XI. Loarwenn

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Loargann et Loarwenn n’étaient plus qu’à quelques minutes de Sainte-Geneviève, et longeaient la Seine, quand la Morrigane avait ressenti le frémissement désormais familier d’une brèche s’apprêtant à s’ouvrir. Elle alerta immédiatement.
« Code S ! »
À Paris comme en Bretagne, l’appel provoqua une réaction immédiate, le mot se propageant à travers la foule, qui commença à se diriger vers l’intérieur des bâtiments les plus proches. Loarwenn ne put s’empêcher de remarquer que les Parisiens, certainement moins habitué que les Bretons aux ouvertures de brèche impromptues, mettaient bien plus de temps qu’elle ne l’aurait souhaité à libérer les lieux.
Puis, elle tourna son attention vers les Fléaux qui venaient d’apparaître.
L’air se refroidit autour d’elle, de larges pièces de glace venant protéger les flancs et la gorge de Ki’Ruz, un fauchard lui aussi de glace apparaissait entre ses mains. Loargann avait déjà mené son morvac’h sur la Seine, les flots du fleuve s’agitant sous leur influence combinée.
Les jumeaux attaquèrent à l’unisson. Si Loargann, qui n’avait pas passé l’année à suivre leur père, n’avait pas participé à autant de batailles de brèches de sa sœur, les deux s’entraînaient suffisamment ensemble pour être en parfaite harmonie.

Loarwenn fronça les sourcils avec inquiétude en constatant que tous les civils n’avaient pas eu le temps de se mettre à l’abri – mais fut rassurée d’apercevoir des uniformes rouges approchants à vive allure. Les mousquetaires sacrés(50) étaient en route.
Soudainement, un mouvement attira son attention en périphérie de son champ de vision. Un garçon, probablement guère plus âgé qu’elle, aidait un vieil homme, qui s’était retrouvé projeté à terre quand un Fléau plus gros que les autres avait fait trembler le sol sous ses pas, à se relever.
Et tournant le dos au combat, le garçon ne voyait pas la créature qui lui fondait droit dessus.
Ki’Ruz bondit vers le duo, et la Morrigane sauta à terre, son fauchard retombant en neige au sol, remplacé par un sabre d’abordage, dont la lame bloqua celle du Fléau juste à temps.
Avec un rugissement, elle repoussa l’arme de l’ennemi et poussa son attaque, le Fléau l’aspergeant de sang noir avant de retomber au sol. Son corps sans vie se décomposa rapidement sous ses yeux comme le corps des Fléaux le faisait toujours.
Voyant que l’adolescent et le vieil homme avaient eu le temps de se mettre à l’abri, elle remonta sur le dos de Ki’Ruz d’un geste vif. Elle eut tôt fait d’aider les mousquetaires arrivés entre-temps à achever les derniers Fléaux, tandis que la brèche se refermait après 26 secondes.

« Bien joué, les jeunes. » lança l’un des mousquetaires, lui aussi maculé de sang et résolument impressionné par la manière dont les jumeaux s’en étaient sortis durant le combat
Loarwenn et Loargann le remercièrent pour le compliment d’une voix, faisant rire l’homme, dont le regard gris s’éclaira quand il tomba sur l’emblème qu’arboraient leurs deux montures.
« Oh, vous êtes les héritiers de Bretagne. » réalisa-t-il « Je comprends mieux votre sang-froid. » il éclata de rire « Je pense qu’on peut parler de premier jour en fanfare ! » conclu-t-il, ayant aisément deviné qu’ils étaient présent pour la rentrée scolaire
Finalement, les mousquetaires, qui faisaient partie de la patrouille de Sainte-Geneviève, les avaient escortés jusqu’à l’école, où ils avaient fait une arrivée pour le moins remarquée.
Perché sur un mur près de l’entrée du bâtiment principal, non loin des nonnes chargées de l’orientation des nouveaux élèves, une silhouette familière les avaient aisément repérés, et avait plongé vers eux.
« Wenn ! »
Rowan attrapa la jeune Morrigane à bout de bras, l’observant avec inquiétude, ayant immédiatement reconnu le sang noir pour ce qu’il était – le signe d’une brèche. Déterminant qu’elle était intacte, il la sera dans ses bras sans plus se soucier du sang qui maculait à présent également ses propres vêtements.

