X. Rowan

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« Je te défie, ar Ro’han ! »
Rowan se retint de justesse de lever les yeux au ciel.
Après une enfance brimée par son cousin, et le mal qu’il avait eu à se faire des amis; jamais le Faë n’aurait pensé devenir si populaire à Sainte-Geneviève, d’autant moins qu’il n’était qu’un fils de comte parmi tant d’autres…
C’était sans compter son talent. Si habitué qu’il était à rivaliser avec Loarwenn, il ne lui était même pas venu à l’esprit qu’il apparaîtrait comme un génie inégalé aux yeux de ses camarades.
Certains avaient réagi avec admiration, d’autres avec jalousie.
D’autres, enfin, comme Vinzans de Boecklin, s’étaient proclamé ses rivaux. Non pas qu’il leur donne l’honneur du titre – Rowan n’avait qu’un seul rival, et c’était Loarwenn !

Quoi qu'il en soit, l’héritier de Boecklin n’était pas devenu une épine dans son pied immédiatement. Le jeune Sèrvan(46) Alsacien s’était vite taillé une réputation dans la promotion de Rowan pour sa tendance à sécher tous les cours. La seule exception étant les leçons consacrées au combat, auxquelles il assistait au contraire avec une assiduité bornée, à la limite de l’obsession.
Même sous le coup d’une forte fièvre, il s’était traîné aux arènes de combat, perdant connaissance dès que la cloche indiquant la fin des cours avait retenti, et causant une belle commotion.
Pour ne rien arranger à sa réputation de mauvais garçon croissante, le fils du de Lorraine était une grande bouche, qui parlait fort et souvent sans y mettre les formes, et criait haut et fort son mépris de la magie. De plus, il était incapable de faire preuve de retenue, un défaut qui agaçait passablement le Faë, qui ne se rappelait que trop bien les raclées qu’il avait subi à cause de son cousin Gwilherm, dont c’était également l’un des principaux défauts.
Rowan avait tout de même maintenu son calme, et éviter de se mêler des affaires de l’arrogant Sèrvan, n’aillant aucune envie de subir son attention, bien qu’il se sache plus que capable de le remettre à sa place.
Mais quand, après avoir brutalement vaincu une jeune Lutin, il avait lâché avec mépris.
« Retourne donc à ta magie, fillette. »
Rowan avait craqué.

L’immaturité de son camarade de classe, était passé d’agaçante à insupportable.
« Je vais te donner deux leçons aujourd’hui. » avait-il dit au futur duc qu’il avait promptement défié en duel
Ledit duel dura moins d’une minute. Vinzans était bon, il n’y avait aucun doute à avoir à ce sujet – mais il n’était pas aussi bon que Riwanon, Macha, et bien sûr, Loarwenn. À dire vrai, ses techniques manquaient de subtilité, et c’était surtout sa force, son agilité et son indéniable instinct, qui en faisaient un redoutable adversaire pour le reste de ses camarades de classe.
« La première leçon, c’est que tu n’es pas si fort que tu le penses. Il y aura toujours meilleur que toi. »
Le Faë s’était approché de la Lutin qui venait de subir une défaite cuisante, et avait discuté à voix basse avec elle quelques instants. Pendant ce temps, Vinzans peinait se relever, visiblement éberlué par la facilité avec laquelle il avait été vaincu. Rowan n’en était pas trop surpris, il avait déjà remarqué que l’autre le sous-estimait. Ils n’avaient encore jamais combattu l’un contre l’autre, et le Faë ne voyait pas l’intérêt de faire étalage de toutes ses compétences lors de simples séances d’entraînement. Cela n’aurait eu comme conséquence que de finir ses combats plus vite, comme l’autre le faisait de manière si peu subtile, sans donner l’occasion à ses adversaires de s’améliorer. Le maître d’arme avait bien entendu remarqué ce qu’il faisait, et l’en avait discrètement félicité, avant de lui suggérer de s’inscrire au club de duel.
« Tu me la donnes, cette deuxième leçon ? »
Cette fois, Rowan ne se priva pas de soupirer pour témoigner de son agacement, faisant sourire la jeune fille encore secouée de sa propre défaite. Son regard était cependant devenu plus assuré au fur et à mesure qu’il lui avait exposé son plan.
« Moi ? » un sourire féroce illumina le visage du Faë « Non. » dénia-t-il, à la surprise du Sèrvan « Elle, oui. »
Vinzans avait éclaté de rire à l’idée de faire un nouveau duel contre Marianne de Brives, la fille aînée du baron de Brives. La jeune Lutin était effectivement plus douée avec sa magie qu’avec sa rapière – mais elle était loin d’être mauvaise pour autant.
« Mais cette fois, » précisa-t-il « Elle utilisera également sa magie. »
Vinzans paru pris de court par la stipulation, néanmoins il éclata de rire sitôt qu’elle fut énoncée, haussant les épaules de manière nonchalante.
« Si tu crois que c’est suffisant pour me faire perdre, » accepta-t-il avec arrogance « tu te trompes amèrement. »

