Chapitre 12
A la fin de l’année, ils apprirent qu’ils étaient nominés pour les Grammy Awards à Los Angeles. Moser s’occupa de faire la communication autour de cette annonce auprès de la presse allemande. Aussitôt, de nombreux journalistes eurent envie de faire une interview avec Bavaria, car c’était rare qu’un groupe de pop allemand soit invités à cette cérémonie. En fait, le dernier groupe avant eux avoir été nommé était Kraftwerk, en 1980.
Le dernier entretien qu’ils avaient pu donner fut à un magazine de musique au mois de janvier, quelques semaines avant leur départ pour la Californie. C’était une jeune journaliste qui vint chez eux, dans leur appartement munichois. La jeune femme se sentit intimidée lorsque Maria lui ouvrit chaleureusement la porte. Elle ne s’attendait pas du tout à ce que de grands artistes internationaux se comportent aussi gentiment avec, et qu’ils n’avaient pas l’air de se donner de grands airs importants. Wilhelm avait préparé sur un plateau des tasses de thé, ainsi que quelques pâtisseries à déguster. Les deux femmes étaient en train de discuter toutes les deux avant de commencer cet entretien.
- Vous êtes heureux de faire partie de ces groupes allemands qui ont su avoir ces Grammy Awards ? Demanda la journaliste.
- Bien sûr ! Répondit spontanément Willy.
- En fait, ce qui nous rend heureux, c’est que nous participons à une certaine reconnaissance de la culture allemande à l’international, ajouta Maria. Je suis heureuse de savoir que nous allons nous rendre à Los Angeles.
- Votre producteur, Jürgen Moser, a dit que vous aviez retenté de percer dans le marché américain et qu’aujourd’hui c’était un succès alors que la première fois, vous aviez fait un bide.
- On a pas bidé, rétorqua Wilhelm, parce qu’à l’époque on a eu une presse américaine qui n’a pas été des plus tendres avec nous. Mais on a su comment rebondir, parce qu’on a prit de la bouteille depuis et puis on a plus de budget pour réaliser nos clips musicaux et parce qu’on a fait une tournée.
- Oui, d’ailleurs les spectateurs de ces pays ont été heureux que des artistes les prennent en considération.
- Parce que la musique n’a pas de frontières, tout simplement, dit Maria. Notre but n’est pas forcément de faire passer un message universel, mais on veut être le plus positif possible dans nos chansons et je pense que pour ces anciens citoyens de dictature, c’était important de leur tendre la main, de leur montrer qu’on pensait à eux et qu’on allait pas les considérer comme des citoyens de seconde zone.
- On nous a dit que vous préparez une tournée en URSS - pardon, en ex – URSS , mais ça vous fait pas peur de partir là-bas alors qu’il y a une tentative de coup d’État et qu’on ne sait pas si le pays sera en guerre civile dans les années à venir ?
- On verra bien, de toute façon. Ne le mettez pas dans votre article, mais si on doit faire une tournée en Russie, ce sera pas avant plusieurs années maintenant, lui confia Maria.
L’entretien dura une quarantaine de minutes et quelques jours plus tard, Moser leur téléphona pour leur annoncer que s’ils le désiraient, ils pouvaient s’inscrire pour la prochaine édition de l’Eurovision. Mais tous les deux se posaient des questions sur la poursuite de leur carrière. Maria était contente de voir qu’enfin son mari avait compris qu’il était totalement manipulé par le producteur, mais de l’autre côté elle s’en voulait d’avoir été aussi violente car après s’être comporté comme un gamin, c’était progressivement un homme qui devenait dépressif. L’idée de partir en Belgique lui trottait toujours en tête. De temps en temps, il évoquait cette idée, et Maria le dissuadait à chaque fois parce qu’elle savait que ça serait destructeur pour lui. Lorsqu’ils allaient voir Jürgen à Francfort, elle faisait en sorte qu’il garde le sourire et qu’il ne fasse pas la tête de quelqu’un qui sait qu’il se fait baiser.