Ki’Ruz, qui avait reconnu le Faë, réclamait sa part d’attention à grands renforts de gémissements dramatiques, tentant d’enfoncer son gigantesque museau entre les deux amis pendant que Loargann observait la scène avec amusement depuis sa monture.
« Bonjour à toi aussi, Rowan. »
S'apercevant qu’il avait involontairement ignoré son ami, le Faë s’éloigna à contrecœur pour saluer le Morrigan, le franc sourire sur son visage indiquant qu’il était ravi de voir celui-ci également.
Les jumeaux remercièrent les mousquetaires de les avoir escortés, et le trio se dirigea vers les écuries pour loger Ki’Ruz et Glas’Meur, la monture de Loargann.
La nonne qui devant laquelle ils arrivèrent ensuite écarquilla les yeux en voyant leur état. Mais ayant ^promptement vérifié qu’ils allaient bien d’un coup d’œil aguerrit, aisément expliqué par le cœur blanc auréolé qui marquait ses vêtements et indiquaient que c’était une sacris discipulus spécialisée en soins, elle eut vite fait de se concentrer à nouveau sur sa tâche.

Si la chambre de Rowan dans le dortoir du Lion était luxueuse – les suites des dortoirs Alpha et Oméga étaient à un tout autre niveau. Elles comprenaient une chambre, dans laquelle se trouvaient une large armoire et un bureau, un salon pour accueillir des invités et une véritable salle de bain. La suite comprenait même une seconde chambre, plus modeste, pour accueillir un assistant.
Cet assistant était un étudiant, généralement de basse noblesse ou du peuple, ayant réussi à passer le concours d’entrée, mais n’ayant pas les moyens de financer sa scolarité ni des résultats suffisants pour décrocher une bourse d’étude.
En devenant assistant, l’étudiant devenait sponsorisé par un haut noble, pour lequel il était chargé de prendre des notes, rédiger des fiches de révisions, voire même d’organiser l’emploi du temps mondain. Tout cela tout en maintenant un scolaire suffisant, bien entendu.
Quand le partenariat entre noble et assistant fonctionnait, il n’était pas rare qu’il se maintienne au-delà de Sainte-Geneviève, assurant une carrière toute tracée pour l’assistant en question.

Ni Loarwenn, ni Loargann n’avaient d’assistant, mais le Morrigan envisageait déjà de proposer la position à Selaven l’année suivante. En effet, le Morgazh avait exprimé son intérêt pour l’école, mais cette-ci, si loin de tout océan, n’était pas franchement adaptée à son espèce.
Un problème facilement réglé dans les dortoirs de la haute noblesse, qui incluaient des baignoires individuelles – contrairement au dortoir de la moyenne noblesse où il serait sinon logé, en tant que fils de marquis.
Faire de leur ami d’enfance l’assistant de Loargann réglerait donc le problème pour Selaven, qui serait alors le premier Morgazh de l’Histoire à se rendre à Sainte-Geneviève. Tout en permettant au Morrigan de remercier la famille de celui-ci pour l’éducation qu’ils lui avaient fourni durant toutes ces années, et qui n’était que rarement accordée aux Ene Bihan.
Rien n’était encore décidé – Selaven avait encore plusieurs mois avant de devoir passer l’examen d’entrée pour l’École Centrale, qui se tenait tous les ans en Juin. Mais les jumeaux et Rowan espéraient bien réussir à convaincre leur ami de les rejoindre !

Le Faë aida les jumeaux à commencer à ranger leurs affaires, puis ils s’étaient dirigés vers le bâtiment principal, où les élèves se rassemblaient pour le discours de la mère-abbesse et directrice de l’école, Lohan ar Kastel’briant.
À près de 150 ans, la Korrigane commençait à accuser son âge, ses cheveux gris parsemés de fleurs décolorées – mais dans son visage ridé, ses yeux d’un vert pâle étaient toujours aussi perçants, bien qu’elle ait allègrement entamé sa troisième vie.
L’idée de vies multiples était quelque chose qui avait surpris Loarwenn la première fois qu’elle en avait entendu parler, mais qui à la réflexion était aisément compréhensible.
Les multiples espèces cohabitant en Nobilia avaient des espérances de vie variant de quelques décennies à plusieurs siècles.
Pour éviter que la société ne stagne, tous avaient choisi de s’aligner sur l’espérance de vie des espèces vivant le moins longtemps, tel que les Humains, Trolls ou Géant.
Typiquement, la première vie était celle que les nobles consacraient le plus à leur devoir de protection et à la gestion. Une fois leurs études à Sainte-Geneviève terminées, ils passaient quelques années à voyager pour parachever leur éducation; fréquentaient les évènements mondains pour se construire un réseau de relations; pour finalement hériter du titre de leurs parents, diriger leur domaine, se marier et avoir des enfants.
De quoi occuper toute une vie pour un Humain, tout en lui laissant quelques belles années pour profiter de la retraite !
Mais pour un Ene Bihan, tout cela prenait à peine quelques décennies sur leurs deux siècles d’espérance de vie – sans parler des Nains vivant jusqu’à trois siècles, ou des Faë, pouvant atteindre les quatre siècles ! Sans compter que les magi les plus puissants, indifféremment de leur espèce, tendaient à vieillir bien plus lentement…