Aux premiers abords, le combat sembla se passer de manière similaire au duel précédent entre la Lutin et le Sèrvan. Cependant, Marianne restait concentrée – et si occupé qu’il était à jouer avec elle, Vinzans ne remarqua même pas que chacune de ses esquives étaient calculées pour les entraîner tous deux vers une zone précise de l’arène.
Certes, la jeune fille tentait de temps à autre de faire le sol se dérober sous les pieds de son adversaire – le faisant même trébucher une fois ou deux – mais le combat restait inégal.
Puis, ils arrivèrent sous l’ombre de l’un des grands chênes plantés à travers le campus.
« Victoire pour mademoiselle de Brives. » annonça Magnus Olafson, le Troll Huldufólk Islandais qui était chargé de l’enseignement des armes à Sainte-Geneviève
« Comment ça ? » protesta immédiatement Vinzans, qui était sur le point de jeter Marianne à terre avec bien plus de violence que nécessaire une fois de plus
Un sourire illumina le visage de la jeune fille malgré son épuisement, et Vinzans sursauta, sentant quelque chose lui effleurer le dos. Trois larges branches, enchevêtrée grâce à la magie végétale de la Lutin – qui le propulsèrent à terre d’un coup bien sentit.
« La deuxième leçon, » Rowan lui dit, applaudissant Marianne avec les autres élèves « c’est qu’une épée te fera peut-être gagner la bataille… Mais sans magie, tu perdras la guerre. »
« Bah ! Qu’est-ce que tu sais de la guerre ? » protesta amèrement le Sèrvan
Le Faë leva les yeux au ciel.
« Ton père à peut-être perdu des terres face aux Germaniques... » dit-il sans ménagement au garçon « Mais ce n’est pas à un Breton que tu apprendras ce que c’est que la guerre. »

Le Sèrvan eu l’air visiblement surpris et châtié par cette affirmation, confirmant à Rowan que comme il s’en était douté, le garçon si obnubilé par les cours de combat et méprisant envers ses camarades de classe, ne savait même pas qui il avait combattu le duel d’avant.
Et on pouvait dire beaucoup de choses du dugelezh Breizh – mais pas qu’ils ne savaient ce qu’était la guerre, pas eux qui devaient faire face aux Fléaux tellement plus souvent que le reste du royaume !
Sa double défaite, additionné à l’énormité qu’il avait osé dire à Rowan, avaient finalement semblé mettre un peu de plomb dans la cervelle à Vinzans. S’il avait toujours tendance à montrer un manque d’intérêt certain pour la magie, il n’était plus aussi ouvertement méprisant à propos de celle-ci qu’avant…
En revanche, l’adolescent restait un fan de combat, et ne manquait pas une occasion de défier Rowan en duel, prenant comme un insulte personnelle le fait que l’autre se refuse à le considérer comme un rival.

