VIII. Rowan

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Le Faë de douze ans sourit en voyant son amie de toujours le regarder de la tête au pied – Loarwenn avait beau aller sur son dixième anniversaire, la petite Morrigane était toujours aussi adorable à ses yeux.
Encore plus avec l’expression boudeuse pour le moins enfantine qui était pour l’instant fermement placée sur son visage.
« Bien sûr que cet uniforme te va bien ! » déclara-t-elle enfin, levant les yeux au ciel « Un sac de pommes de terre t'irait bien, Rowan ! » ajouta-t-elle comme presque chaque fois qu’elle évoquait son apparence, avant de revenir au sujet qui la faisait pester « Mais bel uniforme ou non, je ne vois vraiment pas pourquoi cette stupide école ne te laisse même pas rentrer les week-ends ! »
L’idée que l’École Centrale de Sainte-Geneviève de Paris soit un internat était une information que tous les enfants de la noblesse connaissaient de longue date – et cela n’avait jamais gêné la jeune Morrigane outre mesure…
Jusqu’à ce que le moment où Rowan ne doive partir pour ladite école avait commencé à s’approcher.

Même s’il la taquinait sur le sujet, le Faë était tout de même rassuré de s'apercevoir qu’il n’était pas le seul à appréhender son départ. Certes, il n’avait pas peur pour leur amitié – il n’en demeurait pas moins que l’idée de ne pas voir Loarwenn, et même Loargann et le reste de leurs amis, des mois durant, le remplissait d’appréhension.
Il avait espéré avoir au moins la compagnie de Fragan. Mais le Korrigan avait réussi le concours pour entrer à la Velikaya Shkola Sankt-Peterburga, où il espérait bien améliorer encore plus sa magie de la nature, puisque l’école en question accueillait tant de Lesovik.
Riwanon, qui serait la prochaine de leur groupe d’amis en âge d’aller à Sainte-Geneviève, avait déjà déclaré son intention de passer à la place le concours pour la Militärakademie von Zürich – tout comme Macha.
En d’autres termes, le Faë ne retrouverait pas ses amis d’enfance avant que les jumeaux n’arrivent à leur tour à Saint-Geneviève – soit deux longues années d’attente.
Même s’il rentrerait en Bretagne pendant les deux mois des vacances d’été, ainsi qu’un mois en fin d’année. Les deux périodes étaient généralement si chargées en bals et autres réceptions auxquelles il se devait d’assister à présent que sa grande présentation était passée, qu’il n’aurait certainement pas le temps de passer autant de temps avec ses amis qu’il l’aurait souhaité.

« J’ai une surprise pour toi, » dit-il a Loarwenn « de quoi passer le temps en attendant de me rejoindre à Sainte-Geneviève. » taquina-t-il
Une lueur de curiosité s’illumina dans son regard, et Rowan traîna la jeune Morrigane vers les écuries. Il avait pu compter sur les parents de la jeune fille, et son frère, pour tout organiser sans que Loarwenn ne se doute de rien – et obtenir l’autorisation de son grand-père n’avait pas été une mince affaire.
Mais au vu des réactions de sa meilleure amie les rares fois où elle avait eu l’occasion de passer du temps avec son Aodhán ou Dubh... Rowan savait qu’il avait trouvé le cadeau parfait pour tenir occupé Loarwenn les deux années durant lesquels ils seraient séparés.
Les yeux de la Morrigane s’agrandirent sous le coup de l’excitation quand elle entendit un gémissement venir d’un des boxes de l’écurie. Un box dans lequel ne se trouvait pas l’un des robustes Postiers Bretons(36) favorisés par le duged Breizh, mais une boule de poil aux traits canins impossible à confondre avec un équidé quelconque.
Rattrapant la jeune fille qui se jetait dans ses bras avec la force de l’habitude, Rowan sourit, heureux de la voir réellement joyeuse pour la première fois depuis plusieurs semaines.
« Comment as-tu fait ? Je croyais que les cawrgis étaient réservés aux Faë ? »
« Ils le sont d’ordinaire. » admit Rowan « Celui-ci est l’avorton de la portée, et il n’aurait jamais trouvé de partenaire à Carraig Phádraig. » expliqua-t-il « Alors j’ai convaincu grand-père de l’intérêt diplomatique de faire un cadeau au duged Breizh, tout en donnant l’occasion d’avoir une belle vie à cette petite bête. »
Loarwenn éclata d’un rire ravi en entendant son stratagème, et entra dans le box où la créature l’observait avec attention.