Dans le salon business de Lufthansa à l’aéroport de Francfort, Willy regardait les avions au roulage et décoller depuis la table où ils étaient installer. Il regardait ce spectacle d’un air mélancolique, et sirotait son café. Après avoir rêvé de parcourir le monde, cela ne le faisait plus rêver de voir ces inconnus monter par centaines dans ces Boeing 747 ou ces McDonnell DC-10 parce que si parmi eux se cachaient des hommes d’affaires, lui c’était parce qu’il se sentait devenir une bête de foire pour une ordure. En fait, il n’avait pas envie de se rendre à New York et aurait préféré rester à Munich, à regarder la télé ou à broyer du noir. Maria lui prit ses mains, et se mit à lui des choses réconfortantes, pour le motiver à se rendre aux Etats-Unis.
Ils dormaient dans une chambre séparée, avec un balcon et un mini-bar. Willy décida de dormir un peu pour se remettre du décalage horaire, mais avant ça, il trouva les mignonnettes d’alcool dans le mini-bar. Quand Maria vint le chercher dans sa chambre, elle le vit encore endormi avec ces petites bouteilles en verre qui jonchées le sol. Cela la choqua dans un premier temps, avant de l’énerver dans un second. Elle parvint à le réveiller pour dîner, mais il se mit à vomir. Cela la dégoûta. Soudain, un haut-le-coeur arriva et elle courut aux toilettes pour aller vomir. Wilhelm parvint à tituber pour voir ce qu’il se passait. Cela le dégoûta de voir son vomi. Il avait un fort mal de tête, et lorsqu’il vit Maria sortir de sa salle de bain, il lui demanda d’une voix faible « Toi aussi, tu vas pas bien ? ». Maria le gifla, et son mari perdit l’équilibre et tomba par terre.
- Putain, t’as vu l’état dans lequel tu es, hein ? Demanda-t-elle furieuse. T’as picolé ! T’as vidé le mini-bar à toi tout seul, t’as sali tes draps et…
Elle partit s’installer dans le canapé pour se mettre à pleurer. Maria ne ressentait pas de la tristesse, mais de la honte, de la colère. Elle ne pouvait pas supporter de voir son conjoint devenir un ivrogne. La jeune femme comprenait très bien que son mari puisse être malheureux, mais ce n’était pas une excuse pour sombrer dans l’alcoolisme. Wilhelm parvint à se relever difficilement, puis vint la prendre dans ses bras.
- Je suis désolé de t’embarrasser, je ne veux pas que tu aies honte de moi, au contraire, lui dit-il. Je veux que tu sois fière de moi.
- Je serais fière de toi si t’arrêtais de te laisser-aller, lui répondit-elle en larme. Non seulement tu me fais du mal, mais tu te fais du mal à toi-même.
- Je t’en prie, sois honnête avec moi, est-ce que t’as honte de moi ?
- Mais c’est quoi ces questions connes !? Une femme ne sera jamais fière que son mari soit alcoolique, à part si elle l’est elle-même ! Et si les rôles avaient été inversés, crois moi que t’aurais honte de devoir ramasser ta femme bourrée et de voir son vomi sur le sol de sa chambre d’hôtel ! Finit-elle en larme.
Le repas du soir se fit dans une ambiance des plus tendues. Ils ne se parlaient pas, parce qu’ils n’avaient rien à se dire et puis surtout Wilhelm était en train de saisir la gravité de la situation. Seulement, le verre d’eau qu’il avait devant lui ne lui donnait pas envie de le boire. Ce dont il rêvait, c’était une bouteille de vodka et intérieurement, cela lui redonna le sourire. Pour autant, il était pleinement conscient qu’il venait de blesser sa femme et cela le motiva à se reprendre en main.
Le lendemain matin, il parvint à trouver un fleuriste et il ramena un bouquet pour sa femme. Maria ne comprit pas pourquoi au début, puis il lui rappela la veille. En posant son bouquet sur le lit, elle l’invita à s’asseoir à ses côtés.
- On aura pas des discussions faciles ces prochains mois, mais je t’en prie, ne te mets pas à noyer tes problèmes dans l’alcool, dit-elle fermement. T’as connu mon grand-père, ça le rendait violent, et j’ai pas envie que tu prennes ce chemin là qui fait souffrir tout le monde. En plus, on est des personnalités connues, et ça pourrait te causer beaucoup de torts auprès de la presse.