De l’opinion personnelle du Faë, Vinzans était peut-être l’enfant à problème le plus bruyant de leur promotion – ce n’était certainement pas le pire.
Non, cet honneur douteux revenait à Louise d’Orléans, plus jeune fille du roi Louis-Philippe II, et peste incontestée.
La princesse avait été élevée loin des bals et réceptions de la noblesse, ayant hérité d’une haute magie si puissante qu’enfant, cela avait eu des répercutions sur sa santé – et elle usait et abusait de cette supposée fragilité. Mais Rowan, comme la plupart des élèves un tant soit peu portés sur la biomagie(47), savait bien que bien le phénomène existe, la seule raison pour laquelle il perdurait au-delà de la première décennie du malade était tout simplement un manque d’activité physique.
En d’autres termes la petite princesse, favorite de son père, était paresseuse et n’avait fait aucuns efforts pour rendre son corps plus endurant à sa propre magie.
Rowan trouvait cette paresse assez déplaisante venant d’un membre de la haute noblesse, d’autant plus un membre royal. La seule raison pour laquelle les Orléans étaient restés sur le trône après la révolte de 1830 demeurait, après tout le fait que la révolution de 1789 et le Directoire avaient prouvés à quel point les nobles, en leur qualité de magi, étaient essentiels en tant que protecteurs du pays.
Si elle n’était pas capable d’accomplir le devoir de protection que partageait tous les nobles non pas par manque de capacité, mais par paresse– méritait-elle seulement son titre ?

Le Faë n’avait rien à proprement parler contre la paresse elle-même – tant qu’elle ne mettait personne en danger. Il n’aurait vu aucun inconvénient à l’oisiveté évidente de la jeune Lutin – si seulement elle avait été compétente les rares fois ou on lui avait demandé de faire démonstration de ses talents.
Mais Louise d’Orléans, qui n’avait sans grande surprise aucun talent au combat – n’était pas même si douée que ça en magie, un comble pour quelqu’un réputée comme ayant les meilleures réserves de mana de toute l’école !
La princesse semblait penser que Sainte-Geneviève ne servait que de court royale pour les jeunes nobles, plutôt que d’appréhender le rôle essentiel de l’École Centrale, dont la réputation d’excellence n’était pourtant plus à faire.
Elle n’était bien entendu pas la seule à faire cette erreur. Les jeunes nobles qui se pâmaient d’admiration devant elle, confirmant dans son esprit qu’elle était le centre de toutes les attentions, ne valaient guère mieux dans l’opinion de Rowan… Si ce n’étaient qu’ils n’étaient finalement que des nobles de basse noblesse, dont le rôle était somme toute mineur dans la protection du royaume.

Pour ne rien arranger, Louise d’Orléans paraissait avoir développé une obsession pour le Faë. Cela l'avait mené à passer bien plus de temps qu’il ne l’aurait souhaité à esquiver les invitations de la princesse pour ses petits salons et autres réceptions organisés aussi bien dans ses quartiers que dans les serres ou les jardins de l’école.
Plus d’une fois, Aodhán lui servit allègrement de prétexte pour échapper aux invitations de la jeune fille – tant et si bien que les palefreniers avaient vite pris l’habitude de le voir surgir dans les étables aux horaires les plus improbables.
Il en était même venu à passer du temps avec Vinzans, que la princesse évitait fermement à cause de ses manières abominables, suivant même le futur duc de Lorraine dans le club de duel pour avoir de meilleures excuses pour éviter plus aisément ladite princesse.
« C’est la première fois que je vois quelqu’un éviter avec autant d’assiduité une princesse ! » avait plaisanté Vinzans
« Tu ne cherches pas particulièrement sa présence non plus. » Rowan ne put s’empêcher de rétorquer
« Quel intérêt ? Elle n’a aucun talent, et il faudrait une sacrée catastrophe pour qu’elle hérite d’un quelconque pouvoir politique au vu de sa place dans l’ordre de succession ! » avait répondu le Sèrvan, dur, mais ne faisant qu’énoncer une vérité que seule la princesse et une minorité de nobles semblaient ignorer « Le mieux qu’elle puisse espérer c’est un bon mariage avec un noble plus intéressé par sa lignée que son talent. »

