[1990-1998] Chapitre 10
Leur premier concert eut lieu à Budapest, en Hongrie. La tournée que Moser prévoyait venait de commencer en ce mois de juin. Willy et Maria avaient eu un choc en arrivant dans la capitale hongroise, car c’était une capitale européenne, mais avec peu de voitures, des immeubles mal entretenus, une population encore pauvres et marquée par une occupation de plus de quarante ans par les forces armées soviétiques. En coulisse, ils étaient tous les deux stressés par leur spectacle, mais cela les toucha profondément lorsqu’en arrivant sur scène ils virent une immense foule en délire, en train de scander leur nom et qui était heureuse de découvrir quelque chose qu’ils n’avaient jamais eu auparavant. Le spectacle plut énormément aux spectateurs venus très nombreux pour l’occasion. Et lorsqu’ils retournèrent en coulisse, Jürgen les accueillit à bras ouverts, souriant. Dans la loge, ils trinquèrent autour d’une bouteille de champagne et puis le producteur leur annonça que demain, une journaliste hongroise irait les interviewer sur cette première date. En fait, dans chaque capitales où ils iraient jouer, des journalistes allaient s’empresser de faire un entretien avec un groupe venant de l’Ouest et qui ferait partie des premiers groupes de musique occidentaux à venir divertir ces foules qui n’avaient jamais vraiment eu l’occasion de faire la fête.
Le lendemain, la journaliste vint directement dans la chambre qu’ils partageaient. Elle commença par leur demander leurs premières impressions sur la ville, et puis sur comme ils avaient vécus ce premier passage à l’Est depuis la fin de la chute du Mur. D’après les premiers retours, ce qui avait plu, c’était la chanson en hommage à la Hongrie qu’ils avaient chantées. Les deux artistes avaient de nombreuses louanges à faire sur Budapest, mais dans le fond pour cette première date de leur première tournée à l’étranger, ils avaient du mal avec cette partie qui se faisaient en Europe de l’Est. Pour eux, c’était beaucoup trop prématuré pour faire des évènements pareils, et puis ils avaient l’impression d’être dans une univers parallèle alors que Budapest était à un peu plus de six-cents kilomètres à vol d’oiseau de Munich. Heureusement, c’était qu’une tournée de deux semaines !
Néanmoins, ils avaient quand même envie d’en profiter, alors ils profitèrent du reste de la journée pour un peu se promener le long du Danube, côté Pest, avant de partir de nouveau par la soirée. Les prochaines dates se firent à Bucarest, et puis ensuite ils iraient à Sofia, Varsovie, Vilnius, Riga, Tallin avant d’aller à Prague, puis de finir la tournée à Berlin-Est. Le mois de juillet était arrivé très rapidement. C’est alors que pour se reposer, ils s’envolèrent à destination de Majorque, aux Baléares. Ils n’avaient jamais prit le temps de réellement se reposer, trop occupé à composer, chanter, puis enregistrer des albums et faire des voyages à but professionnel pour essayer des costumes, accompagner Moser qui voulait leur présenter un meilleur matériel sono qui paya lui-même au nom de sa société. Ainsi, ils avaient loué une grande villa avec une vue sur la mer.
Willy adorait regarder le soleil se coucher, avec sa lumière qui se reflétait sur l’eau et voir ces petits bateaux qui naviguaient paisiblement. Ils mangèrent tous les deux sur la terrasse, avec pour contempler ce spectacle avant de se rendre en boîte pour se défouler et recommencer le lendemain. Un soir, ils décidèrent de ne pas sortir, trop fatigués pour s’amuser. Mais cela ne les empêcha pas de mal dormir, car ils se posaient des questions sur la suite de leur carrière. Il y avait beaucoup de choses qu’ils n’avaient pas prévu, notamment la fatigue, mais c’était surtout l’exigence du métier, la célébrité qui faisait qu’ils étaient de moins en moins tranquille pour faire des tâches anodines et la peur de voir leur carrière s’arrêter net qui les effrayaient.
- Tu te rappelles quand on a essayé les costumes en décembre ? Demanda Maria, quand ils étaient couchés dans leur lit. Toi aussi t’avais l’impression qu’on commençait à perdre notre identité, comme si on leur appartenait à présent ?
- Oui, et je me demande comment t’as fait en juin pour pas crever de chaud avec ta combinaison, répondit Willy.
- Mais je te parle pas de ça ! S’écria-t-elle dans le noir. Avant, on faisait nos concerts dans des vêtements normaux, on faisait quelque chose de classique, reprit Maria en se calmant. Aujourd’hui, on fait des shows à l’américaine et c’est plus dans l’état d’esprit de notre groupe. Je sais pas si tu t’en rends compte.
- Si, mais ça c’est bon signe parce que ça veut dire qu’on a des gens qui sont contents qu’on leur en mette plein la vue. Ils ont envie d’avoir un spectacle son et lumière, pas de voir deux jeunes en train de jouer de la guitare et chanter sur des chaises de bar. Sinon, on aurait dû rester chez Herbert.
Maria commença à soupirer.