Il était évident que la jeune bête ne serait jamais aussi massive que les cawrgis habituels. À trois mois, il pesait à peine 60 kilos, alors qu’Aodhán en pesait le double au même âge ! Il avait aussi hérité de poils longs, qui étaient assez mal considérés par les Faë – car quoique très esthétiques, ils n’étaient guère pratiques pour un chien de guerre.
Cependant, le petit cawrgi avait un regard vif, et son long poil rouge et blanc, même s'il était annonciateur de longues séances de brossage à venir, était magnifique.
Déjà, le chiot, ayant déterminé que Loarwenn était prête à lui donner toute l’attention qu’il désirait, s’était levé pour se diriger vers elle d’un pas encore un peu pataud.
« Je vois que ma sœur a rencontré la dernière addition à la famille. »
Rowan se tourna vers Loargann.
Avec les années, les jumeaux étaient devenus moins identiques qu’ils ne l’avaient été durant l’enfance. Les cheveux de la Morrigane, à présent parsemés de cristaux de glace, étaient restés bien plus sombres que ceux du Morrigan, qui s’étaient à l’inverse éclairci de plusieurs teintes. De plus, le garçon semblait à présent légèrement plus grand que sa sœur. Mais si ces différences paraissaient évidentes aux yeux de Rowan, elles ne l’étaient pas pour tous, les deux étant encore régulièrement confondus lors des réceptions et autres bals où ils portaient une tenue un tant soit peu similaire.
« Si tu n’étais pas déjà son meilleur ami, » plaisanta le Morrigan alors qu’ils observaient sa sœur sympathiser avec le cawrgi « Tu aurais gagné la position avec un cadeau pareil ! » un clin d’œil amusé « Il va falloir que je prenne garde, ou tu vas bientôt me voler la place de favori ! »
Rowan secoua la tête, amusé par la remarque.
Aussi proche qu’il soit de Loarwenn, rien ne pouvait concurrencer le lien l’unissant à son frère – non pas qu’il lui soit venu à l’esprit d’essayer.

Présentations faites entre Loarwenn et le petit cawrgi, Rowan avait passé les heures suivantes à lui donner les instructions nécessaires à l’éducation d’un chien de guerre. La jeune Morrigane savait déjà la plupart de ce qu’il lui disait, l’ayant écouté se plaindre des heures entières de ses déboires durant l’éducation d’Aodhán.
Enfin, il la guida à travers la cérémonie d’adoption, simple, mais définitive, qui ferait du chiot son familier(37), liant son espérance de vie à la sienne et réveillant son potentiel magique. La trace rouge maculant la tête du chiot, dessinée par Loarwenn avec son propre sang, et la trace de patte appliquée sur le dos de sa main avec le sang du chiot s’illuminèrent en un flash brillant de mana et disparurent, signe que le pacte magique avait fonctionné. À la place, tous deux partageaient à présent un symbole, tatoué sur la main de la Morrigane, et colorant le poil du cawrgi – le sigil(38).
Celui de Rowan était une aile de libellule autour de laquelle était lovée une liane de lierre, symbolisant autant son côté Faë que son sang Korrigan. Pour Loarwenn, la magie avait choisi un flocon de neige encadré par une paire de bois de cerf fleuris.
« Des bois de karmzer(39) ? » pensa-t-il reconnaître
« Des bois de karmzer. » confirma la Morrigane avec un sourire un peu mélancolique – celui dont il avait appris avec les années qu'il voulait dire qu’elle pensait à son ancienne vie « C’était le nom du pub où Enora a grandit. » expliqua-t-elle « Le Karmzer Fougueux. »
Rowan hocha la tête, assez peu étonné que le sigil de la jeune fille symbolise à la fois sa vie actuelle et passée. Il était indéniable que fait d’être née avec les souvenirs d’Enora Casteleyn avait eu un impact considérable sur sa nouvelle vie en tant que Loarwenn ar C'hastel, après tout.