Aussi improbable que ça lui aurait paru en début d’année scolaire – a la fin de sa première année à Sainte-Geneviève, Vinzans était finalement devenu son ami le plus proche dans l’école. Même s’il lui refusait toujours le titre de rival, ce qui ne manquait jamais de frustrer le Sèrvan.
Il avait aussi appris que le garçon n’était pas aussi peu talentueux en magie qu’il aimait à le laisser entendre. Bien qu’il n’ait terminé l’année scolaire qu’avec des notes tout juste suffisantes pour ne pas redoubler ses leçons de magie…
Mais Vinzans complexait sur sa haute magie, un problème que Rowan ne comprenait que trop bien, se rappelant avec clarté comment il avait honte de son sang Faë durant son enfance. Car Vinzans, avec ses boucles blondes en bataille et ses yeux d’un bleu presque noir, avait beau avoir l’apparence d’un Sèrvan, sa magie lui venait en revanche d’ancêtres plus lointains.
D’ancêtres Nains, pour être précis.
Avec la défaite récente du royaume de Francia face à l’Empire Germanique, les tensions entre les deux états étaient fortes. Et Vinzans, en tant que fils du duc qui avait perdu près d’un tiers de son territoire à l’ennemi, ressentait clairement la pression mise sur sa famille suite à cette amère défaite. Avoir quoi que ce soit en commun avec l’ennemi lui semblait donc impensable !
En conséquence, son talent pour le taubrastein(48), hérité de son arrière-grand-mère Bergmännchen(49), restait ignoré.
S’il avait été capable de faire voir au Sèrvan que la défaite des magi Francians face aux Germains n’était pas dû à une faiblesse inhérente de la magie; il était en revanche incapable de réopérer le miracle effectué par Loarwenn quand elle lui avait appris à aimer ses propres origines Faë.

Quoiqu’il en soit, et malgré ses doutes, Rowan s’était fait à la vie à Sainte-Geneviève.
Il était à présent habitué à sa popularité, même s’il ne lui prêtait guère attention au quotidien. Et bien qu’ils ne soient pas aussi proche d’eux que de ses amis d’enfance, il avait su se faire de nouveaux amis dans l’école. C’était, après tout, quelque chose d’essentiel à Sainte-Geneviève, dont l’un des buts était d’apprendre aux nobles et magi d’une même génération à se connaître – et la seule chose que Louise d’Orléans avait comprise. Les amitiés et inimités nés dans la fameuse École Centrale de Paris pouvaient à terme changer entièrement les relations entre différents duchés, comtés et autres marches et baronnies !
Cependant, aussi bien que que se soit passées ses deux premières années dans l’école, c’était la première fois que Rowan était aussi heureux d’y retourner à la fin des vacances d’été. Il entrait en troisième année, ce qui signifiait que Loargann, et surtout, Loarwenn, allaient enfin commencer leur scolarité à Sainte-Geneviève eux aussi !

46 Sèrvan : espèce magique apparentée aux Lutins, originaire des Alpes

47 Biomagie : études des effets de la magie sur le corps d’un être vivant

48 Taubrastein : type de haute magie lié aux minéraux

49 Bergmännchen : cette espèce magique originaire d’Allemagne est parmi les types de Nains les plus anciens, d’un naturel plutôt pacifiste,elle est particulièrement réputée pour sa magie liée aux minéraux, et même aux gemmes, les Bergmännchen sont également très protecteurs envers les animaux

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