IV. Rowan

8 minutes de lecture

Alors qu’il atterrissait dans le jardin, un léger bruissement avait attiré l’attention de Rowan – il n’eut que le temps d’apercevoir une silhouette avant qu’elle ne disparaisse.
Avec les perles d’eau visibles dans sa longue chevelure bleutée, et ses culottes courtes – c’était probablement l’un des enfants du duged, dont il avait entendu dire que, fait pour le moins inhabituel, c’étaient des Morrigans plutôt que des Korrigans.
Quoi qu’il en soit, le jeune Ene Bihan était particulièrement petit – plus petite encore que lui-même l’était au même âge, quelque chose qu’il n’avait que rarement rencontré.
Mais, le plus impressionnant était sans aucuns doutes son regard, d’un bleu teinté de gris lui rappelant la mer les jours de mauvais temps, très expressifs, et pour l’instant teinté d’émerveillement, bien qu’il ignore pourquoi.
La curiosité prenant le pas sur la raison, il prit les airs, s’approchant discrètement. Il put ainsi observer l’autre fils du duged, différentiable uniquement par son regard, bien plus clair, et pour l’instant teinté d’une évidente affection pour son jumeau.
Les deux Morrigans rejoignirent leur mère – dont le regard était tout aussi chaleureux que celui de ses enfants – et ils disparurent dans le château, laissant Rowan seul dans le jardin.

L’attrait du jardin soudain atténué, il retourna vers le balcon par lequel il était arrivé, surveillant à travers les larges porte-fenêtres l’arrivée de la famille ducale.
Observant de loin, il ne put s’empêcher d’éprouver un peu de jalousie – tant les parents que les enfants, les ar C’hastel apparaissaient comme la famille parfaite. Les regards échangés par le duc et sa femme prouvaient aisément que leur mariage n’était pas un simple arrangements, ceux adressés à leurs enfants mettant en avant que ce n’étaient pas juste leurs héritiers.
Bref – a des années-lumière de sa propre famille.
Rowan n’avait pas souvenir d’avoir jamais vu ses parents échanger un tel regard, ou un quelconque mot doux – et il le fait qu’il n’avait de valeur aux yeux de son père qu’en tant qu’héritier lui avait toujours paru évident.
Bien entendu, le jeune Faë savait que sa situation était loin d’être la pire... Son oncle et sa tante ne s’adressaient jamais la parole, à un point tel qu'il peinait à comprendre comment ils étaient parvenus à concevoir quatre enfants. Et, aussi désagréable que Gwilherm ne fut, son cousin subissait tout autant de pression de la part de son père que lui, ce sans même bénéficier du soutien que Rowan avait la chance de recevoir de sa mère…

Une fois annoncés, les jumeaux s’étaient dirigés vers les enfants de la noblesse, et avaient immédiatement été sollicités de toutes parts. La patience de celui dont les yeux étaient les plus clairs, dont le regard était bien moins chaleureux quand il n’était pas dirigé vers son frère ou ses parents, fondait à vue d’œil – faisant le Faë douter une fois de plus de l’intelligence de ses pairs, qui n’avaient pas l’air de s’en apercevoir.
Il se demanda fugitivement ce qu’il se passerait une fois la patience du Morrigan écoulé – mais malheureusement, l’autre jumeau intervint avant qu’une réponse lui soit fournie.
Entendant que des jeux allaient commencer, il se mêla discrètement aux enfants se dirigeant vers le préau, sachant bien que son absence serait mentionnée par ses cousins s’il ne participait pas.
Rowan s’amusa bien plus qu’il n’avait escompté durant les trois parties de ballon-gargouille, les jumeaux s’avérant être de particulièrement redoutables adversaires. Leur petite taille et maîtrise de l’eau les rendant tout autant difficiles à éliminer en défense, que dangereux lorsqu’ils passaient à l’offensive.
Finalement, chacun d’entre eux remporte une victoire – puis, voyant que ses invités se lassaient, le Morrigan aux yeux d’orage suggéra de changer d’activité.
Le Faë sut que la partie agréable de la soirée était finie quand le mot « duel amical » quitta ses lèvres. Gwilherm ne comprenait pas le terme, comme quiconque ayant jamais combattu face à lui savait. Comme souvent lors de ce genre de joutes, les autres jeunes nobles s’arrangèrent pour discrètement s’éloigner pendant que le Korrigan cherchait un adversaire, ne lui laissant que son cousin.
Et, comme à chaque fois, malgré ses meilleurs efforts, Rowan fut finalement projeté au sol avec bien plus de violence que nécessaire, Gwilherm commençant immédiatement à claironner sa victoire.

Le Faë regarda le fils du duged s’approcher de lui, surpris par le geste amical – la plupart du temps, les autres enfants nobles préféraient se tenir à l’écart pour éviter de capter l’attention de Gwilherm…
« Tu n’as pas la stature pour une klezeñv. Tu devrais plutôt tenter un sabre ou une rapière. Peut-être même un glaive, si tu insistes sur le double-tranchant... »
Rowan senti la moutarde lui montait au nez. Utiliser une autre arme ? Comment le Morrigan osait-il lui suggérer une telle chose, lui qui était le fils du plus grand chevalier du dugelezh !
« Le klezeñv est l’arme des chevaliers Bretons. » répondit-il, dents serrées sous le coup de l’énervement, repoussant la main tendue vers lui sans ménagement
Il n’avait pas besoin de la pitié de ce petit duged gâté par ses parents !
« L’arme du chevalier est celle qui le garde en vie et protège ses terres et son peuple. » le contredit l’autre d’une voix à présent bien plus froide, le regard orageux s’illuminant d’une lueur dangereuse « Tu vas voir. »

