Chapitre 14
La famille Müller arriva à Montese, une petit ville situé à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Bologne. Moser avait exagéré en parlant de villa, car il s’agissait dans la réalité d’une maison de famille. C’était la maison de famille de son épouse. Wilhelm et sa femme avait pris des affaires pour rester au moins trois semaines là-bas, et au pire des cas s’ils manquaient des choses, ils pouvaient toujours se rendre à Bologne. En fait, Wilhelm était en train de prendre goût à cette vie tranquille avec des gens qui ne les calculaient pas lorsqu’ils marchaient ensemble avec la poussette de la petite Karla. Ils étaient incognito et ils pouvaient ainsi revivre leur vie d’avant.
Maria et Wilhelm ne se l’étaient jamais vraiment avoués, mais ils considéraient que c’était un luxe désormais de pouvoir faire ses courses dans un supermarché sans avoir un attroupement avec eux. Pourtant, ils faisaient tout pour s’habiller de manière pas très ostentatoire, mais ça ne fonctionnait pas nécessairement. Sur la place de parking où Wilhelm avait stationné sa Mercedes, il se rendait compte que finalement il serait temps de la changer, mais contre quoi ? Eventuellement, il poserait la question à Jürgen. Mais pour le moment, son petit plaisir était de voir tous les matins ces jolies collines boisées de l’Emilie-Romagne et la fraîcheur de ce mois de février. Les arbres commençaient à avoir leurs premières feuilles. La Nature commençait à se réveiller, à présent. Et quand il ouvrait ses volets le matin, sa première pensée était pour Munich. Willy vivait très mal cet exil un peu forcé. Maria, quant à elle, s’y plaisait à Montese, quoiqu’elle aurait préférée plutôt être à Bologne pour avoir une vie plus dynamique. En fait, au fur et à mesure, elle se projetait en Italie. Alors qu’elle était en train de préparer le repas du soir, elle voulut discuter de ce projet à son mari.
- On devrait vendre notre appart de Munich pour acheter ici, en Italie, t’en penses quoi ? Demanda-t-elle, Klara pourrait se faire des amis, elle serait directement immergée dans un pays étranger et elle pourrait parler couramment italien. Elle aura besoin d’une vie stable, notre fille. Je ne veux pas qu’à ses quatorze ans, elle fasse déjà la Une des magazines car elle porte une simple veste en cuir.
- Je sais pas, bougonna Willy qui lisait un livre.
- T’as réfléchis à ce que tu voulais offrir comme avenir à ta fille ou pas ?
- Bien sûr, confirma-t-il en reposant son bouquin. Klara n’ira pas dans une école remplie de gamins d’artistes, je veux qu’elle aille dans une école normale et je veux qu’elle prenne conscience que tous les gamins n’ont pas la chance de vivre comme elle. Maintenant, ce que j’en pense de vivre en Italie, c’est qu’il faut qu’on prenne ça comme une sorte d’exil. On reste ici le temps qu’il faudra, mais on reviendra en Allemagne.
- N’oublie pas que Moser veut nous voir à Rome la semaine prochaine. Il a envie de savoir comment ça se passe pour nous ici.
La semaine suivante, ils furent dans la Ville Eternelle pour rencontrer leur producteur qui devait faire un passage à la télé italienne concernant Bavaria. Moser était heureux de les prendre dans ses bras, un à un, à l’entrée d’un restaurant. Le trio fut placé à l’écart des touristes, pour ne pas être dérangé. Moser leur raconta que la presse commençait tout doucement à les oublier, et que d’ici avril ou mai ils pourraient enfin rentrer en Allemagne. Avant de poursuivre plus la discussion, Jürgen sortit de sa poche une jolie boîte rouge avec le logo de Ferrari. « C’est pour vous féliciter d’avoir cette si jolie petite fille » annonça-t-il avec un grand sourire et en agitant les clés au-dessus du berceau de Klara. Wilhelm et Maria prirent poliment les clés de la voiture qu’ils devraient récupérer à Modène, directement à l’usine de la firme italienne.
Le principal sujet du repas fut leur absence des plateaux de télés allemands et de l’inquiétude que cela engendrait de la part de la presse spécialisée. De nombreux allemands étaient partagés sur cette histoire, car une partie trouvait le comportement de Wilhelm inadmissible et de l’autre, certains étaient très compréhensifs. Et Wilhelm choisit ce moment pour couper la parole à son patron.
- Je suppose que Karin et Leonard sont eux aussi en exil médiatique ? Demanda-t-il froidement.
Moser posa délicatement son verre de chianti pour regarder droit dans les yeux l’artiste. Cela l’embarrassait beaucoup qu’on en parle.
- On est en train de partager un bon moment tous ensemble, je suis heureux de voir que tous les trois vous allez très bien et toi, tu me parles d’un groupe qu’on entend plus parler tellement ils étaient mauvais ! Réagit Jürgen en riant nerveusement.
