V. Loarwenn
Cinq années sonnées, l’emploi du temps des jumeaux s’étoffa soudain.
Les simples leçons de lettres et de maths remplacées par la littérature, l’Histoire, la géographie, sans parler des cours d’étiquettes et de gestion.
L’entraînement physique devint plus structuré, avec des notions de chasse et survie ajoutées à l’instruction de leur maître d’arme.
Enfin, la théorie magique s’étoffa d’arithmancie(20), mais également par l’ajout d’un professeur dédié de caellimancie. Ce fut l’occasion pour Loarwenn de se voir confirmer que si la magie de ce monde semblait comparable à celle de son propre monde, son évolution avait été très disparate.
Ici, pas de séparation des magies en magies fines demandant transformation avant d’être utilisée – telle que les sorts ou potions ;ou en magies brutes pouvant être utilisée telles quelles – telle que certains effets physiques innés. Dans ce monde, on parlait de magie haute, basse ou ancienne.
La basse magie était celle pouvant être apprise par n’importe quel magus. Ses effets étaient généralement peu puissants, mais très versatiles. Les magi de toutes espèces ne commençaient pas son apprentissage avant douze ans. En effet, elle demandait à la fois une certaine maîtrise de son mana, son énergie magique, et suffisamment de puissance pour être exprimée. Loarwenn avait été particulièrement surprise de noter que les baguettes magiques, artefact si courant dans son ancien monde, existaient, mais n’étaient considérés que comme des outils de précision d’appoint. À l’inverse, dans son ancien monde, tous les magus apprenaient la magie avec une baguette – et seuls les plus talentueux apprenaient éventuellement à s’en affranchir !
La haute magie était habituellement héréditaire, ou spécifique à certaines espèces, comme la caellimancie d’eau des Morriganes ou celle de terre des Korrigans, mais également certaines branches de biomorphose(21). Dans cette branche, Loarwenn ne nota que peu de différences avec son ancien monde – à une exception près. Ces magies ‘uniques’ étaient plutôt rares dans celui-ci – alors qu’ici, elles abondaient, probablement parce que les familles nobles avaient soigneusement entretenu leurs talents au fils des siècles, notamment par le mariage.
Enfin, l’ancienne magie était généralement composée des branches plus complexes des basses magies usuelles. De plus, elle découlait directement de ce qui était appelé les anciennes civilisations – et que Loarwenn reconnu pour être les civilisations paléomagos dont elle avait fait le cœur de son métier dans une autre vie !
La jeune Morrigane, quoique très heureuse d’enfin pouvoir étendre ses connaissances magiques au-delà de simples tours de passe-passe basiques comme la manipulation d’un jet d’eau ou la capacité à trouver de l’eau sous terre, se trouva une fois de plus fascinée par ces anciennes civilisations.
Ici, elles n’avaient pas été oubliées de l’Histoire durant plusieurs millénaires – et pourtant, elles étaient presque tout aussi mystérieuses que dans son ancien monde. Plus intéressant encore, bien qu’elles aient toutes disparus dans les deux mondes, il lui était évident que ladite disparition s’était faite de manière très différente. Ce qui expliquait peut-être pourquoi la magie avaient fini par être crainte puis dissimulée dans un monde, et au contraire universellement accepté dans l’autre.
Loarwenn se dénicha un compagnon de recherches dans la personne de Selaven ar Eusa. C'était un Morgazh, plus jeune qu’elle de quelques mois, fils du markiz d’Eusa(22), et l’un de leurs nouveaux compagnons d’études – et le jeune garçon, déjà brillant pour son age, était tout aussi fascinée qu’elle par le sujet des anciennes civilisations.
Loargann, toujours plus réservé, mis plus de temps avant de devenir amical envers les autres enfants les aillant rejoints durant leurs leçons. Il finit cependant par devenir très proche de Riwanon ar Manac’h, la fille du baron de Brest – et une Korrigane, quelque chose de tout aussi inhabituel que le statut du garçon en tant que Morrigan.
