Paul
Paul soupira en voyant les heures passer, repoussant le moment de reprendre le chemin de l’école jusqu’au dernier moment. L’année précédente avait été longue et pénible, et le jeune magus doutait que les six années suivantes le soient moins.
Mais sa mère avait rêvé qu’il soit diplômé de Sainte-Geneviève, et le garçon savait bien que s’il abandonnait les ambitions de celle-ci, il achèverait de briser le cœur de son père.
Trois ans s’étaient écoulés depuis que Cécile Lefebvre était décédée lors de la même brèche qui avait décimé l’escouade de gendarmerie de Léopold Lefebvre et lui avait coûté sa jambe – et sa carrière.
Depuis, le veuf entretenait péniblement ses quatre enfants sur sa pension d’invalide de guerre. Il lui ajoutait les maigres revenus que son poste de cuisinier dans une auberge voisine lui rapportait, tandis qu’Adèle surveillait ses deux sœurs et que Paul étudiait pour Sainte-Geneviève.
Le magus aurait préféré cesser ses études et trouver un emploi quelconque pour aider sa famille. Mais il savait que son père s’était raccroché à l’idée qu’il obtienne une bourse d’étude comme un noyé à une planche, comme si le fait d’étudier dans l’école remplie de nobles allait changer quoi que ce soit !
Paul n’espérait qu’une chose – finir ses sept années au plus vite, et passer le concours pour devenir gendarme au plus vite.
Il détestait l’école, si luxueuse, remplie de fils de et filles de tous plus aveugles aux réalités de la vie. Toujours occupé à mention leur devoir de protection comme s’ils étaient essentiels à la vie des citoyens normaux – alors que la réalité demeurait que quand il avait eu besoin d’eux, les nobles avaient été absents.
Et c’était la famille Lefebvre, et des dizaines d’autres familles comme la leur, qui en avaient payé le prix.
Bien sûr, tous les hommes de l’escouade gendarmerie avaient reçu la croix de guerre des brèches et la médaille de la gendarmerie nationale. Mais pour vingt-quatre des vingt-cinq hommes, ce n’était que des récompenses à titre posthume. Et la rente que les veuves recevaient ne changeait rien au fait qu’elles avaient perdu les époux parce qu’un stupide baron avait quitté son territoire sans s’assurer que les patrouilles soient correctement organisées pour compenser son absence et celle des hommes partis avec lui.
Laissant l’escouade de gendarmerie, composée uniquement de roturiers n’ayant aucun talent magique, seule face à une brèche.
La brèche n’avait duré « que » quinze secondes.
Ç'avait été bien assez, en l’absence de magi, pour qu’un torrent de Fléaux s’échappe.
Les gendarmes avaient été les premières victimes – mais pas les dernières – et le temps que les chevaliers postés au manoir du baron de Vitre-sur-Seine ne s’aperçoivent que quelque chose clochait, plusieurs centaines de victimes avaient déjà été faites.
Le baron de Vitry-sur-Seine avait été démis de son titre, son fils prenant sa suite – mais c’était trop peu aux yeux de nombre des habitants, qui avaient quittés en masse la petite ville.
« Code S ! »
Le cri funeste résonna sur le bord de la Seine, reprit par des passants inquiets, et la route commença vite à se vider. À sa surprise, Paul remarqua qu’il s’écoula quelques secondes entre l’appel et l’ouverture de la brèche, éveillant sa curiosité. S'il existait un moyen de prévoir les brèches, des drames, tel que celui qui avait déchiré sa famille, pourraient peut-être être prévenus !
Se dirigeant vers la maison la plus proche, il remarqua d’un œil inquiet qu’il n’y avait ni chevalier ni mousquetaires en vue. Justes deux adolescents aillant l’air plus jeune encore que lui, qui, à en juger la qualité de leur tenue et de leurs montures étranges, étaient probablement des nobles.
Le jeune magus sentit l’angoisse le saisir.
Si la même situation qu’à Vitry-sur-Seine se produisait au cœur de Paris, ce ne seraient pas des centaines, mais des milliers de victimes qu’il y aurait ! Et il n’avait guère confiance en deux gamins pour accomplir leur fameux devoir de protection !
Mais les secondes s’écoulaient – et force lui était d’admettre que les deux nobles, adolescent ou pas, remplissaient leur devoir avec brio. Voyant que la situation était autant sous contrôle qu’elle pouvait l’être avec uniquement deux magi contre l’assaut d’une brèche entière; Paul pria pour que la brèche ne soit pas une anomalie, et se précipita dehors pour se secourir un vieux Lutin, projeté a terre lors de l’attaque d’un Fléau plus grand que les autres.
En un instant, le regard du vieil homme passa de reconnaissant à terrifié, et Paul sentit son sang se figer dans ses veines alors qu’il s’aperçut qu’un Fléau s’était approché de lui dans son dos. Déjà trop proche pour qu’il ne puisse esquiver, ou courir, ou réagir de quelques manières que ce soit.
Ce fut le froid qui le frappa l’instant d’après, un large nuage de neige tourbillonnant autour d’une silhouette svelte et agile.
Avec un rugissement étonnamment féroce pour une si petite jeune fille, la noble avait repoussé le Fléau – et Paul se rappela soudain qu’il était toujours sur le champ de bataille. Passant un bras autour du vieux Lutin pour l'aider à avancer plus vite, ils s’éloignèrent du combat.
Le jeune magus ne put s’empêcher de ressentir une pointe de honte à encore devoir être protégé; quand une jeune fille si minuscule était déjà en mesure de gérer une brèche avec pour seul aider celui qui était assez évidemment son frère jumeau.
Pour la première fois, Paul Lefebvre comprit ce que les nobles entendaient par devoir de protection. Observant à quelques mètres de lui, la jeune fille maculée de sang plaisantait avec les mousquetaires arrivés entre-temps, comme si les secondes qui avaient précédé n’avaient pas été terrifiantes et mortellement dangereuses.Le fils de gendarme fixa l’image dans sa mémoire – et se fit la promesse de plus s’entraîner. Pour que la prochaine fois, il ne soit pas parmi ceux qui se cachent, mais ceux qui combattent…
Reprenant le chemin de Sainte-Geneviève après s’être assuré que le vieil homme qu’il avait secouru aille bien, il ne put s’empêcher de repenser aux deux jeunes nobles qui étaient probablement déjà arrivés à l’école.
Peut-être – que cette année scolaire ne serait pas si pénible finalement.
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