Par conséquent, une fois leur titre passé à leurs enfants, les nobles à longue espérance de vie entamaient leur seconde vie.
Cela se traduisait généralement par des postes d’ambassade à travers le monde pour les plus sociaux, un retour au monde des études pour les plus érudits, ou un engagement dans un corps d’arme pour les plus martiaux.
Et pour ceux vivant plus longtemps, il n’était pas rare que passé quelques décennies, ils décident une nouvelle fois de changer de voie, entament ainsi une troisième ou quatrième vie…
Pour finalement prendre une retraite bien méritée une fois la vieillesse arrivée.
Ce système avait été adopté par les civilisations antiques après l’effondrement des anciennes civilisations dû en grande partie à la stagnation qui les avait frappées suite à une série de dirigeants trop âgés s’étant accroché au pouvoir trop longtemps. Il n’était certes pas parfait, certains étant parfois tentés de passer à leur seconde vie le plus vite possible en se déchargeant de leur titre sur leurs enfants. Mais faire ainsi était suffisamment stigmatisé par la société pour que cela n’arrive que rarement.

Mettant ses considérations de côté, Loarwenn reporta son attention sur la directrice, qui achevait son discours de bienvenue.
Rowan, qui avait dû les quitter le temps de l’assemblée, durant laquelle les élèves étaient rassemblés par promotion, les rejoignit vite, accompagné d’un Sèrvan au regard pétillant, que la plupart des élèves évitaient avec assez peu de subtilité, amusant Loarwenn.
Rowan avait évoqué Vinzans dans ses lettres, toujours sur un ton mêlant agacement et amitié, et elle pouvait aisément comprendre pourquoi, le caractère bruyant du garçon était fort différent de celui plus calme du Faë..
Les manières brusques et les airs de mauvais garçon du futur duc de Lorraine étaient peut-être suffisantes pour repousser les nobles de régions plus paisibles, mais la jeune Morrigane venait de Bretagne. Les manières bourrues étaient pratiquement la norme parmi la noblesse locale, qui passait plus de temps à accomplir son devoir de protection qu’à siroter une tasse de thé dans les salons mondains. Certes, la plupart étaient capable de faire preuve de manières – néanmoins il n’en prenait généralement la peine que lorsqu’ils devaient assister aux évènements nobles situés en dehors du dugelezh.
De plus, Loarwenn avait aussi les souvenirs d’Enora. Et ce qui passait pour une attitude de mauvais garçon en Nobilia était tout simplement risible pour l’archéologue Humaine, qui avait vu le pire de ce que la délinquance locale avait à offrir durant ses voyages à travers Futuria.

« C’est ça ton rival ? »
Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire au ton tout autant stupéfait que défait du Sèrvan alors qu’ils arrivaient près d’eux. Elle ne se formalisa même pas quand il ajouta.
« Mais… Elle est… Toute petite et mignonne ! »
Loarwenn avait l’habitude d’être sous-estimée, sa taille impliquant fréquemment une spécialisation en magie plutôt qu’au combat. Cependant, elle fit frémir sa magie.
Prouvant que ses instincts étaient loin d’être mauvais, Vinzans se retourna immédiatement, ses yeux s’agrandissant quand il constata qu’une longue lance de glace était pointée droit vers lui. Puis ses yeux s’agrandirent un peu plus quand, se retournant, il se trouva cette fois face à la pointe d’un sabre de glace tenu par la Morrigane.
« Woah. »
« Petite, mais dangereuse. » Loarwenn lui dit-il avec un sourire innocent, laissant les invocations de glace disparaître dans les airs avant d’effectuer une référence parfaite « Je suis Loarwenn ar C’hastel, dugez-hêrez(51) Breizh, enchantée. »
À ses côtés, son frère s’inclina à son tour.
« Loargann ar C’hastel, kont-hêr Bro Leon, enchanté. »
Prouvant que ses mauvaises manières étaient un choix plutôt qu’une fatalité, le Sèrvan répondit par son propre salut.
« Vinzans de Boecklin, duc-héritier de Lorraine, enchanté. »

