de le séduire ?

— Idiot ! Tu ne penses qu’à ça. Pour moi, c’est une vitrine formidable. On en a déjà discuté avec Carmen, on a plein d’idées.

— Tu devrais prévoir un donjon SM, relança Léonard.

— Ce n’est pas du tout le style.

— C’est pas toi qui a évoqué 50 nuances le week-end dernier ? Christian Grey ne vit pas dans un château médiéval, il me semble.

— Tu as raison, on verra bien, mais je ne suis pas sûre que mon client apprécie cette fantaisie. Il a plutôt évoqué le style californien.

— Concernant cette soirée, d’ailleurs, tu étais sérieuse ?

— Je te rappelle que c’est toi qui a lancé l’idée de se revoir en privé.

— On pourrait arranger quelque chose à Lanta !

— Tu veux aller jusque là avec eux ?

— Pourquoi pas, pas tout de suite bien sûr. En attendant, on peut bien s’amuser un peu, non ? »

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