Chapitre 9
Maria se contempla dans le miroir du dressing de leur appartement. Elle portait une robe fourreau fleurie et d’élégantes sandales à talons aiguille. A vingt-six ans, la jeune femme avait l’impression de ne plus être la même et ses tenues d’été avaient une autre allure que ce qu’elle avait l’habitude de porter auparavant. Elle avait sans doute grandie entre temps, ses goûts vestimentaires avaient bien évidemment changés depuis ce temps-là et elle se demandait si elle aurait changée sa façon de s’habiller en devenant une célébrité ou si dans tous les cas, elle l’aurait quand même fait.
Wilhelm avait jeté son dévolu sur une superbe Mercedes 124 et Moser, connaissant des publicitaires, leur proposaient à présent de poser pour certaines grandes entreprises. Pour une fois, Maria voulait se prêter au jeu et avait accepté de poser pour des publicités pour Lufthansa. La prochaine étape serait qu’ils tournent une publicité pour Opel ou Audi. En contrepartie, ces entreprises se proposaient à devenir des « sponsors », leur proposant ainsi des produits de leur marque, ainsi que des places offertes pour des voyages. Ensemble, ils prirent la voiture pour se rendre chez les parents de Maria qui organisaient une soirée chez eux.
Les parents de Wilhelm étaient présents, faisant ainsi pour la première fois connaissance. Ensemble, ils sympathisèrent assez facilement, et la sœur de Maria, Victoria, était présente également avec son petit copain, Julian. C’était un couple d’architectes qui habitaient à Düsseldorf. Julian prenait du plaisir à parler des projets sur lesquels ils étaient en train de travailler, mais il semblait plus réservé sur l’attitude de Maria et Wilhelm. A vrai dire, il n’appréciait pas tellement ces artistes connus qui vivaient dans l’opulence. Il trouvait ça indécent de faire ce qu’il appelait un « concours de qui a la plus grosse ».
- Ne sois pas hypocrite, réagit sèchement Wilhelm, car tu ferais la même chose que nous si tu étais à notre place.
- Seulement, je ne le suis pas, et cela ne m’intéresse pas, répondit-il.
- Pourtant, l’architecture est une forme d’art et la musique aussi. Tu as des architectes connus, car ils ont fait des monuments et des trucs comme ça.
- Tu veux en venir où au juste ? Intervint Victoria.
- Qu’un jour, vous pourrez devenir des architectes connus, et donc que comme nous, vous aurez envie d’aspirer à vivre comme des gens de votre statuts social.
- Etre connu ne t’oblige pas à rouler en Ferrari et à vivre dans une villa à plusieurs millions de Deustch Marks.
- Tu verras que j’ai raison, rétorqua froidement Willy.
Maria n’avait pas envie de poursuivre le débat. En fait, elle n’osait pas montrer qu’elle était d’accord avec Julian, surtout que leur appartement était rempli de cadeaux de Moser, et cela la gênait toujours de voir Wilhelm défendre un mode de vie qu’on lui avait offert, et non pas qu’il avait pu se permettre de se payer en gagnant sa vie dans un travail stable. A la fin de la soirée, lorsque la tension fut enfin retombée, Martin voulut parler quelques secondes avec sa fille avant qu’elle ne retourne à Munich. Lorsqu’il lui demanda si elle allait bien, elle répondit négligemment un « Oui, tout va bien » avec un petit sourire rassurant, mais qui masquait en réalité une certaine douleur.
Si Wilhelm était heureux de devenir une personnalité connue en Allemagne, Maria appréciait beaucoup moins de se faire accoster par des inconnus qui venaient la voir comme s’ils la connaissaient depuis des lustres. Cette vie n’était pas faites pour elle, mais d’un côté il y avait de nombreux avantages qu’elle ne pouvait pas nier. A commencer par l’argent qu’ils arrivaient à gagner tous les deux. Et Maria était parvenue à convaincre Wilhelm de placer tout cet argent dans des comptes en banque afin d’anticiper une fin de popularité qui finirait inévitablement par arriver dans quelques années. Pour le coup, c’était la seule chose qui retenait pleinement l’attention de Wilhelm. Il était tout à fait d’accord pour faire fructifier cet argent pour continuer à maintenir un certain train de vie à la fin de leur carrière.
Sur le trajet retour, Wilhelm n’arrêtait pas de critiquer Julian. Maria se contenta simplement de regarder les autres voitures qu’ils doublèrent dans la nuit et puis elle en avait marre d’entendre râler l’autre sur leur futur beau-frère. A vrai dire, elle n’appréciait pas beaucoup Julian qu’elle considérait comme un connard, le type de mec qui se prend pour un grand intellectuel et qui se permet de mépriser tout le monde car il a compris quelque chose et est trop fier de le répéter à tous. Au moment où ils rentrèrent dans leur appartement, Willy se précipita vers leur minibar pour préparer des cocktails. Maria retira ses sandales et se laissa tomber sur leur canapé, posant ses pieds sur la petite table en verre qu’il y avait en face de leur télé. Willy s’installer à côté d’elle, pour lui tendre le verre et dit.
