Chapitre 8
- Je ne devrais pas en parler ici, fit Moser en chuchotant, mais je suis en train de préparer pour vous une tournée en Europe de l’Est. Vous chantez en allemand ou en français, vous n’avez fait aucunes critiques des régimes socialistes, vous êtes tout à fait clean pour ça.
Le trio attendait leur vol pour Munich au départ de l’aéroport de Londres-Heathrow, au Royaume-Uni. Ils occupaient une table au salon de British Airways. Ce séjour londonien avait été organisé, car Moser voulait que ses artistes fétiches renforcent leur présence au sein du marché britannique, et le groupe suscitait tellement de curiosité que certaines chaînes de télés américaines voulaient qu’ils fassent le déplacement aux Etats-Unis !
- Avec des dates en URSS ? Demanda Willy.
- Avec des dates en URSS, confirma Moser. Si vous écriviez des chansons pour eux, ça leur ferait plaisir.
- Jürgen, je suis désolée de vous dire ça, mais lors de notre passage, j’avais l’impression que ma voix en playback ne correspondait pas aux enregistrement originaux, fit remarquer Maria.
- C’est parce qu’on entend mieux les sons en live qu’en enregistrement, répondit Moser. Bon, pour revenir à mon idée, j’ai prévu des dates en RDA, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie et évidemment URSS. La tournée serait de quatre mois, de septembre à janvier.
- Je préférais l’idée de faire une tournée dans le monde libre, répliqua Willy qui posa sur la table un magazine qui montrait en couverture le visage d’un Gorbatchev souriant.
- Tu sais, que les jeunes soient est-allemands, soviétiques, américains ou italiens, ils aiment tous les mêmes choses. La seule chose qui les différencie, c’est qu’une catégorie vit dans le monde libre – comme tu dis – et l’autre doit écouter Deep Purple en cachette.
- J’ai entendu dire que les populations étaient plus que contrôlées et je me dis que si on dort dans un hôtel en Allemagne de l’Est ou en Hongrie, on aura nos pièces truffées de micros, réagit Maria qui venait de jeter un œil sur l’heure d’embarquement de l’avion.
- Ecoutez, ça fait un an que je prépare cette tournée, rétorqua sèchement Moser, et j’ai déjà eu un accord pour un concert à Budapest. La machine est en marche, je ne peux plus faire demi-tour à présent. Vous verrez, ça sera quelque chose de formateur pour vous, car vous allez voir que nous on a la chance de vivre dans un pays libre.
- Et si on va aux Etats-Unis ? Demanda Willy
- Pas avant deux ans.
Dans l’avion qui les ramenaient en Allemagne, Maria posa sa tête sur l’épaule de son compagnon. Elle repensa à l’idée de faire une tournée de l’autre côté du Rideau de fer, et cela ne l’enchantait pas du tout. On disait que les gens là-bas ne mangeaient pas à leur faim, ne connaissaient pas l’abondance des magasins de l’Ouest et c’était su de tous que s’ils voulaient une voiture, ils devaient attendre dix ans avant de l’avoir car ils étaient sur une liste d’attente. Et d’une manière générale, elle ne la sentait pas cette affaire. Moser se trouvait juste à l’arrière du jeune couple, à regarder pensivement le paysage qu’ils survolaient tout en buvant la bière qu’il venait de commander à l’hôtesse. Dans sa serviette était présent un billet de la SABENA pour Bruxelles où il avait prit rendez-vous avec Karin et Leonard.
Leonard avait accepté de venir récupérer le producteur à l’aéroport. Il le salua très froidement, mais Jürgen était heureux de retrouver le jeune homme. Leonard ne voulait pas du tout discuter sur le trajet, et lorsqu’ils arrivèrent à leur maison, Karin ouvrit la porte d’entrée tout en croisant ses bras. Voir Moser avec son petit sourire l’énerva encore plus et elle ignora froidement la main qu’il lui tendait. Une marmite avec des pâtes était posée sur la table. Seules deux assiettes étaient préparées, ce qui choqua Moser. « On a de la bière, si vous voulez » dit Leonard, mal à l’aise.
- Vous avez oublié que j’étais un être humain et que j’avais besoin de manger, c’est ça ? Demanda Moser sur un ton passif-agressif. Harald voudrait que vous lui envoyé des textes qu’il présentera à Wilhelm et Maria. Grâce à vous, ils sont en train de cartonner.
- Pourquoi est-ce que quand vous venez, vous êtes toujours en train de nous raconter comment ils progressent pendant que nous on est dans la merde à cause de vous, hein ? Demanda Karin
- Les rôles auraient pu être inversés si vous aviez mit du vôtre.
- Vous ne manquez pas de culot pour nous dire une chose pareille ! Cria la jeune femme, les larmes aux yeux.
- Ce que vous faites est malhonnête ! J’espère que vous vous en rendez compte !
- Leonard, je peux te parler cinq minutes dans une pièce isolée ? Demanda calmement Moser.
Le jeune homme avait l’impression de trahir sa copine en acceptant de suivre Moser dans une pièce relativement isolée de la cuisine. Cela ne plaisait pas à Jürgen d’être aussi mal reçu alors qu’il avait accepté d’enchaîner avec un rendez-vous avec eux après son retour de Grande-Bretagne. Leonard prit la parole pour expliquer ce qui n’allait pas et ce qui mettait Karin dans cet état-là. Jürgen fit un petit sourire, puis s’expliqua.
- Je suis désolé de te dire ça comme ça, mais je voulais comme chanteuse une jolie fille avec une jolie voix. Karin est mignonne, mais elle n’a pas la beauté, ni le charisme de Maria. Et je vous ai proposé de devenir paroliers et que Karin fasse la voix de Maria parce qu’elle a une jolie voix.
- Et donc, vous venez ici pour justifier votre manque de respect à notre égard ? Fit Leonard, d’un air choqué.
- Si je vous manquais réellement de respect, tu crois que je vous aurais laissé tomber ? Non, parce que vous avez du talent au niveau parole.
- Alors pourquoi vous nous avez reproché un manque d’investissement de notre part tout à l’heure, hein ? C’est très gentil à vous de nous filer du fric, car on a pu s’acheter une maison et deux bagnoles, mais sachez qu’on s’est toujours donné pour la chanson. On a toujours fait du mieux qu’on pouvait.
- Je n’en doute pas. L’album en préparation sera certainement à enregistrer en fin d’année. Je dis ça, je dis rien.
Karin continuait de pleurer lorsque Moser et Leonard quittèrent la maison. Moser décida de passer la nuit à Bruxelles avant de regagner dès le lendemain Francfort. Il se surprit soudainement à penser à l’image qu’il venait de voir de Karin, effondrée sur la table, en train de pleurer. Cela ne le touchait plus, car de nombreux artistes avant elle avaient déjà fait leur crise de larmes en se sentant humilié par une fin de contrat ou par une audition ratée. Pour autant il ne méprisait pas cette attitude, cela ne l’atteignait pas.

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