Chapitre 6

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Quand il était dans son appartement francfortois, Jürgen appréciait de s’installer dans son canapé, un cigare à la main et un verre de whisky pur avec des glaçons sur la table. Il pouvait passer des après-midi entiers à écouter ses vinyles, notant des rythmes, des paroles et des messages passés par les artistes qu’il trouvait intéressants et puis, il fuyait énormément dans ses pensées. Ces petits moments de solitude lui faisaient du bien.

Et Moser était conscient qu’au sein de son label, ce n’était pas possible qu’il y ait deux groupes célèbres. Entre Mund in Bremen et Bavaria, il devait faire un choix pour déterminer qui serait celui qui ferait tenir son label. Si Mund in Bremen faisait des chansons qui pouvaient toucher tout un chacun, à la manière de Phil Collins, avec une chanteuse qui pouvait faire office de la copine idéale pour de nombreux jeunes hommes, Bavaria eux avait le rythme idéale avec en prime une chanteuse qui savait bien danser. Dans son bureau, Moser avait des photos des artistes, ainsi que des cassettes des prestations musicales qu’ils avaient fait.

Karin avait la tête de la fille trop sage de la classe. Son pull-over rouge, son jean large et ses bottines en cuir la rendait oubliable, car ce n’était pas un look assez excentrique. Son acolyte, Leonard, avec ses longs cheveux bouclés, sa moustache et sa chemise à carreau lui donnait l’air d’un homme sorti tout droit des années 70. Humainement, Jürgen n’avait rien à redire car il les trouvait sympathiques, mais ils semblaient en décalage avec cette fin des années 80.

Ceux qui méritaient d’aller sur le devant de la scène, c’était bien Wilhelm et Maria. Pourquoi ? Parce qu’ils n’avaient pas le mal-être de Leonard et de Karin, ils avaient l’air épanoui dans leur vie. Et tous les deux avaient une complicité qui se ressentait, qui faisait du bien. Dans quelques années, s’ils arrivaient à avoir le succès qu’ils espéraient, il n’y aurait aucuns soucis à les voir faire salle comble et même de faire le tour des télés européennes pour s’introduire dans divers pays !

A présent, la question était de savoir comment garder le meilleur des deux groupes dans un seul et même duo. Karin et Maria avaient toutes les deux plus ou moins le même timbre de voix et de toute façon, avec un peu de montage il n’aurait aucun mal à donner l’illusion que c’était bien Maria la chanteuse. Leonard et Wilhelm étaient des bons musiciens. Ils pourraient tous les deux faire un enregistrement pour qu’ensuite le son soit mis en boucle et des faux musiciens joueraient ces pistes. Mund in Bremen serait un groupe qui n’existerait plus, alors que dans la réalité ils seraient les marionnettistes de Bavaria. Moser téléphona à son avocat, Stefan Marx, pour obtenir des conseils sur la signature d’un contrat avec Wilhelm Müller et Maria Schäfer. Peu avant Noël, Wilhelm et Maria revinrent voir leur nouveau patron.

Au bout d’un an, il était grand temps pour eux de passer à la vitesse supérieure et le producteur leur annonça que Mund in Bremen n’existait plus. Karin et Leonard, déçus, avaient décidés de retourner dans leur pays respectif. Les deux artistes prirent mal la nouvelle, car ils appréciaient le groupe qui aurait pu être leur concurrent et Maria intérieurement espéra pour eux qu’ils arriveraient à se lancer de nouveau dans la musique. Müller trouva cela profondément injuste. A la fin de leur conversation, Moser leur donna à chacun leur cadeau de Noël. Tous les deux reçurent un Walkman, accompagnée de leur premier album en K7. Cet album se nommait « Folies parisiennes » et l’illustration de la couverture les représentaient de dos, en train de regarder la Tour Eiffel, avec des vêtements de printemps. Le dos de la cassette montrait leur visage souriant, avec en arrière-plan Notre-Dame.

L’album allait sortir pour le grand public en janvier 1988, et les quelques tubes sortis faisaient déjà un tabac en Europe de l’Ouest. En dehors de l’Allemagne de l’Ouest, c’était au Luxembourg qu’ils connaissaient un succès et la tournée européenne qui commençait à être préparée allait forcément faire une étape dans le Grand-Duché. Maria voulut remettre sur le tapis le sujet de Mund in Bremen, et lança une perche.

- Vous aviez envie de faire une fusion de groupe, non ? Ils étaient talentueux, je trouve.

Moser fit un petit rire nerveux, avant de répondre.

- Je n’avais pas le choix de me débarrasser d’eux, car je ne peux pas me permettre de faire passer à la télé des personnes mal à l’aise avec le public, se défendit-il. Marlene est une très bonne amie à moi, elle chercher des talents auprès de moi et des autres producteurs de musique. Ses intuitions ne se trompent pas. C’est pour ça que vous êtes ici, assis avec moi, et pas eux.

- J’espère qu’ils auront l’occasion de pouvoir revenir sur scène, dit Willy.

- Ils le pourront s’ils apprennent de leurs erreurs et surtout qu’ils arrivent à se trouver un autre producteur prêt à les prendre sous leur aile.

- J’aimerais garder contact avec eux, réagit Maria. J’ai pas pensé à leur demander leur coordonnées pour garder contact.

- Ils veulent plus entendre parler de vous. J’en suis désolé pour vous. Ils vivent ça très mal que vous ayez pris leur place. Mais ne culpabilisez pas, au contraire. Soyez faire du chemin que vous êtes en train de parcourir, car il sera très beau, conclua Moser en souriant.

Maria était dubitative, mais cela ne la surprenait pas. Ils se respectaient mutuellement, mais c’était pas du tout impossible qu’ils vivent ça vraiment mal de ne pas connaître leur heure de gloire. Cependant, elle se sentait plutôt proche de Karin et elles avaient passés de bons moments dans le studio de Moser. Willy avait récupéré le numéro de téléphone de Leonard, mais ce dernier ne lui répondait plus et il mit cela sur le compte de la déception, de la jalousie. Leurs parents vinrent les rechercher à l’aéroport de Munich-Riem, et ce fut à ce moment-là qu’ils comprirent que ça serait peut être leur dernier repas de Noël en famille, en étant de parfaits anonymes.

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