Rowan avait passé les jours suivants au château de Brest, afin de s’assurer que tout se passe bien entre la Morrigane et son nouveau partenaire. Il l’avait également encouragé à rendre visite à sa mère si elle avait le moindre doute quant à l’éducation ou la santé du chiot. Et enfin – et bien trop vite à son goût, il était monté sur Aodhán, sacs de selles enchantés contenant toutes ses affaires, et avait pris le chemin de la magna porta.
Le trajet vers Sainte-Geneviève n’était pas très long – une fois la magna porta passée, Aodhán l’avait mené à l’école en moins d’une demi-heure.
Il fit une pause à l’entrée de l'immense mur d’enceinte qui entourait à la partie scolaire et religieuse de l’abbaye millénaire.
Il y avait deux mousquetaires en livrée rouge gardant l’entrée des lieux, et vérifiant l’identité de quiconque voulant entrer – et le Faë savait qu’il y avait plus encore de mousquetaires patrouillant à travers l’immense abbaye. Sainte-Geneviève rassemblait la plupart des enfants de la haute et moyenne noblesse Francianne âgés de douze à dix-sept ans. Porter atteinte à l’école, c’était détruire une génération entière de dirigeants et protecteurs du royaume, garantir la sécurité des lieux était donc primordial.
Une fois passé la lourde porte en bois et renforts de fer, il arriva dans un large jardin, entouré d’un chemin couvert, menant vers le bâtiment principal et sa grande tour de l’horloge astronomique. De part et d’autre du chemin central, des statues animées ornaient les lieux, et une large fontaine se trouvait en bas des marches du bâtiment principal.
Les lieux étaient animés, carrosses et chevaux allant et venait pour amener anciens et nouveaux élèves. Plusieurs moniales se tenaient à l’entrée du bâtiment pour orienter les nouveaux élèves. Rowan se dirigea donc vers elles, après avoir confié Aodhán au soin d’un palefrenier qu’il reconnut aisément – le garçon avait passé plusieurs semaines au manoir ar Ro’han pour apprendre à s’occuper d’un cawrgi, précisément en vue de l’arrivée du Faë et de sa monture à Sainte-Geneviève. L’une des moniales, le voyant approcher, tourna immédiatement son attention vers lui. Prenant son identité, elle lui eut vite tendu un plan de l’école, sur lequel elle ajouta d’un mouvement de main et de basse magie pour le moins adroit quelques annotations, lui indiquant le bâtiment dans lequel il trouverait sa chambre.

En tant que membre de la moyenne noblesse, Rowan était assigné au dortoir du Lion, qui se composait de chambres individuelles et même de douches individuelles. Rien de comparable, bien entendu, aux dortoirs Alpha et Oméga, réservés à la haute noblesse. Mais toujours plus cossu que les dortoirs de l’Épine et de l’Olivier, qui n’avaient droit qu’à des salles d’eaux communales et où les étudiants logeaient en chambrées de deux.
Les six dortoirs se trouvaient derrière le bâtiment principal, dans lequel se trouvait le réfectoire, ainsi que toutes les salles administratives et les logements des professeurs résidents dans l’école.
La porte de chaque dortoir était ornée de son blason, les rendant impossibles à confondre. Les trois dortoirs féminins – l’Oméga, la Colombe et l’Olivier – faisant face à leur pendant masculin – l’Alpha, le Lion, et l’Épine, le long d’une allée qui menait d’un côté vers les étables et les terrains d’entraînement, et de l’autre vers la librairie et les amphithéâtres de cours.
Un peu plus loin, il pouvait apercevoir la basilique Pierre et Paul, ainsi que le clos paroissial où demeuraient les moniales qui se consacraient à la religion. Certaines d’entre elles étaient simplement des croyantes. Mais il y avait aussi quelques potentiae5, possédait un don divin plus ou moins puissant. Celles-ci n’étaient pas contraintes de prononcer leurs vœux, mais trouvaient dans l’abbaye l’entraînement nécessaire pour apprendre à utiliser leur don, que ce soit pour guérir, protéger ou purifier.

Rowan trouva vite sa nouvelle chambre, située au troisième étage du dortoir du Lion et dotée d’une grande fenêtre lumineuse donnant vue sur le jardin séparant le bâtiment principal du reste du campus. Sans être aussi spacieuse que sa chambre au manoir familiale, la pièce était tout de même grande et bien équipée. Il y avait un grand lit et une armoire dans une moitié de la pièce, un bureau, quelques étagères et un sofa dans l’autre moitié, ainsi qu’une porte menant à une petite salle d’eau.
En d’autres termes – une chambre qui apparaîtrait comme luxueuse à bon nombre des élèves de la moyenne noblesse.
Ses malles avaient été sorties des sacs de selle d’Aodhán et empilées à l’entrée de la pièce, aussi le Faë, sachant qu’il avait encore quelques heures avant la cérémonie de bienvenue, commença-t-il à ranger ses effets dans la chambre qui serait la sienne pour les sept prochaines années.
Enfin, effets rangés à sa convenance et sacs vidés, il s’assit devant le bureau de bois sombre ayant déjà connu des générations d’élèves, et commença sa première missive pour Loarwenn et Loargann.

36 Postier Breton : l’une des deux espèces de chevaux Bretons

37 Familier : créature magique dont l’espérance de vie et la magie sont liées à un magus

38 Sigil : symbole magique unique à chaque magus, déterminé par magie, on le retrouve notamment sur le ou les familiers d’un magus, ou en tant que sceau, car il ne peut être forgé

39 Karmzer : petit cervidé magique peuplant les forêts d’Europe du Nord et de l’Ouest, dont les bois et le pelage se font l’écho des saisons en fonction de leur âge

40 Potentia (pluriel potentiae) : personne possédait une affinité pour la magie sacrée, contrairement à la plupart des hautes magies, la magie sacrée apparaît aussi bien chez les nobles que les roturiers, et n’est pas toujours accompagnée d’une capacité pour la basse magie

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