III. Loarwenn
Loarwenn admira un instant l’ange de neige que Loargann et elle venaient de laisser dans la couche de poudreuse blanche recouvrant l’herbe du jardin, avant de lancer un sourire complice à son jumeau.
Loargann, plus timide qu’elle, était appréhensif à l’idée de la petite présentation qui les attendaient – la jeune Morrigane avait donc décidé que le meilleur moyen de relaxer son frère était de le traîner au jardin. Clairement, l’idée avait été la bonne au vu du sourire radieux que celui-ci lui adressait !
« Il va falloir y aller. » lui rappela-t-elle
Avec un hochement de tête résigné, Loargann lança une dernière fois les formes qu’ils avaient laissés dans la neige avant de commencer à se diriger vers la porte secondaire du château la plus proche, Loarwenn le suivant un instant plus tard.
Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le jardin, un bruit sourd interpella la jeune Morrigane, qui ralenti le pas, se tournant dans la direction du son qui l’avait interpellé – avant de se figer.
Comme appelé par les dernières lueurs du jour, une créature féerique avait fait son apparition dans le jardin qu’elle venait de quitter.
Une paire d’ailes diaphanes, illuminée par les derniers rayons de soleil, de grands yeux d’un vert à la fois profond et lumineux, des oreilles pointues épousant la forme du crâne plutôt que s’en éloignant comme celles des Ene Bihan, de longs cheveux roux tressés en couronne avant de tomber en cascade…
L’espace d’un instant, Loarwenn oublia le monde dans lequel elle se trouvait, et se prit à penser aux rêveries d’enfance d’Enora, qui n’aimait rien de plus que les légendes évoquant les Faë, mystérieusement disparues durant le Moyen Âge, et dont seul le monde magique conservait quelques traces dans leurs écrits.
Puis, avec l’évènement de Stonehenge, les barrières magiques étaient tombées à travers le monde, révélant au passage l’existence de civilisation pré-datant toute l’Histoire connue, et Enora en avait fait le cœur de son métier. Cependant, jamais elle n’avait perdu sa fascination de petite fille pour une des espèces magiques disparues de son ancien monde.
Mais, elle n’était plus Enora à présent – et Loarwenn avait apprit il y avait de cela plusieurs années que dans ce monde alternatif où elle s’était accidentellement réincarnée, les Faë, comme les Nains, n’avaient jamais disparu.
Même si elle n’en avait jamais rencontré – jusqu’à ce jour.
Repoussant ses fantaisies de petite fille, elle observa le nouveau venu de plus près. Sa tenue soignée le marquait de manière évidente comme l’un des enfants de la noblesse invités par ses parents – pantalon ajusté, veste et gilet. Mais, c'était la courte cape qu'il portait, repoussée pour l'heure sur une épaule, qui révélait son identité. Le griffon d’or sur fond bleu et la liserée d’hermines bordant le vêtement étant l'apanage de la famille en titre du Bro San Brieg.
Curieuse, elle eut un mouvement pour s’approcher du garçon, qui paraissait âgé d'à peine quelques années de plus qu’elle. Mais, elle fut interrompue par Loargann avant d'avoir fait un pas, son frère, qui s’était visiblement rendu compte qu’elle ne le suivait plus, étant revenu la chercher.
Avec un dernier regard vers celui qui venait sans le savoir d’exaucer un vieux vœu d’enfance, Loarwenn se laissa traîner vers la porte du château, où sa mère les attendaient.
Portant une longue robe de style Empire de mousseline, une ceinture tissée d’or et d’un motif de lion héraldique attirant l’attention vers sa poitrine, et de longues anglaises cascadant le long de sa nuque – la duchesse était resplendissante.
Quant à Loarwenn et Loargann, ils étaient vêtus à l’identique d'une tenue choisie par leur mère. Culottes de velours noir, longues chaussettes de laine frappées d’une hermine, chemise de coton et blazer croisé de laine blanche dont les lourds boutons d’or étaient frappés des armoiries du Bro Leon.
Loarwenn était reconnaissante à son père d’avoir insisté pour lui épargner une robe, qui, quoique certes adorable, l’aurait bien plus contrainte dans ses mouvements. Elle n’avait rien contre le fait de s’apprêter un peu, mais estimait qu’à cinq ans, elle pouvait encore donner priorité au confort plutôt qu’à l’élégance, fille de la noblesse ou pas.
Awena mena ses enfants vers l’antichambre où Elouan les attendait. Loarwenn saisit la main de son père, Loargann restant auprès de leur mère, et la famille ducale s’avança vers l’escalier donnant sur la salle de bal, précédé par l’annonce de leur majordome.