Présentations faites, et glace rompue – très littéralement – le groupe se dirigea vers le réfectoire.
La salle était somptueuse, avec un gigantesque plafond en ogive et d’immenses pans de vitraux, rappelant qu’avant d’être une école, Sainte-Geneviève était une abbaye.
Un nouveau membre fut ajouté à leur groupe quand, à l’entrée de la salle, Loarwenn reconnu une silhouette familière.
« Lotti ! »
La jeune Gnome, avec laquelle Loarwenn était restée en contact depuis leur moyenne présentation, principalement par échange de courriers, s’éclaira en les voyant, avant d’adresser des salutations plus hésitantes à Vinzans, qu’elle connaissait visiblement. Rien de surprenant à ça vraiment, puisque les marches de Lunéville dont la jeune fille était originaire étaient en Lorraine.
Cependant, Loarwenn ne put s’empêcher de remarquer avec amusement que la jeune fille avait légèrement rougi en saluant le Sèrvan. Qui n’avait rien remarqué, pausant à peine son débat avec Loargann sur le mérite des armes enchantées sur le champ de bataille pour répondre.
La jeune Gnome ne s’en formalisa pas, mais il était clair qu’elle était surprise par le sujet. Loarwenn se rappela que Rowan avait mentionné que Vinzans n’aimait guère la magie, mais était devenu bien moins virulent à ce sujet au cours des deux dernières années, son éducation à Sainte-Geneviève le conduisant à admettre que celle-ci avait son utilité.

Le seul point noir à ce premier repas à Sainte-Geneviève avait été les regards sombres que Loarwenn avait vite sentit venir dans sa direction.
Mettre un nom sur la principale coupable n’avait pas été difficile. Même si leurs couleurs n’étaient pas les même, Louise d’Orléans ressemblait tout de même énormément à son père, que Loarwenn avait rencontré à plusieurs reprises au cours de ses différents séjours à Versailles. Et surtout à son frère aîné, avec lequel la Morrigane passait énormément de temps durant lesdits séjours, puisque c’était un des magisters chargés de l’étude du temple Avalonan qu’elle avait découvert sous le domaine royal.
Cependant, la jeune princesse n’était pas la seule à lui envoyer des regards jaloux, faisant penser à Loarwenn que Rowan avait peut-être sous-estimé sa popularité.
À dire vrai, elle n’était pas étonnée – en deux ans, le Faë avait perdu ses derniers airs d’enfance, et était à présent fermement entré dans l’adolescence.
Et son apparence déjà enchanteresse n’en avait certainement pas souffert !

Rowan avait beau penser que sa popularité malgré son rang modeste était dû à son génie – au vu des regards admiratifs ou jaloux qui lui étaient lancés, Loarwenn savait bien que ce n’était pas le cas, ou en tout cas, pas seulement.
Non, c’était son regard vert émeraude lumineux, les traits élégants de son visage et sa longue chevelure rousse, savamment tressées selon les complexes coiffures Faë traditionnelles, sans parler de ses ailes iridescentes ornées de scíathán-fáinne, qui lui valaient sa popularité. Et le Faë n’en avait clairement aucune idée !
Elle échangea un regard complice avec Vinzans, qui avait vu, à la manière dont elle observait les autres élèves, qu’elle venait de prendre conscience de la vraie raison de la notoriété de Rowan.
« Et il ne se rend compte de rien. » lui souffla le Sèrvan, levant les yeux au ciel tandis que le Faë saluait une de leurs camarades de classe, la faisant rougir
Ledit Faë lui lança un regard interrogateur, auquel il répondit par une esquive.
« Rien, joli-cœur, je compatissais juste avec Loarwenn sur les difficultés de t’avoir pour meilleur ami ! »
Rowan leva les yeux au ciel en entendant la déclaration mélodramatique. Faisant rougir plusieurs jeunes filles proches au passage, faisant les deux échanger un nouveau regard amusé – et éclater de rire.

50 Mousquetaires sacrés : unités de mousquetaires du roi entraînés à la magie sacré, on les différencie par leur uniforme rouge plutôt que bleu

51 Hêr/ez : héritier/ière

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