- Je vais être plus franche avec toi : T’as pas l’impression qu’on est en train de faire ce qu’ils ont envie qu’on fasse et pas ce que nous on veut au fond de nous ?
- Il nous préconise ce qui semble être bien pour nous, je vois pas où est le mal, rétorqua le jeune homme.
- Dis moi, chéri, de ton propre gré, t’aurais changé ta Golf pour une Mercedes ou pas ?
- Probablement, oui. Mais, j’ai du mal à voir où tu veux en venir en fait. Tu veux qu’on arrête tout ça alors qu’on est dans une pleine période de gloire ? On est placé haut dans des classements, on va probablement même recevoir un Grammy Awards l’année prochaine et on se fait un paquet de fric ! On se fait tellement de royalties qu’on pourra certainement s’acheter une villa ici, à Majorque !
- Tout ça est en train de nous monter au cerveau. Je suis sûre qu’on a tellement changé qu’on ne se rappelle même plus nos anciennes vies !
- On est des riches, c’est normal ! Fit-il en souriant.
- T’es irrécupérable ! Répondit-elle en répondant à son sourire et en lui balançant gentiment son oreiller dans la figure.
Dans l’après-midi, Wilhelm fit des courses, puis rentra et aperçut sa copine au bord de la piscine, sur une chaise longue avec, posé sur une petite table voisine, un flacon de vernis à ongle rouge. Elle faisait sécher ses orteils et attendait que cela soit fini pour s’en mettre sur les doigts. Bizarrement, Willy la trouvait bien plus coquette depuis qu’ils avaient commencé à être connu qu’avant. Certes, elle s’était toujours maquillé, mais jamais elle ne se mettait du vernis. Et dans la soirée, ils allèrent ensemble manger des tapas dans un bar. Plus le temps passait, plus le jeune homme se rendait compte qu’ils formaient un beau couple, mais que c’était dommage qu’elle ne soit pas plus reconnaissante que ça sur le succès qu’ils avaient. Willy ne savait pas si elle jouait volontairement les rabats-joies car elle n’appréciait pas spécialement Jürgen, ou si elle avait toutes les raisons du monde de le détester et de ne pas vouloir trop profiter des petits cadeaux qu’il leur faisait.
Au mois de septembre, Moser les jugea suffisamment prêts, et surtout suffisamment connus, pour pouvoir leur faire traverser l’Atlantique pour se rendre à New York et tenter une entrée en force aux Etats-Unis. Ils passèrent deux semaines chez l’Oncle Sam, à donner des interviews à la télé et à la presse écrite entre New-York, Chicago et Los Angeles. Mais finalement, ils se rendirent compte qu’ils avaient du mal à convaincre ces journalistes, et Moser leur avoua que les albums qu’ils avaient pu vendre aux Américains n’étaient pas de franches réussites. Cela déçu profondément le duo. Par contre, ils avaient su conquérir le coeur des Polonais et des Hongrois. La prochaine étape était donc d’envisager trois dates en URSS.
Wilhelm avait à présent vingt-cinq ans, Maria en avait vingt-sept. Tous les deux réalisèrent qu’avec l’argent qu’ils arrivaient à se mettre de côté chaque mois, ils pouvaient envisager de fonder une famille, ainsi que d’acheter une plus grande maison pour que leurs enfants puissent y grandir, à l’abri des caméras. Ainsi, entre plusieurs phases de répétition, d’interviews et de quelques concerts en Allemagne, ils prirent le temps de faire un tour dans les agences immobilières pour chercher la maison de leur rêve.
Leur coup de coeur se porta sur une charmante villa bavaroise située à mi-chemin entre Munich et la frontière autrichienne. La villa ressemblait à un énorme chalet, avec une façade blanche et des petits balcons en bois. Une cour en gravier leur permettait de stationner leur voiture. Et l’intérieur était très lumineux avec des murs blancs, et des poutres visibles. C’était ça la maison de leur rêve ! Cependant, Willy avait quelque chose qui le démangeait depuis de nombreux mois : il souhaitait faire sa demande en mariage !
Histoire de prendre du bon temps, le jeune couple choisit de partir passer quelques jours à Vienne, en Autriche, pour se reposer. La neige était parvenue à transformer l’ancienne capitale impériale des Habsbourg en une ville absolument féerique avec ses trottoirs enneigés et parfois quelques flocons qui tombaient. Ensemble, ils tombèrent amoureux de cette ville où ils n’avaient jamais été auparavant et au cours de certaines de leur discussion, ils envisagèrent même d’acheter un appartement là-bas. Bien évidemment, ils allèrent faire un tour au marché de Noël qui était situé au pied de la cathédrale St-Stéphane. Ils prirent un café à emporter avant de reprendre leur chemin. Soudain, Maria dit « Je te trouve soucieux ces derniers temps. Peux-tu me dire ce qui ne va pas ? »
Willy tressaillit, mais ignora la question de sa compagne. Après s’être débarrassé de son gobelet, il se mit à genoux, face à Maria qui se demandait ce qui se passait. De sa poche, il sortit une boîte qu’il ouvrit et puis d’un ton solennel, et les yeux légèrement embué, il demanda « Mademoiselle Schäfer, voulez-vous devenir mon épouse ? »

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