- Ma chérie, qu’est-ce qui ne va pas ? Ca fait quelques jours que tu tires la tête, lui fit-il remarquer.
- Ca t’es arrivé de te demander récemment ce qu’aurait été ta vie si t’étais devenu ingénieur et moi professeur ? Est ce qu’on aurait été en couple, est ce que j’aurais été toujours avec Jochen, est-ce que tu te serais trouvé une copine ailleurs ? Demanda-t-elle en regardant droit devant elle.
- Qu’est-ce que tu me racontes encore ?
- Chéri, je t’aime, mais je me demande encore si nous avons fait le bon choix de signer chez Moser. Si on stoppait notre carrière, je ne sais pas si on arriverait à retomber dans l’anonymat, reprit-elle. J’ai l’impression de ne pas supporter cette célébrité.
- Mais t’étais contente quand on l’a vu pour la première fois ! S’exclama-t-il, surprit par ses confidences. Cette idée de te faire un paquet de fric en chantant, c’était un truc qui te plaisait. On voyait ça tous les deux comme la chance de notre vie de pouvoir vivre de notre passion pour la musique ! Et je peux te dire que moi, je suis très heureux du chemin qu’on est en train de prendre.
- J’en doute pas.
- En fait, ça m’arrive parfois de penser à Karin et Léonard et je me sens blessée qu’ils nous fassent la gueule alors qu’on s’entendait bien ensemble. Je suis sûre qu’on aurait fait un superbe groupe tous les quatre, mais c’est foutu.
- Ils sont allés aussi loin qu’ils pouvaient, et ça c’est pas rien.
- Ils méritaient autant leur chance que nous.
- Mais ils n’étaient pas aussi bons que nous. C’est ça la vérité.
- On est aussi un groupe jetable, lui fit remarquer Maria.
Quand le Mur de Berlin s’effondra, Wilhelm et Maria furent à Eze pour une soirée en compagnie d’artistes et d’amis de Moser. Ce fut le producteur lui-même qui vint leur annoncer à tous la nouvelle, et il sortit du frigo des bouteilles de champagne. L’homme semblait ému par cette nouvelle. Les invités furent surpris par cette annonce, ne sachant pas comment réagir. Certains se mirent à avoir peur d’une stratégie soviétique qui leur permettrait d’envahir l’Allemagne. Une amie de Moser se leva de sa chaise, la coupe de champagne à la main et commença un discours.
- Eh bien, mes amis, je pense que ce soir nous avons été les témoins d’un évènement historique absolument extraordinaire et j’aimerais qu’on lève notre verre à ces familles déchirées qui pourront enfin se réunir, mais surtout à cette Allemagne qui sera de nouveau unie ! Lança-t-elle en brandissant son verre.
Tous les convives applaudirent, avant de tous s’asseoir à une grande table où un traiteur était venu pour préparer le repas. L’atmosphère était étrange, car c’était un peu comme un choc qu’ils étaient en train d’endurer. Tous avaient du mal à réaliser que le monde qu’ils avaient connus jusqu’à présent était en train de changer et que cela annonçait certainement de meilleurs lendemains. Ceux qui avaient de la famille en ex-RDA étaient en larmes, heureux d’apprendre qu’il serait plus facile de pouvoir les voir à nouveau. Moser présidait le repas, ému par cette soirée. L’amie de Moser qui avait fait son discours était assise à côté de Willy, et ensemble ils discutèrent de tout et de rien. C’était une journaliste du nom de Jutta Hammond. Jutta avait cinquante trois ans, elle était allemande par sa mère et anglaise par son père. Willy la trouvait encore très séduisante avec ses cheveux roux, sa peau un peu pâle et surtout la robe qu’elle portait ce soir-là. Maria discutait tranquillement avec un ami d’enfance de Moser du nom de Frantz. Ils étaient les seuls jeunes présents, mais ils arrivaient à faire un tabac au milieu d’eux, car ils savaient se montrer accessibles et comme ayant une vie sans excès.
Résultat : Tout les monde les félicitèrent ! Et Moser lâcha un « Ils sont aussi sages que des enfants de choeur ! » ce qui fit rire toute l’assemblée. L’épouse de Jürgen était présente et dansa avec son époux lorsqu’ils se mirent à danser après le repas. Son épouse était française, du nom de Marie-Sophie. C’était elle qui avait fait acheter la maison à son époux, car elle avait un vrai attachement à la Côte d’Azur. En fait, la villa lui servait de lieu pour se ressourcer et trouver de l’inspiration pour ses collections de vêtements. Styliste, elle avait son atelier à Paris avec quelques boutiques dans le monde. Le fait que le Bloc de l’Est était en train de tomber la réjouissait, car elle voyait une opportunité pour ouvrir des ateliers en Bulgarie et en Roumanie. Et puis, ça serait de nouveaux lieux pour trouver des clients.
