Chapitre 5
Maria était en train de faire sa valise pour partir au studio de la ZDF à Mayence. Moser allait les héberger dans son appartement de Francfort, et ferait venir son chauffeur pour qu’il les emmène directement au studio de la chaîne de télévision. Christina, la mère de Maria, rentra dans sa chambre après avoir frappé à la porte. Elle observa la jeune femme qu’elle avait en face d’elle, et elle avait du mal à réaliser ce qui était en train de lui arriver. Un jour, elle ne pourrait plus faire un pas dans Garching sans se faire embêter par les voisins, ou même de simples passants, voulant un autographe de la part de cette sublime jeune femme blonde. Maria n’avait pas prêté attention à sa mère, puis lorsque leur regard se croisèrent, elle s’arrêta.
Maria vit que sa mère était émue. Cette période d’anonymat allait prendre fin et toutes le savaient très bien. Ensemble, elle prirent le thé dans le salon, discutant de tout et de rien. Puis, son père arriva et se joignit aux deux femmes. Ensemble, ils discutèrent du tournage de l’émission à Mayence. Ses parents prévoyaient d’enregistrer le programme le jour de sa diffusion, car ils considéraient que ça serait un moment historique chez les Schäfer.
Quant à Wilhelm, au même moment il se contentait de marcher dans les rues de sa ville, Ismaning, tout seul. Quelques nuages étaient présents, et un agréable vent frais soufflait dans les rues de la petite ville bavaroise. Au bord de l’Isar, il y avait une sorte de petite plage de cailloux. C’était un endroit qu’il adorait, car il s’y sentait au calme, et surtout c’était reposant de pouvoir s’asseoir un peu dans les galets sous les arbres. C’était là où il aimait se réfugier lorsqu’il avait envie d’être seul et de se noyer dans ses pensées. Et pour l’heure, il se sentait stressé par cette émission, Hitparade. Tout le monde connaissait sa présentatrice, Marlene Hoffman, et les ragots la présentait comme une femme très exigeante pour les tournages de télévision. Mais en coulisse, c’était une autre personne. Avec Maria, ils n’étaient pas prêts à être vu par des millions de téléspectateurs en Allemagne de l’Ouest. Les deux avaient conscience que la moindre gaffe serait enregistrée et probablement récupérée par d’autres émissions pour se moquer d’eux. C’était ce qui taraudait Wilhelm.
En rentrant chez lui, son père l’attendait, assis dans le canapé devant la télé. Kurt lui avait sortit du frigo une canette de bière, et quand son fils s’installa à côté de lui, ils trinquèrent ensemble.
- Je suis désolé si pendant plusieurs semaines je n’ai pas partagé ton enthousiasme avec toi sur ta future célébrité, déclara Kurt. Je ne veux pas que tu te sentes vexé ou même que tu renonces à ce rêve si tu m’as pas vu désapprouver tes choix.
- On a de la chance d’être tombé sur quelqu’un de bienveillant, lui répondit Wilhelm. Moser est content de nous, je pense que c’est pour ça qu’il veut absolument qu’on passe à la télé pour enfin être connu, se faire un nom.
- S’il te plaît, il faut me promettre que tu ne feras pas comme certains artistes et tomber dans la drogue et l’alcool. T’as vingt-et-un ans, ça serait idiot qu’on te retrouve mort dans une salle de bain à vingt-sept ans.
- J’ai surtout peur qu’on ne respecte pas notre travail, qu’on ait que des critiques négatives.
- Ca fiston, peu importe ce que tu feras, il faudra que t’acceptes que t’auras des personnes qui apprécieront ton univers musical, qui l’encenseront et d’autres qui te dézingueront. Et ça, ça vaut pour tous les domaines professionnels.
Mayence était une ville située à l’ouest de Francfort, à environ trente-cinq kilomètres. Marlene Hoffman serra la main poliment aux artistes, puis se comportant de manière plus chaleureuse avec Moser. Maria détestait déjà cette femme d’une cinquantaine d’années, qui se prenait pas pour rien. La présentatrice leur désigna les vestiaires pour se changer, ainsi que les loges pour se faire maquiller. En sortant du maquillage, Wilhelm se sentit soudain impressionné par Maria à qui on avait fait un brushing. La jeune femme portait une simple robe noire avec des escarpins à talons hauts. Wilhelm avait un smoking. Ensemble, ils avaient l’impression de partir faire un mariage quelques part. Lorsqu’on leur donna le top départ pour venir sur le plateau, ils essayaient de masquer leur stress de passer à la télé pour la première fois de leur vie. Le public les applaudissait chaleureusement, Hoffman était assise les jambes croisées dans son canapé en train de les applaudir et lorsqu’ils s’installèrent, chacun prit son micro pour répondre aux questions.
- Pour ceux qui nous rejoignent ce soir sur Hitparade, je voudrais vous présenter un groupe qui fera sans doute fureur en RFA dans les prochains mois, il s’agit bien sûr de Bavaria ! Fit Marlene d’un ton surexcité. Je suis vraiment heureuse de vous présenter Wilhelm Müller et son acolyte, Maria Schäfer. Vous deux, il va falloir que vous m’expliquiez comment un duo qui chantait dans un bar de Munich est en train de monter comme ça.