Le Morrigan lui tourna le dos, le laissant au sol, pour héler son cousin.
« Eh ! A mon tour ! »
Sans grande surprise, Gwilherm éclata de rire, toisant de la tête au pied le jeune noble.
« Tu es sûr de toi, petit Morrigan ? » demanda-t-il, ton dégoulinant de mépris, surprenant Rowan
Si, passé un temps, l'Ene Bihan avaient effectivement regardé les Morrigans – ou à l’inverse les Korriganes – avec dédain, les considérant comme des erreurs de la nature; ce genre de croyances étaient datées, et aussi limité son cousin fut-il, il n’aurait pas imaginé de tels préjugés de sa part.
Il s'aperçut qu’il avait peut-être été un peu naïf – Gwilherm était encouragé au racisme au quotidien par son père, pourquoi ne serait-il pas tout aussi fermé d’esprit envers les membres de sa propre espèce s’avérant un peu trop différents ?
Quoi qu’il en soit, le Morrigan en question ne sembla pas prendre ombrage du ton insultant, bien que son regard devint notablement plus dur « Absolument. »
Le sourire qu’il adressa à Gwilherm fit frissonner Rowan, pour qui l’expression ‘soif de sang’ prit soudain tout son sens. Mais étrangement, plutôt que d’être effrayé, il se sentit au contraire fasciné par la violence à peine contenue soudainement affichée par le Morrigan aux yeux orageux…

Un silence pesant tomba sur l’arène quand les enfants s'aperçurent qu’un des fils du duged allait combattre, tous curieux du talent du jeune garçon – un silence si pesant que Rowan en avait presque l’impression d’entendre ses propres battements de cœur.

Si le Faë avait semblé petit face à son cousin – le Morrigan qui le remplaça était tout bonnement minuscule du haut de ses cinq ans.
Pourtant, il toisait Gwilherm avec calme et assurance, sabre d’abordage en main – et le jeune Faë comprit vite pourquoi dès que le combat commença. Vif et agile, le fils du duged Breizh n’était jamais là où on l’attendait, dansant autour du Korrigan sans jamais être touché par celui-ci.
Il était clair qu’un seul coup de Gwilherm suffirait à projeter son adversaire, tellement menu, au sol, lui faisant perdre le combat. Mais, justement, aucun des coups de son cousin ne touchait jamais, et plus le combat durait, plus il se fatiguait, et s’énervait.
Une dernière esquive, et Loargann – ou Loarwenn, il n’était toujours pas bien sûr – était derrière Gwilherm, son sabre frappant le Korrigan derrière les genoux et le projetant au sol.

La foule de jeunes nobles éclata en cris de joie et applaudissement – nombre d’entre eux avaient déjà essuyé une défaite face à Gwilherm après tout. Quant à Rowan, il était bouche bée.
Jamais auparavant, il n’avait trouvé un duel à l’arme blanche si captivant. Si c’était ça aussi, l’art du combat, alors il se sentait soudain pousser une motivation nouvelle pour se consacrer à son propre entraînement !
Une voix basse et glaciale interrompit ses pensées.
« La prochaine fois que tu te comportes si rudement face à ma sœur, je te le ferais regretter. »
Les yeux du jeune Faë s’écarquillèrent – à la fois surpris par la menace pour le moins inattendue, mais plus encore par la révélation qu’elle contenait.
Déjà, le Morrigan aux yeux si trompeusement semblables à une mer calme s’était éloigné, félicitant joyeusement sa sœur.
« Wenn ! Tu es la meilleure, comme toujours ! »
Au vu des regards surpris qui s’affichèrent sur le visage de bon nombre des enfants autour d’eux – Rowan n’avait pas été le seul à s’être mépris à propos de la Morrigane, probablement induits en erreur, tout comme lui, par sa tenue identique à celle de son frère...

Le frère et la sœur avaient enchaîné avec un autre duel, durant lequel Loargann avait prouvé que s’il n’était pas aussi féroce une lame à la main que sa sœur, il n’en était pas moins talentueux — et enfonçant un peu plus le clou de la leçon que la Morrigane venait de lui inculquer.
L’arme appropriée – pouvait changer un combat du tout au tout.
Quant à Gwilherm, il était toujours aussi stupéfait de sa défaite, la prenant d’autant plus durement que comme Rowan et les autres nobles, il venait seulement de comprendre que son adversaire était une fait une fille. Et, si les filles de la noblesse étaient toutes entraînées au combat – la plupart d’entre elles préféraient accomplir leur devoir nobiliaire de protection du peuple grâce à la magie plutôt qu’aux armes.
Les femmes chevaliers existaient – mais elles étaient rares.
Quelques autres duels, moins mémorables, eurent lieu. Puis la fille du duged prouva une fois de plus son intelligence sociale en ramenant la troupe de jeunes nobles vers la salle de bal, où le buffet salé avait été remplacé par un buffet sucré et des boissons chaudes, et il fut bientôt l’heure pour tous de se retirer.

Les jours et semaines suivants, Rowan ne parvint pas tout à fait à se sortir ce que la jeune Morrigane lui avait dit de la tête. Finalement, alors que le mois de Janvier touchait à sa fin, il alla trouver le capitaine du corps de chevalerie du manoir durant son temps libre.
Jamais son père ni son oncle n’accepterait un quelconque changement dans le régime d’entraînement qu’ils avaient élaboré pour Gwilherm et lui.
S’il voulait s’améliorer efficacement, il allait devoir sacrifier de son temps libre.

Le lendemain après le souper, il rejoignait le chevalier Mahe Morvan dans une arène vide – et testait le sabre pour la première fois.
Loarwenn avait raison.
L’arme lui convenait bien mieux que le klezeñv.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nordiamus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0