VI. Rowan

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Mahe Morvan était un excellent professeur – et Rowan un bien meilleur élève avec le sabre que le klezeñv, se trouvant rapidement une passion égale à celle qu’il nourrissait pour les innovations magiques pour le sabre de cavalerie. L’arme était bien plus courte et légère que l’encombrante épée à une main et demie que lui imposait son père, et avec celle-ci, il pouvait enfin s’imaginer défendre le comté qui serait le sien plus tard.
Preuve s’il en était que son père n’éprouvait que peu d’intérêt pour lui, le comte ne s’aperçut pas de l’entraînement que le jeune Faë avait volontairement ajouté à son emploi du temps – et il s’assura soigneusement que son cousin y reste tout aussi ignorant.
En revanche, il n’avait pas berné sa mère bien longtemps, la Faë étant soudainement apparue au détour d’une de ses leçons officieuses. Mahe avait eu l’air paniqué l’espace d’un instant, mais le sourire que lui avait adressé la maîtresse de maison l’avait promptement calmé.
« Mon fils est peut-être l’héritier du Bro San Brieg, c’est également un leanbh-prímdacht de Munster. » commenta-t-elle comme si elle reprenait le fil d’une conversation interrompue « Il est donc naturel qu’il honore sa famille. Surtout maintenant que mon père à décider de l’autoriser à choisir une monture de nos écuries. »
« Le sabre de cavalerie sera donc tout à fait approprié. J’ai également un homme qui saura lui prodiguer les conseils nécessaires à l’éducation d’un chiot » le Korrigan avait immédiatement acquiescé, impressionnant Rowan par sa vivacité d’esprit – et son érudition
Après tout, pour un Ene Bihan, parler d’écuries impliquait plutôt de parler chevaux – mais les Faë leur préférait un tout autre type de monture…

Et, si les cawrgi, les chiens géants si populaires aux Royaumes-Unis, avaient conservé de leurs ancêtres à la taille bien plus raisonnable le côté adorable – ils avaient pareillement conservé toute leur énergie, intelligence… et espièglerie.
Élever l’un d’entre eux n’était donc pas à la portée de tous, et être autorisé à choisir parmi les portées nées au domaine des Uí Briain, l’une des trois familles royales d’Eire, était un immense honneur.
Un honneur que, s’il était honnête, Rowan n’avait jamais pensé obtenir, tant obnubilé par l’idée de rendre son père fier qu’il en avait sans aucun le vouloir délaissé l’héritage de la famille de sa mère plus que de raison. Se résolvant à réparer cette erreur immédiatement, il lança un sourire reconnaissant à sa mère – comprenant bien qu’elle n’avait évoqué le sujet que pour donner à Mahe un prétexte pour pouvoir continuer à l’entraîner officiellement.
En effet, c’était à ses risques et périls que le Korrigan avait accepté de l’entraîner, sachant pertinemment que bien que cela n’aille pas à l’encontre d’ordres directs, enseigner au jeune Faë une arme autre que le klezeñv allait au moins à l’encontre de l’esprit de l’entraînement choisi par le comte pour son héritier – un comte auquel le chevalier avait juré allégeance.
Le jeune Faë lança un regard teinté d’admiration à sa mère, qui en une phrase venait de faire basculer l’entraînement de potentielle désobéissance d’un chevalier à son seigneur en simple divergence d’opinion entre ledit seigneur et son épouse.