« Monseigneur Elouan ar C’hastel, duged Breizh(17), son épouse Awena ar C’hastel, dugez Breizh(18) et leurs enfants, Loarwenn et Loargann ar C’hastel. »
La salle de bal était noire de monde, la plupart des invités étant arrivés pendant que les jumeaux batifolaient au jardin. Tous étaient habillés avec soin, les femmes portant pour la plupart des tenues mettant en avant des formes en S, tandis que les hommes portaient le costume. La tenue de la dugez détonnait clairement, entre sa robe non corsetée et ses bijoux ornementés portaient la patte du fameux Alphonse Mucha, qui était actuellement la coqueluche du Tout-Paris(19).
Loargann n’avait pas besoin de talent de clairvoyance pour deviner que dès le prochain bal, les dames de la région auraient changé de style. Les regards appréciateurs que la plupart lançaient à la tenue de sa mère ne laissaient aucuns doutes sur la question.
Présentations faites, les jumeaux furent enfin libres d’aller se mêler aux enfants déjà présents dans la salle, ceux-ci les entourant avec curiosité.
Très vite, Loarwenn pu voir que les interactions sociales devenaient de plus en plus pesantes pour son frère, et suggéra « Et si nous faisions une partie de ballon-gargouille ? »
La proposition fut acceptée avec enthousiasme, la horde de jeunes nobles se dirigeant vers le préau sous lequel les entraînements physiques avaient lieu en hiver sous le regard attentif des chevaliers postés à travers le château. Bien vite, plusieurs équipes furent formées, des lignes tracées au sol, et Loarwenn activa la balle d’une pulsation de magie.
Le jeu, que la jeune Morrigane avait découvert dans ce monde, était une version magique de la traditionnelle balle-aux-prisonnier. Se démarquant de celle-ci par l’interdiction d’envoyer la balle autrement que par magie, celle-ci paralysant temporairement ceux qu’elle touchait grâce à un cercle runique tout simple inscrit sur le ballon.
Ceux qui ne souhaitent pas jouer n’en restaient pas moins autour du terrain, à huer ou encourager joyeusement ceux qui s’affrontaient. Loarwenn remarqua que le jeune Faë aperçu plus tôt était de retour – ses ailes et sa maîtrise impressionnante de l’air faisant de lui un adversaire redoutable.
Après quelques parties, les enfants commençants à se lasser, la jeune fille suggéra quelques passes d’armes – provoquant un mouvement vers le râtelier d’armes d’entraînement. Elle ne put s’empêcher de froncer les sourcils en entendant un Korrigan à la carrure déjà impressionnante se moquer de celui dont elle avait fini par apprendre le nom – Rowan ar Ro’han.
Les épaules du Faë se tendirent en entendant les railleries, mais il ne daigna pas y répondre, visiblement habitué à ce traitement. Après un duel brutal, que le fils de baron gagna aisément, elle alla aider le garçon à se relever, jetant au passage un regard agacé au gagnant qui se pavanait comme s’il avait accompli un exploit, plutôt que simplement gagné un duel à l’amicale.
« Tu n’as pas la stature pour une klezeñv. » avisa-t-elle « Tu devrais plutôt tenter un sabre ou une rapière. Peut-être même un glaive, si tu insistes sur le double-tranchant... » conclu-t-elle, pointant du menton vers son propre sabre
Le fils du kont Bro San Brieg, qui l’avait regardé approcher avec surprise, lui lança un regard noir en entendant sa remarque, et repoussa sa main tendue.
« Le klezeñv est l’arme des chevaliers Bretons. » rétorqua-t-il sur le ton d’une leçon répétée mille fois
« L’arme du chevalier est celle qui le garde en vie et protège ses terres et son peuple. » contredit Loargann d’un ton moins aimable, agacée par sa réaction, avant de se tourner vers l’autre combattant « Tu vas voir. »
Sans plus prêter attention au Faë qui l’observait avec stupéfaction, elle se tourna vers le grand Korrigan qui était toujours occupé à se vanter.
« Eh ! À mon tour ! »
Le garçon éclata de rire, la toisant de la tête au pied.
« Tu es sûr de toi, petit Morrigan ? »
Le terme était utilisé avec dédain – prouvant qu’une fois de plus, on avait confondu Loarwenn avec son frère, et qu’en plus son adversaire n’était pas suffisamment intelligent pour comprendre qu’insulter un noble bien plus gradé que lui, aussi jeune soit-il, était une idée stupide.
« Absolument. » répondit-elle avec un sourire féroce
Elle ressentit plus qu’elle n’entendit le soupir tout autant blasé qu'amusé de son frère. Quelques mois s’étaient écoulées depuis qu’elle avait appris qu’ils partageaient leurs rêves, et leur magie gémellaire s’était considérable améliorée dans ce court laps de temps.
Morrigane et Korrigan se firent face – et le duel commença.
17 Duged Breizh : duc de Bretagne
18 Dugez Breizh : duchesse de Bretagne
19 Tout-Paris : désigne l’ensemble de la noblesse et bourgeoisie à la mode de la capitale
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