Chapitre 3

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Le rendez-vous avec Moser avait été pris pour le 9 janvier 1987. Wilhelm et Maria furent accueillis à l’aéroport de Francfort par un chauffeur de la boîte de production. Le siège de la boîte de production de Moser était dans la Vieille Ville, dans un ancien immeuble à la façade blanche. La secrétaire du producteur les fit attendre dans un petit salon qui servait de salle d’attente et vint leur servir des boissons chaudes. Quand Moser vint les chercher, il les salua de la manière la plus chaleureuse possible. Cela lui faisait vraiment plaisir de les voir.

- Je suis vraiment heureux que vous ayez accepté de faire le déplacement jusqu’ici, commença-t-il. Ca montre de votre part une certaine motivation et cela me donne envie d’investir en vous. Je suis désolé d’avoir été si bref avec vous l’autre jour, car il fallait que j’enchaîne avec un autre rendez-vous à Salzbourg. Mais rassurez-vous, j’ai pris des notes sur votre prestation et je l’ai trouvé plutôt bonne. Herr Weissmann m’a dit énormément de bien de vous, ses clients aussi et ça, je peux vous dire que j’ai apprécié leur franchise à votre sujet.

- Je me souviens que vous aviez dit qu’on aurait plus à gagner si on écrivait nous-mêmes nos propres chansons, lui rappela Maria.

- Tout à fait ! J’allais justement y venir avant que vous me coupiez. Le succès, vous ne pouvez pas l’avoir si vous reprenez encore des tubes de vos idoles. Il va falloir pour ça être créatif, et trouver les bons sujets, les bonnes paroles… Bref, je veux que vous écriviez et que vous m’interprétiez VOS chansons.

- J’en ai déjà parlé avec Maria, dit Wilhelm, et c’est ce que je pense aussi que la clé de notre succès serait nos chansons à nous.

- Je savais que nous serions sur la même longueur d’ondes ! Fit Moser en faisant un check à Wilhelm. Bien, soyons sérieux à nouveau. Si j’ai bien compris, vous aimez tous les deux le rock et la pop. En duo, c’est surtout faisable de faire de la pop. Le rock, vous allez devoir laisser tomber. Sauf si vous acceptez de travailler avec un autre groupe, évidemment.

- On s’en tire bien en duo, je trouve.

- C’est un avis partagé.

- Dites moi, Herr Moser, vous nous voyez chanter quoi exactement comme type de chansons ? Parce qu’on peut pas faire de la chanson engagée sur de la musique pop, si vous voyez ce que je veux dire.

- Moi je sais, lui répondit rapidement Jürgen. Vous êtes jeunes, vous avez la vingtaine et à cet âge-là, on adore l’amour. Soyez honnêtes, vous êtes plus que des amis d’enfance et ça je l’ai très bien compris. Vous êtes presque un couple. Ca, les auditeurs adorent parce que si vous continuez avec une image d’un jeune couple sans histoire, vous aurez leur sympathie.

- Je fais des études de français, j’ai fais un échange là-bas et beaucoup m’ont fait la réflexion que l’allemand est une langue moche. Je ne sais pas si on pourra toucher un public extérieur à l’Allemagne si on chante qu’en allemand.

- Le français est une langue romantique, comme l’italien et l’espagnol. C’est des sons mélodieux à l’oreille et même si les gens ne comprennent pas un traître mot de ces langues, ils s’en foutent parce qu’ils ont l’impression d’écouter quelque chose de doux. Vous croyez qu’Umberto Tozzi est comprit dans le monde entier ?

- Et si jamais ont doit faire un clip, on ne va quand même pas le tourner à Berlin-Ouest, intervint Wilhelm.

- Doucement, jeune homme. Pour l’instant, vous n’avez pas encore enregistré votre premier tube donc tant que vous ne l’aurez pas enregistré, ça ne sert à rien de parler de votre premier clip.

- Vous attendez pour quand le premier tube ? Lui demanda Maria.

- Je suis au courant que vous êtes à la fac tous les deux, et vous aurez forcément des examens de fin d’année alors on va dire que vous avez jusqu’en avril pour me pondre quelques choses. Mais rassurez-vous, vous ne serez pas seul car j’ai un très bon parolier. Il s’appelle Harald Müller. Il se fera un plaisir de vous aider et en plus, j’ai la chance de travailler avec lui depuis plus de quinze ans.

- On organisera quand ces sessions de travail ?

- C’est vous qui voyez. On peut faire ça en une fois, pendant vos vacances – par exemple – , le tout dans un cadre assez inspirant. Que pensez-vous d’aller sur la Côte d’Azur dans ma villa ? Ajouta Moser. Ou alors j’ai une petite salle de travail ici, mais je crois que les hauteurs de Nice ont plus de charme qu’une pièce blanche avec une petite table et un cahier.

Maria et Wilhelm eurent une étincelle dans leur regard. Ils savaient désormais où ils passeraient leurs prochaines vacances et, ils auraient le transport gratuit pour se rendre en France. Wilhelm avait envie de se pincer tellement c’était surréaliste, comme s’il était dans un rêve, et Maria commençait progressivement à être convaincue que ça serait une bonne idée finalement de se lancer dans la profession. En fait, ce qui leur faisait plaisir à tous les deux, c’était d’avoir enfin une reconnaissance plus importante de leur talent, et se retrouver ici dans le bureau de ce producteur était comme un rêve éveillé. Enfin ils connaîtraient la gloire et la richesse !

- Comme vous pouvez vous en douter, tout travail mérite salaire, donc vous serez payé pour les heures d’écritures de vos chansons, conclua Jürgen. Voici vos contrats, lâcha-t-il en sortant les documents d’un tiroir.

