Chapitre 15
Wilhelm était déjà à sa troisième bière de la journée. Quand il se leva c’était pour aller aux toilettes et se recoucher. Maria ne dormait plus à côté de lui, car elle en avait marre de l’odeur d’alcool qu’il dégageait et surtout parce qu’après une cuite, ça lui arrivait de vomir sur le lit. Les deux pleuraient régulièrement dans leur maison. Et quand ils ne pleuraient pas, ils se disputaient violemment ce qui faisait pleurer à chaque fois leur fille qui avait à présent six mois.
Néanmoins, ils acceptèrent de faire leur concert à Moscou pour leur première date en Russie. Wilhelm restait toujours dans sa chambre d’hôtel, la télé allumait et il regardait fixement le plafond en ayant envie de pleurer. Il était dégoûté par les révélations apprises quelques semaines plus tôt. A vingt-heures, il avait du mal à se tenir debout en enfilant son costume de scène. Les maquilleuses en avaient marre de son comportement qui consistait à les humilier, et quand une ne lui revenait pas, il lui balançait son verre d’eau au visage. Des agents de sécurité vinrent de temps en temps pour le calmer, jusqu’au moment où ils restèrent dans la loge afin de garder un œil sur lui.
La première chose qui lui arriva en montant sur scène sous un tonnerre d’applaudissement et qu’il s’étala par terre tellement il était imbibé d’alcool. Des assistants l’aidèrent à se relever, mais quelque chose remonta dans la bouche, puis il se mit à vomir devant un public médusé et qui exprima son dégoût. Le concert fut annulé, et les artistes durent rejoindre leur hôtel. Le lendemain matin, Moser téléphona directement à Wilhelm pour lui faire part de son mécontentement. Jamais il n’avait eu son patron aussi énervé que ce matin-là ! Maria rentra dans la chambre pour en parler.
- Pourquoi devrais-je en avoir quelque chose à faire alors qu’il s’est foutu de nous ? On est une arnaque ! S’écria-t-il, furieux.
- Te faire entuber ne t’autorises pas à te comporter comme un sale con avec le staff, rétorqua froidement Maria. Tu te rends compte que hier soir, t’as quand même picolé jusqu’à te faire dégueuler et à ne pas pouvoir assuré un spectacle ? Par chance, on en a un ce soir, mais ceux de la veille, on va devoir les rembourser ou alors on va devoir faire échanger leur billet éventuellement pour une autre date dans plusieurs mois.
- Ma chérie, je n’ai plus envie de faire des concerts, bougonna-t-il.
- Répète pour voir, fit-elle en faisant mine de ne pas avoir compris.
- Je ne veux plus faire de concerts, répéta-t-il. Je veux qu’on mette un terme à notre carrière et qu’on dénonce ce fumier.
- Mais mon chéri, tu crois que ça va être aussi simple que ça de nous défaire d’un type comme lui ? On va finir à la rue ! Je veux pas que Klara se retrouve dans un foyer d’accueil, et je veux pas qu’on retourne vivre chez nos parents en attendant d’avoir un travail plus stable.
- Ca m’a bouleversé, l’histoire de Karin et Leonard.
- Ils ont su s’en tirer, même si c’est dégueulasse. Après, mon chéri, si tu veux qu’on lui foute un procès, pas de soucis. On a suffisamment de fric pour nous payer un très bon avocat et faudra juste se renseigner sur qui sont les siens.
- J’ai envie d’une bière, dit Wilhelm en se levant pour chercher une bouteille.
Maria lui prit la bouteille des mains, puis continua.
- Wilhelm Müller ! Il va falloir que tu te ressaisissent parce que je veux pas que ma fille soit élevée par un ivrogne ! T’as vingt-huit ans, merde, et t’es en train de picoler comme si tu venais de perdre ton taf !
- Tu veux que je fasse bonne figure devant tout le monde alors que je vais pas bien ? Tu veux que je fasse comme toi, que je me maquille la gueule pour faire comme si tout allait bien, c’est ça ? Fit-il en essayant de lui prendre la bouteille.
- Je veux que tu te comportes comme quelqu’un de responsable, je t’en supplie. On a de l’argent, si tu veux je te paie un centre de désintoxication.
- Je te donnerais ma réponse après avoir bu.
- Tu me donneras la réponse quand tu seras sobre et que t’auras arrêté de déconner.
La tournée en Russie fut un véritable fiasco. La presse russe était scandalisée par l’attitude absolument vulgaire et obscène d’un Wilhelm Müller alcoolisé qui, guitare à la main, avait décidé de déféquer sur scène à Moscou, puis pour la première date à Saint-Petersbourg s’était retrouvé à littéralement uriner sur les spectateurs du premier rang. Le second soir, il décida de faire monter sur scène une spectatrice pour la forcer à chanter un morceau. La jeune russe était tellement intimidée, que pour essayer de la détendre, il vint se frotter à elle.