Les mois suivants, Rowan s’améliora rapidement avec le sabre de cavalerie, arrachant à son instructeur des éloges qu’il n’aurait jamais pensé entendre venant d’un maître d’arme. Régulièrement, l’esprit du jeune Faë se tournait vers la petite Morrigane qui avait changé son quotidien en un duel.
Il l’avait aperçu quelques fois, durant les quelques évènements auxquels la jeunesse nobiliaire était invitée, sans jamais pouvoir lui parler. Gwilherm, qui passait une bonne partie de son temps à jeter à la jeune fille des regards noirs dès qu’elle avait le dos tourné, faisant de son mieux pour se mettre en travers de son chemin chaque fois qu’il avait essayé de l’approcher.
Et, quand ce n’était pas son cousin, c’était le jumeau de la Morrigane, qui lui en voulait évidemment toujours d’avoir repoussé la main de sa sœur.
Rowan savait bien qu’il avait eu tort – mais comment pouvait-il s’excuser de son impolitesse, et la remercier de lui avoir ouvert l’esprit, s’il ne pouvait même pas approcher la Morrigane !
Contre toute attente, Loarwenn elle-même avait fini par remarquer également l’attitude de son frère et du cousin de Rowan. Il avait aperçu les jumeaux avoir ce qui semblait être une discussion animée dans un coin discret de la salle de réception du château de Lanniron, qui se conclut par une mine contrite de la part de Loargann. Moins d’une heure plus tard, quand les jeunes nobles s’étaient dispersés sur les pelouses de la demeure, le garçon ne s’était pas interposé lorsqu'il avait une fois de plus tenté d’approcher sa sœur.

« Tu avais raison. » dit-il immédiatement à la Morrigane, en oubliant toute notion de politesse basique tant il était soulagée d’enfin pouvoir lui parler sans encombre « Je n’ai aucun talent pour le klezeñv. »
Elle le regarda d’un air étonné, et il lut aisément dans son regard expressif son incompréhension – après tout, il utilisait toujours un klezeñv lors des duels que Gwilherm lui infligeait si souvent lors des rencontres de la noblesse.
« Jamais mon père n’accepterait de me laisser étudier quoi que ce soit d’autre. » expliqua-t-il, voyant son regard s’éclairer sous le coup de la compréhension, et brillant à présent de compassion « Alors, j'ai trouvé quelqu’un pour m’apprendre en dehors de mes leçons officielles. »
La fin de sa phrase fit le regard couleur d’orage s’éclairer de nouveau, la jeune Morrigane visiblement heureuse qu’il ait trouvé un moyen de contourner les restrictions qui lui étaient imposées. Elle sauta sur ses pieds, le regard pétillant de joie.
Lui saisissant la main, elle le traîna vers le râtelier d’arme, surprenant le jeune Faë suffisamment pour qu’il ne pense pas même à résister. Même si les règles de bienséance n’étaient plus aussi strictes que par le passé, ce genre de contact impromptu était assez rare entre jeunes gens de la noblesse, et d’ordinaire réservé aux amis proches !
« Montre-moi ! »

L’injonction tira Rowan de sa stupeur, et le ramena à l’instant présent. Il jeta un regard inquiet à son cousin. Bien que sa mère lui ait fourni une excuse parfaite pour son entraînement, il savait bien qu’il valait mieux retarder au maximum le moment où son père s'apercevrait qu’il était allé à l’encontre de l’entraînement élaboré pour lui.
Une lueur de compréhension fit le regard de la Morrigane changer à nouveau, et elle regarda autour d’elle, trouvant rapidement une solution – un bosquet proche, dans lequel se trouvait une clairière idéale pour quelques passes d’armes.
Tout comme voir Loarwenn battre son cousin si aisément avait été une révélation – être celui face à elle, sabre en main, en fut une nouvelle.
En la voyant faire face à Gwilherm, il s’était découvert un goût pour les armes et une passion pour le combat physique qu’il avait jusque-là ignoré posséder.
En combattant contre elle, Rowan se découvrit une nouvelle passion, plus inattendue.
Loarwenn ar C’hastel le fascinait – et il devait être son ami.

