Gabriel
Le petit dauphin(35) de Belgique retint un soupir avec la force de l’habitude.
Dès qu’il avait été identifié, une horde de jeunes nobles s’était empressée de venir le saluer, l’ensevelissant sous des discussions toutes plus insipides les unes que les autres.
Profitant de ce que l’attention de ses courtisans soit happée l’espace d’un instant par l’annonce de l’arrivée d’un noble important – le duc de Bretagne, nota-t-il sans grand intérêt, il s’éclipsa discrètement.
Gabriel détestait l’hypocrisie qui flottait dans ce genre de célébrations, si prégnante que même parmi les enfants, il ne voyait que des lèche-bottes obséquieux, tout sourires devant lui.
Critiquant le jeune prince, et son pays, dès qu’ils avaient le dos tourné.
Et dire qu’après certains se demandaient pourquoi la Belgique avait voulu son indépendance !
Parfois, le Nûton regrettait que son grand-père, plutôt que de prendre le titre de roi, se soit laissé persuader par le modèle de la Nouvelle-Francia.
Bien sûr, il comprenait bien les raisons qui avaient poussées Léopold Ier à renoncer à l'indépendance pure. Dans les faits, en tant que principauté indépendante, le prince-régnant jouissait de la plupart des privilèges et devoirs que n’importe quel autre souverain. Mais il bénéficiait en plus la protection loin d’être négligeable du royaume de Francia, tant sur le plan économique que militaire.
Bien entendu, cette protection ne s’étendait pas aux railleries de parloirs dont certains nobles semblaient si friands, et les enfants pouvaient être très cruels. Aussi Gabriel préférait-il aux réceptions royales Franciannes les évènements moins guindés et plus chaleureux qui étaient l’apanage de la cour Belge, et l’une des nombreuses raisons de moquerie de leurs voisins Francians si sophistiqués.
Trouvant un large chêne un peu éloigné du buffet et des arènes des enfants, le Nûton eut vite fait d’escalader l’arbre, et de s’installer tranquillement pour une sieste bien méritée.
C’était sans compter le trio pour le moins improbable qui choisit précisément son chêne pour leur propre escapade. Le petit dauphin, qui avait tendance à dévorer tous les livres lui passant sous la main, identifia aisément les nouveaux arrivants, bien qu’ils n’aient jamais croisé leurs espèces – un Faë, une Morrigane, et plus surprenant, un Morrigan. Des Bretons, donc – cela les rendis immédiatement plus sympathique à ses yeux, le duché Breton souffrant de ses propres critiques et jaseries.
Il remarqua avec un peu de jalousie que le trio était mieux préparé que lui, étant venu avec une assiette remplie de cookies, et un pichet de jus de fruits frais. Son estomac se manifesta bruyamment à la vue de la collation, mais le bruit passa inaperçu, étouffé par la voix du Faë, qui demanda au même instant.
« Alors ? »
Tout agacement dû à la présence du trio disparu quand la jeune fille commença à parler.
« J’ai eu une mauvaise réaction à la magna porta. La magie autour de l’arche… Ressemble énormément à celle qui a mené à mort. »
Se redressant soudainement pour mieux écouter ce qui promettait d’être un étrange récit, Gabriel manqua de tomber de sa branche – mais se rattrapa à la dernière seconde. Heureusement le trio ne sembla pas trouver le bruissement soudain des feuilles anormal, trop concentrés sur leur conversation.
En temps normal, il aurait pris le récit de la Morrigane pour des affabulations.
Mais Gabriel était loin d’être stupide – plus précisément, c’était déjà un génie malgré son jeune âge. Il lui était donc évident au vu du langage corporel de la jeune fille qu’elle ne mentait pas.
La file du duc de Bretagne possédait des souvenirs de sa vie précédente, dans le monde des Latéraux.
Lui qui était si rarement intéressé par quoi que ce soit se trouva vite fasciné par la conversation se déroulant sous ses pieds, écoutant avec autant d’avidité que le Faë les réponses à ses questions.
Bien trop vite à son goût, la conversation s’était tarie, le trio décidant de partir en exploration.
Ce ne fut qu’une fois qu’ils eurent disparu que Gabriel remarque le pichet de jus de fruits et les cookies restants, flottant juste à sa portée sur un plateau de glace.
Acceptant l’offrande avec un sourire amusé, il commença à manger avec enthousiasme, espérant vite revoir l’étrange trio.
S’il les avait revus au gré des années, Gabriel n’avait finalement jamais eu l’occasion de leur parler. Bien qu’il ait entendu parler des jumeaux quand le duc ar C’hastel avait nommé sa fille comme héritière principale, faisant jaser toute la noblesse Francianne.
Mais à présent, le petit dauphin s’apprêtait à entrer à Sainte-Geneviève. Avec sept années à partager les mêmes leçons que les jumeaux ar C’hastel, il finirait bien par gagner leur amitié ! Et tous ses instincts le lui disaient – ces trois-là seraient des amis sincères, contrairement aux habituelles hordes de courtisans obséquieux auxquelles il était malheureusement si habitué.
35 Petit Dauphin : héritier du trône de Belgique
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