S’était également joint à leurs études Macha Mihaïlevna Andronikov, fille du capitaine des chevaliers du kastell, une Lesovik(23) aux cheveux vert sapin et aux yeux orange, et leur cousin maternel Fragan ar Kerreg’en, un Korrigan de deux ans leur aîné, héritier du kont Bro Kernev(24), avec qui ils s’entendaient également très bien.
Quant à Rowan – Loarwenn le revit plusieurs fois au fil du temps, au gré des petites présentations et autres rares bals et réceptions auxquels les enfants de noblesse étaient conviés.
De prime abord, elle eut l’impression qu’il l’évitait, et ne put s’empêcher de se demander si elle n’avait pas été un peu dure avec lui. A dire vrai, son entêtement à choisir une arme si évidemment mal adaptée à son gabarit était tout à fait compréhensible à sept ans – et la faute ne reposait probablement pas sur ses épaules, mais sur celles de celui qui l’entraînait.
Ce ne fut qu’à leur troisième rencontre qu’elle comprit qu’il ne l’évitait pas, bien au contraire. Mais, à chaque fois qu’il tentait de l’approcher, son balourd de cousin, probablement encore amer de sa défaite, se mettait en travers de son chemin. Et quand ce n’était pas Gwilherm ar Ros’coat qui interrompait le jeune Faë, c’était Loargann !
Une mise au point plus tard – et son frère avait admis avec mauvaise grâce ne pas avoir apprécié le comportement du garçon envers elle lors de leur petite présentation.
« Tu veux dire lorsque nous avons échangé deux phrases ? Si je devais en tenir rigueur à tous les gens m’aillant parlé un peu froidement une fois dans leur vie, je ne te parlerais plus depuis longtemps, Gann. »
À son air penaud, il était clair que le Morrigan s’était aperçu lui-même de l’absurdité de son comportement, et il promit promptement de cesser ses interférences.
Plus d’un an après leur première rencontre – la Morrigane et le Faë purent enfin se parler sans interruption impromptue.
« Tu avais raison. » fut la première chose que le garçon lui dit, d’un air à la fois penaud, prouvant qu’il se rappelait sa précédente impolitesse, mais également joyeux « Je n’ai aucun talent pour le klezeñv. »
Loarwenn pencha la tête, intriguée. Elle ne pensait pas que l’autre l’avait écouté, puisque dans tous les duels qu’elle avait observés au gré des rencontres de la noblesse, le fils du kont San Brieg avait continué d'utiliser l’épée bâtarde avec laquelle son père était si réputé. Comme s’il lisait dans ses pensées, il avait haussé les épaules avec fatalisme.
« Jamais mon père n’accepterait de me laisser étudier quoi que ce soit d’autre. » expliqua-t-il d’un ton résigné « Alors, j'ai trouvé quelqu’un pour m’apprendre en dehors de mes leçons officielles. » conclu-t-il, le regard pétillant de malice
À présent curieuse, elle sauta sur ses pieds, entraînant le Faë vers le râtelier d’armes.
« Montre-moi ! »
Captant le regard inquiet que l’autre lançait à son cousin, elle regarda autour d’elle – ils étaient au château de Lanniron, non loin de Kemper(25), qu’elle connaissait plutôt bien puisque c’était la résidence de Fragan.
« Il y a une clairière cachée dans ce bosquet. » expliqua-t-elle, baissant automatiquement la voix
Le regard du garçon s’éclaira aussitôt – en quelques instants, profitant de ce que son cousin ait le dos tourné, il avait saisi un sabre de cavalerie et ils se dirigeaient vers le bosquet que Loarwenn venait de pointer.
Ressentant un sentiment d’interrogation venant de son frère, elle lui envoya en réponse l’image d’une clairière et d’un duel. S’ils n’étaient pas encore capables de communiquer par phrases mentalement, les jumeaux étaient à présent en mesure de partager, au-delà de leurs émotions, des images simples.