Son adresse au combat l’avait intrigué en premier, bien entendu, sans parler de sa férocité plus qu’inattendue pour une jeune fille de la noblesse, d’autant plus vu son jeune âge.
Mais la Morrigane avait également un esprit brillant, et comme lui, était fascinée par la magie, contrairement à ce que son adresse avec les armes aurait pu laisser croire. Ses yeux s’illuminaient tout autant quand elle mentionnait les ruines Avalonanes cachées sous sa demeure familiale que lorsqu’elle bondissait contre lui, arme en main.
Et bien que faisant preuve d’une maturité qui fasse douter par instant le jeune Faë du fait qu’elle soit réellement plus jeune que lui, la Morrigane était par ailleurs capable d’accès de fantaisie enfantine tout à fait charmant. Elle était ainsi capable de faire oublier à tous ses amis les conventions de la noblesse lorsque les adultes avaient le dos tourné, pour les entraîner dans toutes sortes de frasques innocentes.

Plus inattendu encore – à présent que Loargann ne le regardait plus en chien de faïence, les autres jeunes nobles l’accueillirent facilement parmi eux. Que ce soit Fragan ar Kerreg’en, le Korrigan et futur kont Kernev, ou Riwanon ar Manac’h, la Korrigane fille du baron de Brest, ou même Macha Mihaïlevna Andronikov, dont le père était réputé pour avoir abandonné son titre dans l’Empire Russe pour prêter allégeance au duged Breizh, sans parler du jeune Selaven ar Eusa, fils du markiz Eusa et Morgazh – tous se montrèrent instantanément amicaux.

Autant qu’il adore sa mère, Rowan avait toujours ressenti un peu de honte d’être un Faë comme elle, alors qu’il était destiné à devenir kont San Brieg. Mais Macha n’avait aucune honte de son apparence si franchement alien à l’Ene Bihan, arborant sa chevelure de mousse d’un vert profond avec fierté – et que dire de Selaven ?
Les Morgazhoù étaient pour la plupart hostiles aux espèces terriennes, son clan étant l’unique exception, et des décennies de recherche magique en biomorphose avaient été nécessaires pour leur permettre de vivre aussi bien sur terre que dans l’océan. Il était impossible de confondre le Morgazh avec un Ene Bihan quelconque – sa peau fine était très différente de celle des espèces terrestres, toujours légèrement humide, et d’une teinte mauve unique. Les branchies dans son cou étaient bien visibles, les cheveux d’un violet très sombre du garçon portés trop court pour les cacher. Ses yeux, larges et entièrement argentés sans aucune pupille visible, étaient faits pour voir dans les profondeurs marines, et vite éblouis, raison pour laquelle il portait les lunettes protectrices...
Pourtant, malgré les moqueries que Rowan avait déjà entendues de loin, Selaven ne se cachait pas et assumait son appartenance à une espèce si souvent considérée comme « ennemie » avec une force de caractère impressionnante pour un si jeune enfant.

Alors qu’ils repassaient la parva porta vers San Brieg ce soir-là, Rowan su qu’il n’avait pas gagné qu’une seule amitié – mais six.
Et, porté par le souvenir du regard émerveillé de Loarwenn à chaque fois qu’elle apercevait ses ailes, le jeune Faë se prit à être heureux d’avoir hérité de sa mère, plutôt qu’honteux, pour la première fois de sa vie.
Concluant une journée déjà parfaite, sa mère lui annonça alors qu’il allait se coucher qu’une portée de cawrgi venait de naître à Carraig Phádraig(26), la demeure dans laquelle elle avait passé son enfance – et où le grand-père de Rowan siégeait encore comme Rí Munster(27). Ils se rendraient donc là-bas dès le mois suivant, le temps que les chiots grandissent un peu.
Pris d’une inspiration soudaine, Rowan demanda à sa mère.
« Penses-tu que je puisse trouver des scíathán-fáinne(28) quand nous serons à Carraig Phádraig ? »
Le regard de sa mère à la question fut un mélange de stupéfaction et de joie, vite caché avant qu’elle ne promise avec un sourire.
« Je dirais à ton grand-père de faire venir l’orfèvre familial. »
Sur ces paroles, elle quitta la chambre de son fils, les anneaux d’or ouvragés ornant toute la partie supérieurs de ses ailes supérieurs luisants doucement à la lumière de la veilleuse magique qui baignait la pièce d’une lumière chaude, mais tamisée.
Cette nuit-là, Rowan rêva de Loarwenn, dansant avec son sabre– mais également de sa mère, et de son sourire ravit, mais surtout étonné quand il avait évoqué les traditionnels anneaux d’ailes portées par les Faë d’Eire.
Il se réveilla au petit matin avec la réalisation que c’était la première fois qu’il montrait de l’intérêt pour la culture de sa mère.
La première fois qu’il parlait d’orner ses ailes – plutôt que de tenter de les dissimuler.