Au retour de coulisse, Maria jeta les cuissardes qu’elle portait, et se mit à pleurer. L’attitude de son mari, si respectueux au début la mettait profondément mal à l’aise aujourd’hui. Pire, elle se sentait humiliée par son propre mari alors qu’ils avaient désormais une petite fille qui approchait de sa première année. Aussitôt habillée normalement, elle demanda à son chauffeur de l’emmener à l’hôtel pour qu’elle puisse récupérer sa valise et retourner à l’aéroport où elle embarqua sur le tout premier vol qui la ramena en Allemagne. Son plateau-repas ne lui donnait pas envie. Non pas parce qu’il avait l’air mauvais, mais parce qu’elle ne ressentait aucun appétit.
Ce fut son père qui lui ouvrit la porte de la maison quand elle vint chercher sa fille. Martin était inquiet de voir sur le pas de porte sa fille avec d’immenses cernes sur le visage, un air profondément triste et les cheveux mal coiffés. Après avoir pleuré, elle partit se coucher dans sa chambre, avec la petite Klara qui dormait dans son petit lit. Wilhelm arriva dans l’après-midi chez ses beaux-parents. Martin lui ouvrit la porte, mais lui dit « T’es en train de faire souffrir ma fille. Je ne peux pas te laisser la voir. Rentre chez toi et arrête de boire ! »
- Mais enfin, c’est ridicule, je ne vais rien lui faire, protesta Wilhelm avec un air d’incompréhension.
- Ne te fais pas plus idiot que ce que tu es. Tu sais très bien que t’es en train de te foutre en l’air et que ta famille va en pâtir. Je suis même pas en train de parler de tes parents, mais de ta femme et de ta fille.
- Je suis désolé de me comporter comme un sale con. Je n’aurais pas dû boire.
- Ca, fils, fallait y réfléchir plus tôt.
Maria entendit la porte d’entrée se claquer brutalement. Une intuition lui vint et elle ne fut pas des plus positives. En fait, elle sentait non seulement la fin de son duo arriver, mais elle sentait surtout l’explosion de son couple. Wilhelm lui faisait peur, car il devenait de plus en plus imprévisible, et c’était encore plus exacerbé lorsqu’il avait bu. Elle n’osait pas écrire une lettre de reproche à Moser d’avoir transformé son mari en un jeune alcoolique, car elle avait peur des représailles qui pourrait s’ensuivre.
Les seules fois où ils se voyaient, ce n’était qu’à l’occasion d’enregistrements ou de tournages de clips musicaux et publicitaires. Wilhelm passait ses journées dans son lit à dormir, ou alors quand il sortait c’était pour acheter de l’alcool. Son appartement devenait de plus en plus sale avec de nombreuses bouteilles en verre vide qui jonchaient le sol et puis, il se laissait aller. Il assumait en avoir plus rien à faire de comment les gens le percevaient lorsqu’il marchait dans les rues de Munich.
Un soir, il retrouva un album photo qu’il avait constitué depuis près de dix ans avec Maria. Il se revit à leur début, chantant et jouant simplement dans des petits bars de la ville, puis ils avaient eu l’occasion d’aller dans d’autres bars situés à l’extérieur de Munich. Ensemble, ils avaient fait des petits concerts en Autriche. Et puis, il y avait cette photo qu’ils avaient prises tous les trois avec Moser, à la signature de leur contrat. Les photos de leurs tournées s’enchaînaient, puis il y avait eu leur mariage, leur lune de miel aux Seychelles, la naissance de Klara et les dernières pages étaient encore à faire. Cette rétrospective personnelle le touchait, personnellement. Il se rendait compte qu’ils avaient changés tous les deux, mais ne savait pas si ce changement avait été positif ou négatif. Au bout de trois mois sans vivre avec Maria et Klara, il avait envie de retourner les voir.
Avant l’enregistrement d’une émission à Berlin, Wilhelm décida de partir retrouver sa femme chez ses beaux-parents. Cette fois, ce fut la mère de Maria qui lui ouvrit la porte. Christina le toisa du regard avec un certain dégoût, écoeurée de voir son beau-fils être un poivrot alors qu’ils avaient eu tout pour réussir. Elle refusa qu’il vienne pour parler avec et le menaça de porter plainte, car il appelait fréquemment pour lui parler. Maria finit par arriver, poussa sa mère et prit son époux par le bras pour l’éloigner de la maison, pour discuter.
- Je me sens mal, commença Wilhelm. Je veux que tu reviennes dans notre appartement, je t’en prie. Ma vie est en train de perdre tout son sens comme t’es pas là. Je veux porter Klara, notre fille, dans les bras. Je veux qu’on vive une vie de famille normale.
- Wilhelm, si mes parents ne veulent plus te voir, c’est parce qu’ils ont peur de toi et ils ont peur que tu nous fasses du mal, lui dit Maria. Ca va te faire mal de l’entendre, mais t’es devenu un alcoolique et les alcooliques sont des gens imprévisibles. Qu’est ce qui me prouve que tu vas pas me taper si jamais t’as trop bu, hein ? Qu’est ce qui me prouve que tu vas pas maltraiter Klara ? Si tu veux qu’on revive avec nous, t’as intérêt à aller faire une cure de désintox.
- Tu veux qu’on divorce ?
- Non, mais je veux que tu comprennes que mes parents n’en ont pas après toi personnellement. Ils veulent me protéger, et tu dois comprendre ça. Je me remettrais avec toi le jour où tu seras redevenu stable et que t’auras accepté de te faire aider.

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