Le duel fut rapide – mais probablement l’un des plus amusants auquel Loarwenn ait participé – s’il semblait lent et incertain klezeñv en main, le jeune Faë était bien différent avec un sabre.
Rowan – avait rattrapé Loarwenn en quelques mois, faisant preuve d’un talent certain qui ne manqua pas de l’impressionner. Étant plutôt lucide sur ses propres capacités, la jeune fille savait bien qu’elle était plutôt talentueuse dans le maniement du sabre, égalée – et dépassée – uniquement par Macha dans leur groupe d’amis.
Le premier duel en entraîna un second, puis un troisième. Et, la seule raison pour laquelle un quatrième n’eut pas lieu fut leur endurance, mise à rude épreuve par le style de combat vif et rapide que tous deux affectionnaient, mais pour lequel ils devaient encore bâtir leur endurance.
S’adossant à un arbre, ils commencèrent à parler avec animation.
D’abord, de leurs duels, et de leurs entraîneurs respectifs.
Puis, de leurs magies respectives, Loarwenn se trouvant une fois de plus impressionnée par le Faë qui était visiblement tout aussi passionné par la magie que le sabre. Même si d’ordinaire, elle était plutôt intéressée par les anciennes civilisations et leurs magies, l’enthousiasme de Rowan était si communicatif qu’elle en vint également à se prendre d’intérêt pour les itérations plus modernes de magie. Les pierres de mana, qui fascinaient tant le jeune Faë, étaient, en effet, uniques à ce monde – en conséquence, elles changeaient considérablement la manière dont la magie était appréhendée par les magi modernes.
Un appel mental insistant de Loargann fini par faire sa sœur s’apercevoir que Rowan et elle avaient passé plusieurs heures à bavarder. Rejoignant le reste des enfants, elle s’attira un regard boudeur de son jumeau.
« Tu as dit que tu allais faire un duel, pas disparaître toute l’après-midi ! »
« Désolée, Gann, je n’ai pas vu le temps passer. Merci d’avoir détourné l’attention de nôtre disparition. »
La moue du Morrigan s’effaça un peu dans l’étreinte de sa sœur. Il ajouta, voix toujours agacée, mais plus par elle « Je comprends pourquoi ton ami avait envie de s’enfuir, non seulement son cousin est insupportable, mais ses cousines ne valent pas mieux ! » il leva les yeux aussi ciel, excédé « Elles sont incapables de maintenir une sphère d’eau plus de trente secondes ! Alors que l’aînée est presqu'en âge d’entrer à Sainte-Geneviève ! »
Loarwenn répondit par une grimace similaire, partagée par Rowan, qui avait entendu leur échange – les leçons de haute magie reçues par les jeunes magi visaient à améliorer leur contrôle, pour les préparer à l’apprentissage de la basse magie.
Basse magie qu’ils commenceraient d'apprendre une fois admis à l’École Centrale Sainte-Geneviève de Paris – l’école accueillant l’élite de la noblesse et des rares magi non-nobles de leurs douze à dix-sept ans.
Entre le faible rang de noblesse de leur père qui n’était que baron et leur talent médiocre – il était fort peu probable que les cousines du Faë parviennent à passer le concours d’entrée de la fameuse école. Après tout, les jumeaux étaient déjà capables d'accomplir le même exercice — et ils étaient bien plus jeunes !
Loarwenn et Loargann passèrent la fin du bal à discuter avec Rowan et le reste de leurs amis, le garçon s’intégrant parfaitement dans leur groupe à présent que Loargann ne lui faisait plus barrage.
20 Arithmancie : discipline magique aidant à la compréhension de la magie grâce aux mathématiques
21 Biomorphose : magie aillant trait aux transformations d’êtres vivants
22 Markiz d'Eusa : Marquis d’Ouessant
23 Lesovik : esprit des forêts originaires de Russie
24 Kont Bro Kernev : comte de Cornouailles
25 Kemper : ville de Quimper
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