Les semaines menant à leur départ pour le duché de Munster furent tendues, le comte n’appréciant guère l’idée que sa femme enlève leur fils à son entraînement habituel pour satisfaire à des traditions qu’il jugeait superflues pour un noble Breton.
Cependant, tenter d’interdire à Rowan de rendre visite à son grand-père et d’adopter un cawrgi aurait été une insulte cuisante envers son beau-père. Et vu l’importance du vieux Faë aux Royaumes-Unis, c’était un faux pas que le kont San Brieg ne pouvait se permettre à la légère.
Quelques jours avant son huitième anniversaire, Rowan montait donc sur le dos de Dubh, l’impressionnant cawrgi de la mère. La monture avait été harnachée pour le voyage, avec une selle large et confortable accueillant aisément Rowan et sa mère, et d’imposants sacs de selles qui avaient été enchantés pour être plus grands à l’intérieur.
Au regard dubitatif de son père, qui avait tout de même fait l’effort de venir leur souhaiter bon voyage dans la cour du manoir, il était clair qu’Alan ar Ro’han aurait préféré que sa femme et son fils voyagent de manière plus conventionnelle, en carrosse. Rowan, lui, était aux anges – il lui arrivait régulièrement de monter Dubh avec sa mère lors de pique-niques du dimanche, mais jamais il n’avait effectué un si long trajet sur le cawrgi !
Aussi désapprobateur qu’il soit, le regard du comte était tout de même teinté d’admiration en regardant sa femme, surprenant Rowan, qui trouvait sa mère resplendissante dans sa tenue de cavalière typiquement Faërique, mais n’aurait jamais imaginé que son père partage son avis. Les relations entre ses parents n’étaient eut-être pas tout à fait aussi froides qu’il ne l’avait pensé jusque lors , s’autorisa-t-il à espérer l’espace d’un instant...

Le trajet entre San Brieg et Carraig dura tout l’après-midi.
Ils avaient d’abord rallié la parva porta régionale pour Brest, où la magna porta les avait déposés à Paris. De là, ils avaient rejoint le hub des magna portae internationales, tout proche, pour rejoindre Londres, où le réseau de magna portae nationales les avait enfin menés à Carraig.
De là, Dubh n’avait pas mis bien longtemps à les conduire au château, la large bête reconnaissant les terres de son enfance à en croire la manière dont il avait inconsciemment pressé le pas au fur et à mesure qu’ils approchaient de leur destination.
Bientôt, des jappements sonores retentirent, la monture de sa mère accueillie vocalement par ses congénères des chenils du château, des serviteurs s’affairant autour d’eux pour libérer Dubh de ses harnais, prendre leur bagages, et les conduire vers l’aile où se trouvaient les suites familiales.
Rowan sourit en voyant le fourmillement d’activité, constatant avec joie qu’ici, dans le fief de sa famille maternelle, il était loin d’être le seul Faë présent.

26 Carraig Phádraig : Rocher de Cashel, une gigantesque formation calcaire sur laquelle est juché le château de la famille royale Uí Briain

27 Rí Munster : littéralement Roi de Munster, le rang correspond de nos jours à celui d’un duc

28 Scíathán-fáinne : anneaux d’ailes, traditionnellement portés par les Faë d’Eire

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