- J’ai peur que tout ce qu’on a bâtit finisse par être détruit, lui avoua-t-il. Ca me tracasse énormément.
- Je sais.
- Je ne voulais pas te blesser, reprit-il. J’ai peur qu’il nous retire la Mercedes, ainsi que tout ce qu’il nous a donné.
- C’est ce que j’essaie de te faire comprendre depuis bientôt cinq ans. Il est gentil avec nous, parce qu’il surfe sur sa réputation de producteur et parce qu’il a des amis partout. Tu crois qu’il a des amis uniquement dans le milieu artistique, mais c’est faux car il a des amis avocats. Et c’est pas des petits avocats, c’est des mecs importants. Nous, face à lui on est rien, et si jamais il y a le moindre problème, on aura du mal à se défendre.
- Tu me fais peur, chérie. Tu crois qu’Herbert voulait à l’époque nous détruire ?
- Non, il pensait pas à mal en faisant ça.
- Qu’est-ce qu’ils vont dire en me voyant comme ça ?
- Ne bois pas, c’est tout ce que je puisse te dire.
Les Grammy Awards 1992 se tinrent cette année-là exceptionnellement au Radio City Music Hall de New York. La salle de concert était située sur la 6e Avenue, juste derrière le Rockefeller Center. Une limousine alla les récupérer à l’hôtel pour les emmener à la remise. Maria était vêtue d’une longue robe noire avec des longs gants en satin assortis, et en sortant de la voiture avec Wilhelm, vêtu d’un élégant smoking, tous les photographes les prirent en photo. Pendant un instant, ils furent aveuglés par les lumières de ces flashs. Ils se tenaient par la main, acceptant de poser pendant quelques instants, avant de continuer à remonter le tapis rouge. Jürgen était présent, en compagnie de sa femme, et ils vinrent les embrasser.
Bavaria fut récompensée ce soir comme étant les artistes pop de l’année. Ensemble, ils montèrent sur la scène pour faire un discours. Maria récupéra le trophée, le brandit sous un tonnerre d’applaudissement et commença son discours en anglais.
- Wilhelm et moi sommes de la banlieue munichoise, la musique est notre passion depuis que nous sommes jeunes et nous sommes heureux d’être ce soir, ici, à New York pour recevoir ce trophée. Nous sommes tous les deux heureux d’avoir pu vous faire vibrer avec nos sons, et on continuera encore et encore de vous rendre heureux avec nos tubes.
A la fin, un nouveau tonnerre d’applaudissements se fit. Les parents de Wilhelm et Maria étaient venus à la remise. Martin et Christina posèrent avec leur fille, et puis ce fut au tour de Wilhelm de poser avec son père, Kurt, et sa mère, Victoria. Ensemble, ils avaient à présent un beau souvenir et puis la soirée se termina avec une grande réception. Le cocktail leur permit de rencontrer des célébrités et ils purent enfin discuter avec David Bowie et Michael Jackson. C’était un véritable honneur pour eux d’être en leur compagnie, de pouvoir trinquer autour d’une coupe de champagne. En sortant de la réception, le froid était tombé sur la Grosse Pomme. Ils quittèrent tous ensemble New York le lendemain pour retourner en Europe.
Pour les récompenser, Moser avait dépenser plus de 30 000 Francs français pour les faire voyager dans le Concorde où ils atterrirent à Paris. Les deux familles purent visiter Paris. Marie-Sophie se fit un plaisir de faire visiter son studio à Christina et Victoria, ainsi qu’à Maria. Elles repartirent toutes les trois avec une nouvelle robe. Au même moment, les quatre hommes se contentèrent de se promener dans un Paris enneigé. Le froid était mordant en cette fin du mois de février. Et puis, ils étaient fatigués par leur séjour américain. A la fin de la journée, ils étaient de nouveau dans l’avion pour rentrer à Munich.
Malgré la fatigue, Wilhelm conduisit quand même sa voiture pour retourner chez eux. Le jeune homme avait toujours en tête de se rendre en Belgique.

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