Le lendemain, elle emmena le jeune couple avec elle pour passer la journée à St-Tropez. A cette période de l’année, il y avait très peu de touristes, ce qui était l’occasion rêvée pour avoir une expérience plus authentique de la vie méditerranéenne. Par chance, personne ne les reconnut. Marie-Sophie se rendit compte que ça faisait trois ans qu’elle n’avait jamais vu ces « jeunes artistes très prometteurs » dont parlait souvent son mari. Elle prétendit soudainement vouloir regarder une vitrine d’un magasin d’habits pour observer la façon dont ils s’habillaient tous les deux. Maria, avec son trench-coat et ses bottes en cuir dégageait une énergie de confiance et d’élégance ; Wilhelm, avec son blouson en cuir, son jean et ses baskets, donnait l’image d’un homme qui se laissait aller. En rentrant de leur excursion, la styliste nota dans son carnet toutes les impressions qu’elle avait eu en les voyant tous les deux. Au petit-déjeuner, elle se mettrait à leur exposer son idée qu’ils aient une meilleure tenue pour se produire sur scène.
Ce fut en Allemagne que Jürgen leur fit la remarque, ce qui les indigna. Ils avaient pas envie de s’habiller de façon fantasque, excentriques sur scène car les artistes n’avaient plus ce côté provocateur qu’il y avait eu au début des années 80. Maintenant, certains cherchaient à avoir une image plus sage. Moser avait surtout envie qu’ils aient leur propre identité sur scène et donc des costumes. Sa femme était prête à fournir les tenues, ainsi que les chaussures. Mais pour ça, il fallait qu’ils aillent la retrouver à Paris, où elle avait son atelier de confection.
Ainsi, Willy et Maria retournèrent une nouvelle fois dans la Ville Lumière. Moser acceptait de leur payer quelques jours d’hôtel, car pour lui c’était important qu’ils puissent en profiter sans avoir l’impression de faire un déplacement uniquement dans le cadre professionnel. A chaque fois qu’ils partaient à Paris, ils avaient cette envie de s’acheter un appartement tellement cette ville était belle. Tous les endroits les faisaient rêver, car ils étaient si différents, si unique en leur genre. Même si certains de leurs fans étaient prêts à les harceler, les autres étaient bien plus bienveillants et les considéraient comme un jeune couple de touristes qui cherchaient simplement une expérience romantique.
En entrant dans l’immeuble qui abritait le studio de créations de la Maison Bouquet – L’entreprise de Marie-Sophie - , un réceptionniste en costume-cravate et avec les cheveux gominés les accueillit chaleureusement. L’homme les fit patienter dans une petite salle d’attente où il leur apporta quelques instants plus tard un service à café accompagné de petites pâtisseries. Maria en profita pour lire rapidement un journal qui traînait. Au bout d’une heure d’attente, Marie-Sophie arriva dans la salle d’attente, puis leur fit visiter les ateliers où des modèles essayaient certaines pièces. Des employés étaient en train de dessiner des robes, des chemises et même des chaussures. Ils purent même toucher certains rouleaux de tissus pour voir à quel point c’était de la qualité. La mission séduction de Marie-Sophie était accomplie ! Lorsqu’ils furent dans son bureau, elle leur présenta un livre avec des croquis de vêtements, de costumes de scène et des échantillons de tissus. Après une explication de chacune de ces tenues, elle dit.
- Mon mari veut que vous ayez une identité unique sur scène, il veut que vous soyez facilement identifiables. Vous savez, Jürgen est un homme qui adore le spectacle, même s’il ne le montre pas. Vos concerts sont un succès, mais en vous réinventant, vous aurez certainement une meilleure presse.
- C’est qu’on a pas envie de se retrouver avec des fringues peu confortables, lâcha Willy.
- C’est plus que des « fringues », comme vous dites, que je suis en train de vous proposer ! Rétorqua l’épouse du producteur, d’un ton irrité. Vos tenues doivent être iconiques.
- Vous seriez prêtes à nous faire une tenue par concert, voir même par tournée ? Demanda Maria, pour faire diversion.
- Oui bien sûr. Tout dépendra de ce que vous auriez envie, répondit la couturière tout en faisant un regard mauvais à Willy. Mon mari m’a dit qu’il vous préparait une tournée en Europe de l’Est, c’est ça ? Vous avez de la chance, ça va finir par devenir des démocraties.
Quand ils quittèrent la Maison Bouquet, le jeune couple se décida à marcher de nuit dans les rues parisiennes. Tous les deux commencèrent à réaliser que quelque chose était en train de leur échapper.

Annotations
Versions