Cette fois, le ton pressant déplu à Maria qui aurait voulu plus de temps pour réfléchir à cette offre. Elle regarda le stylo rouler sur la feuille, puis croisa les doigts. Wilhelm était déjà rapidement en train de lire son premier vrai contrat. Son amie l’observa déboucher le stylo, puis elle lui dit « Wilhelm, faut qu’on parle ! ». Moser fit la moue, et accepta qu’ils aillent s’isoler dans une autre pièce tout en leur disant « Je vous donne une heure pour vous décider ».

- Pourquoi tu veux signer un contrat sans le lire ? S’exclama-t-elle. T’es vraiment un gros malade.

- Ca m’a l’air honnête ce qu’il nous propose, dit Wilhelm. Enfin, merde, t’as vu combien on va être payé pour écrire nos chansons dans sa villa ? 3500 DM, c’est pas rien. On va pouvoir en plus mettre ce fric de côté vu qu’on est chez nos parents !

- Je ne sais pas dans quoi on s’est fourré. J’ai peur qu’on finisse par le regretter amèrement, lâcha la jeune femme en prenant Wilhelm dans ses bras. En fait, je crois que j’ai peur de la réussite.

- Moser a confiance en nous, il nous aime beaucoup. Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de maisons de disques qui seraient autant aux petits soins avec nous. On a de la chance d’être tombés sur lui.

- Peut-être que je ne devrais pas être aussi méfiante, avoua-t-elle.

Quand ils revinrent dans le bureau de Moser, ils signèrent ensemble leur contrat. L’homme les raccompagna à la sortie, puis Maria et Wilhelm allèrent boire un café dans un salon de thé. Tous les deux discutèrent de leurs projets, même si Maria attendait d’avoir son chèque et de partir à Nice pour réellement croire à tout ça. Le lendemain, lorsqu’ils rentrèrent à Munich, Wilhelm avait cours et partit directement dans son université en sortant du train. Le jeune homme n’avait pas du tout la tête à réfléchir à ses cours. Dans l’amphithéâtre, il se voyait déjà faire des concerts aux quatre coins du globe, participer à des émissions télés, et surtout signer des autographes à ses groupies qui seraient absolument hystériques en rencontrant enfin leur idole. En étant ingénieur, jamais il ne connaîtrait ce succès et tout ce qu’il ferait, ça serait simplement enchaîner des réunions, travailler avec une équipe et rentrer tard le soir pour tout recommencer le lendemain. En plus, il savait que ça serait bien plus compliqué de se payer une berline de luxe avec un salaire d’ingénieur qu’avec son futur cachet d’artiste.

3500 Deutsche Mark ! C’était bien plus que le salaire moyen du citoyen ouest-allemand lambda ! Et ça, c’était juste pour griffonner une chanson sur un bout de papier pendant maximum une semaine. Il se rendait compte que son destin, c’était de devenir un chanteur connu, pas un ingénieur en électronique. Maria, quant à elle n’avait pas cours, et elle retrouva sa mère non loin de la Marienplatz pour aller faire les magasins. Toutes les deux marchèrent dans les rues enneigées. Le ciel avait d’épais nuage gris montrant que la neige pourrait bientôt recommencer à tomber.

- Moi je trouve ça très bien que tu fasses cette semaine de travail à Nice, lui dit sa mère. Tu te rappelles quand tu me faisais lire tes poèmes quand t’étais petite ? Ben, je les aient toujours trouvés très beaux. En plus, t’as toujours rêvé de voyager.

- J’ai l’impression d’être face à un dilemme entre soit je fais une carrière dans la musique et je gagnerais beaucoup d’argent, soit je fais un métier utile à la société mais où on me récompensera pas pour ça, fit Maria d’un ton songeur.

- Ca fait presque cinq ans qu’avec Wilhelm vous êtes dans ce milieu artistique, vous êtes même allé faire une petite tournée des bars en Autriche pour vous y produire. Elle est où cette Maria pleine de rêves, d’ambitions et qui était prête à suivre son meilleur ami jusqu’au Japon s’il le fallait ? Au fond, c’est ce que tu voulais. Pourquoi renoncer alors que c’était votre rêve commun ? C’était même ça qui vous faisiez tenir !

- Parce qu’à l’époque on était encore jeune et immature, je suppose.

- T’as que vingt-trois ans, ma chérie. S’il te plaît, ne commence à pas à faire des projets de vie comme si t’approchais des quarante ans. Sois un peu folle dans ta vie, parce qu’on en a qu’une !

Maria se rendit compte que sa mère avait raison en fin de compte. Les deux femmes retournèrent dans la voiture pour rentrer à Garching, où elle raconta ce rendez-vous à Francfort au reste de sa famille. Ils étaient tous contents de cette nouvelle, et surtout ça serait elle qui ferait honneur non seulement à sa commune de résidence, mais surtout à sa famille. La famille Schäfer était sans histoire, comme un grand nombre de familles ouest-allemandes. Ils aspiraient comme tout un chacun à une vie douce et tranquille, mais avoir une future chanteuse connue était comme un cadeau tombé du ciel, comme si c’était la récompense ultime après l’avoir faite chanter dans la chorale depuis sa plus tendre enfance.

Le père de Maria, Martin, en eut les larmes aux yeux car c’était lui le chef de la chorale de la paroisse de Garching. Il adorait chanter, il avait transmit cet amour de la musique à sa fille aînée et plus de quinze ans après qu’elle ait été enfant de choeur, elle allait un jour monter sur scène pour jouer devant des milliers de spectateurs. La mère, Christina, considérait que c’était plus sain de vivre de sa passion que de se forcer à un faire un travail qu’on aimait pas. En réfléchissant de nouveau à tout ça, Maria se rendit compte qu’effectivement ça serait vraiment trop bête de tout laisser tomber.

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