- Nous avons eu une bonne étoile qui nous a donné cette chance, et nous l’avons saisie, répondit spontanément Maria.
- Oui, c’est ça. Nous sommes heureux de voir que notre talent est reconnu à présent, ajouta Wilhelm.
- On m’a dit que vous étiez déjà en train de préparer un album. Vous pouvez confirmer cette rumeur ?
- Oui, répondirent-ils en même temps.
Marlene, comme le public, se mit à rire face à cette réponse commune spontanée.
- Votre chanson que vous venez d’interpréter, « Berlin », est-ce qu’un de vous deux peut m’expliquer pourquoi vous avez voulu faire une chanson en hommage à cette ville. Qu’est-ce qui vous a inspiré ? Vous y êtes déjà allé ?
- Je suis déjà allé à quelques reprises à l’Est, répondit Maria. J’ai de la famille à Berlin-Est, et je voulais que l’on fasse une chanson optimiste à ce sujet, car je pense pas que le Mur continuera d’exister. Il faut que l’on croit à une réunification des deux Allemagnes !
- Je vois ! Mais donc, votre but était de faire une chanson engagée et non romantique.
- On voulait dire que des deux côtés du Mur se trouvent des gens qui ont plus à partager qu’ils ne le pensent et qu’une fois ce mur tombé, ces gens-là s’aimeront, expliqua rapidement Wilhelm.
- Et puis, je pense que l’engagement politique n’est pas incompatible avec le romantisme, reprit Maria. Je pense que cette chanson doit faire réfléchir tout ceux qui l’écouteront.
- C’est un honneur que vous soyez venu ici, mais vous n’avez toujours pas fait de clip pour ce tube.
- On le fera certainement, mais nous n’en dirons pas plus, termina Maria avec un petit sourire de vainqueur.
Moser était en train de fumer dans la loge du duo. Soudain, il se mit à les applaudir bien fort et les prit un par un dans les bras. « Bravo ! C’était génial pour une première fois à la télé ! » s’exclama-t-il. En sortant du studio, il les invita à manger dans un restaurant chic de Francfort. Depuis la loge, il avait suivi le passage en direct des deux artistes et il était réellement satisfait de leur prestation musicale. Cependant, il avait envie de quelque chose qui devait être plus entraînant et plus dansant. Karin et Leonard vinrent plus tard dans la soirée dans l’appartement de Moser pour boire un pot. Leonard décida de prendre par l’épaule Wilhelm pour l’emmener sur la terrasse, et ils prirent une bouteille de whisky ainsi qu’un paquet de cigarettes. Le Belge avait du mal à voir les deux Allemands comme des rivaux. Ils étaient sympathiques, humbles, et ils étaient stables psychologiquement. Rien à voir avec certains groupes qui étaient devenus addicts aux substances illicites.
- Toi aussi tes parents t’en veulent de pas vouloir poursuivre tes études et que tu veuilles vivre la vie d’artiste ? Demanda Leonard.
- Oui, bien sûr, répondit Wilhelm. Après, ils sont contents pour moi que ça baigne, mais je sens que celui qui désapprouve le plus ce choix, c’est mon père.
- Je me demande ce que ça pourrait donner ça, si on faisait un groupe à quatre. Est-ce une mauvaise idée ou faudrait-il qu’on pose la question à Moser ?
- On doit faire gaffe à ce que la presse ne nous mette pas dos à dos et que l’on finisse par se détester alors qu’on a pas de raisons de se haïr.
- On devra ce jouer ce rôle tôt ou tard, oui. Moser nous a appelé pour vous voir à la télé, et vous en vous en sortez bien tous les deux, je trouve. Nous aussi on ira sur le plateau de Hitparade !
Quelques mois plus tard, Mund in Bremen passa effectivement à l’antenne de ZDF. Wilhelm et Maria regardèrent l’autre duo se produire en direct, mais ils sentaient qu’il y avait une forme de malaise qui régnait pendant ce passage. Karin et Leonard avaient l’air intimidé en ayant ces caméras scrutés sur eux, et ils firent des réponses confuses à la présentatrice. Moser n’était pas du tout satisfait de ce passage, car cela le remettait en question, et il devait rattraper la sauce. En fin d’après-midi, il téléphona à Wilhelm pour lui faire un rapide débriefing. Au bout de cinq minutes de monologue, Willy finit par dire.
- Effectivement, il n’y avait aucune énergie dans leur passage. J’étais déçu pour eux.
- Tu n’as pas à l’être, répliqua sèchement Jürgen. Vous, vous n’avez rien à vous reprocher, car vous faites du mieux que vous pouvez. Eux, ils ont déconné à fond. J’hésiterais à les lâcher, tu vois.
- Herr Moser, je vous en prie, donnez leur une seconde chance ! Ils ont besoin qu’on les aide à se sentir mieux en public.
- T’as sans doute raison, oui, lâcha le producteur quelques secondes plus tard. Je comptais faire de Karin la parolière de votre groupe, et de Leonard le deuxième guitariste. Je voulais fusionner vos groupes.
- Si vous pensez que c’est une bonne chose, faites-le.
En raccrochant le téléphone, Moser fit une tête satisfaite.

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