- Vous ne répondez pas à ma question, insista Wilhelm.
- Ce qui m’importe ici et maintenant, c’est vous, pas les deux zigotos de Belgique.
- Alors pourquoi êtes vous si tendus quand on en parle ?
A ces mots, Maria posa une main sur la jambe de son époux pour qu’il se taise. Rapidement, elle fit une pirouette pour avoir l’avis de Moser sur son séjour romain. L’homme en était plus qu’enchanté, et profiterait de l’après-midi pour visiter le Vatican. A la fin du repas, Moser leur offrit le repas et le jeune couple avec leur petite fille partit se promener du côté du Colisée. Maria avait peur que Wilhelm dise le mot de trop qui pourrait faire vaciller leur carrière. Elle était consciente qu’ils avaient tellement reçus de cadeaux, ils étaient tellement sous l’emprise de Moser que désormais il avait totalement la main sur eux et pouvait décider à tout moment de couper toute la carrière. Pour ça, elle en voulu énormément à son époux de ne se réveiller que maintenant.
Une nuit, Maria fut réveillée par son époux. Le jeune homme était en train de préparer sa valise et était bruyant. Elle lui demanda ce qu’il était en train de faire, et il lui annonça qu’il allait prendre le premier avion pour Bruxelles. La jeune femme se souvint de l’idée qu’il avait depuis plusieurs mois, et elle comprit qu’il avait à présent envie d’en découdre. Elle ne chercha pas à le dissuader. Au moment où Wilhelm ouvrit la porte d’entrée de la maison, il se tourna pour voir sa femme habillée avec sa fille. Maria annonça d’une voie forte « Je t’y emmène ».
Arrivé à Bruxelles, il se dépêcha de louer une voiture de location pour se rendre à Alost. Lorsqu’il stationna son Opel de prêt devant la maison de Karin et Leonard, il la contempla. Peut être qu’ils n’étaient pas arrivé à vivre leur rêve, mais ils avaient la chance de vivre dans un joli quartier pavillonnaire, calme. Ils vivaient à présent certainement une vie simple. En sortant de la voiture, Karin était en train d’ouvrir la porte d’entrée. Elle se figea, se tenant droite et serrant les poings forts. Une expression de colère commença à lui déformer le visage. Wilhelm s’avança calmement dans l’allée et puis Karin se mit à pleurer, et elle se laissa tomber sur la petite marche de l’entrée. Leonard sortit peu après, se demandant ce qu’il se passait. Il aperçut Wilhelm en train de prendre sa compagne dans les bras. Ils se levèrent pour rentrer à l’intérieur.
Leonard ne semblait pas si énervé contre Wilhelm et Maria. Il éprouva de la colère contre Moser, et n’hésita pas à le dire à Wilhelm. Ensemble, ils discutèrent de leur chemin de vie depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vu. Mais Wilhelm lui confia qu’il avait l’impression de se faire enfumer.
- Parce que c’est le cas, confirma Leonard. C’est un connard ! Il a décidé de vous engager, parce que quand on s’est rencontrés, t’étais absolument euphorique de connaître le succès. Pourquoi aurait-il eu tort de se priver de vous prendre pour des cons alors que tu ne faisais rien pour t’en rendre compte ? Et pourtant, ta femme te mettait souvent en garde.
- Comment j’ai pu être aussi con, putain ? Lâcha Wilhelm, d’un ton amer.
- Parce qu’à nos âges, on voyait les choses de façon naïves, tout simplement. Ca ne sert à rien de t’en vouloir, et ça sert à rien d’en vouloir à Moser. T’étais immature, comme nous tous. On ne connaissait rien de ce milieu.
- Mais pourquoi tu nous a pas prévenu ?
- Il était content de nous, vraiment, mais il voulait une base solide. Son but, c’était de produire pendant dix ans ou peut être plus des artistes, et ça servait à rien de produire deux groupes qui sont sur la même longueur d’ondes.
- Donc, ça confirme ce que disait Maria en disant qu’on était un groupe jetable.
- Oui, c’est ça. Quand il aura trouvé de nouveaux artistes encore plus prometteur que vous, il rompra le contrat et ce sera fini. Vous n’êtes pas les premiers à qui il joue ce numéro et vous ne serez pas les derniers.
- On a rencontré sa femme qui nous a fait des costumes de scène.
- C’est la même mentalité, mais pour des fringues. Vous êtes devenus ses jouets.
- Je comprends mieux pourquoi on nous a fait changer de garde-robe.
- Tiens, vous vous êtes jamais demandé qui écrit les paroles pour vous ?
- On a toujours écrit les paroles de nos chansons, contesta Willy.
- Ca c’est ce que tu crois, commença Leonard, parce que vous n’avez jamais rien produit en fait. Les paroles et les chants, c’est nous. Vous, vous ne faites que la mise en scène.

Annotations
Versions