XII. Rowan
Rowan observa Loarwenn de loin, un sourire amusé sur ses lèvres.
La Morrigane était déjà au cœur de toutes les curiosités lors de son arrivée fracassante à Sainte-Geneviève, après que lors de leur grande présentation, et contre toute attente, le duged Breizh ait annoncé que ce serait sa fille qui lui succéderait.
Son futur rôle de dugez lui avait valu l’admiration des jeunes filles les plus progressistes. Celles plus traditionnelles voyant au contraire d’un mauvais œil le fait qu’elle hérite du rôle de dirigeant, qui était encore souvent endossé par les hommes.
Quant aux nobles en questions – certains avaient bien tenté des remarques machistes, voire de la provoquer en duel.
Ils n’avaient réussi qu’à asseoir la réputation de la dugez-hêrez, tant sur le plan académique que magique ou martial.
Après tout, si Rowan avait si vite gagné une réputation d’excellence dans l’école, il était évident que son rival de toujours ne pouvait que suivre la même voie !
En revanche, si la promotion de Loarwenn, comme la sienne, avait eu droit à son héritier royal en la personne du petit dauphin Gabriel de Wettin, les similitudes s’arrêtaient là.
Contrairement à Louise, Gabriel excellait en tout, se partageant régulièrement la première place avec la Morrigane, et faisant Rowan lui jalouser la chance d’avoir un rival académique dans sa promotion, qui rendait ses études d’autant plus intéressantes.
Gabriel s’était vite intégré à leur groupe d’amis, s’avérant être d’un naturel plutôt calme et silencieux, très semblable à Loargann par bien des côtés. Le Nûton faisait en revanche preuve de bien moins d’intérêt pour quoi que ce soit que le Morrigan, bien vite lassé par les sujets qu’il apprenait rapidement, et dont il se désintéressait tout aussi rapidement.
La seule chose qui semble vraiment capable de capter l’attention du futur prince-régnant était Loarwenn elle-même, par laquelle Gabriel semblait être fasciné.
Ce que Rowan comprenait aisément, il avait eut exactement la même réaction lorsqu’il l’avait rencontrée, étant enfant.
Cependant, il ne pouvait s’empêcher d’être agacé par le Nûton, qui monopolisait si souvent l’attention de Loarwenn alors qu’il avait déjà la chance d’être dans la même promotion qu’elle !
« Mais que fait-elle ? Elle n'est quand même pas encore en train de se battre ! »
« Son manque de grâce féminine est absolument consternant. Jamais elle ne trouvera un époux. »
Le Faë soupira en entendant les cancanements de Louise et de sa horde de courtisans, devenu encore plus virulents depuis l’arrivée de Loarwenn à Sainte-Geneviève. Il n'avait pas été surpris que le groupe prouve une fois plus son manque de discernement en se positionnant en ennemis d’un second héritier ducal après Vinzans; une aberration dans une monarchie constitutionnelle ou le roi requérait l’appui des nobles pour gouverner.
« Heureusement qu’elle n’est pas en position d’hériter. » soupira-t-il, sa lassitude lui faisant oublier de contrôler ses paroles « Ou je pense que j’aurais renoncé à mon titre pour me faire chevalier à Carraig Phádraig ! »
Au vu des rires discrets autour de lui – le Faë avait parlé plus fort qu’il n’en avait l’intention. Mais il ne parvint pas à le regretter, encore agacé par la remarque du baronnet qui suivait Louise d’Orléans partout comme un toutou fidèle. Le simple fait que le noble, qui venait d’avoir quinze ans, ose évoquer les mots grâce féminine en corrélation avec Loarwenn, qui n’avait que douze ans, faisait son sang bouillir dans ses veines.
Bien qu’elle ait énormément grandi, durant ces deux années où ils ne s’étaient guère vus, Loarwenn était par bien des aspects toujours une enfant, quelque chose de tout à fait naturel à douze ans.
De plus, il était déjà évident que dès qu’elle mettrait un pied un peu plus profondément dans l’adolescence, elle suivrait instantanément les pas de sa mère, dont la beauté était réputée à travers tout le royaume !
« Tu as l’air prêt à tuer quelqu’un. » Vinzans commenta d’un ton amusé
« Pas tuer. » Rowan contredit « J'aimerais juste lui rappeler les règles de la bienséance. Pour l’instant le baronnet de Roupy me fait plus penser à un pourceau qu’à un noble. »
« Je doute que Wenn ai besoin que tu mènes bataille pour elle. » lui rappela le Sèrvan
« Elle n’en a certainement pas besoin. » le Faë admit immédiatement « Ce sont mes nerfs qui en ont besoin. »
À sa réponse, Vinzans le pointa dramatiquement du doigt « Rowan, je t’interdis de me voler mon rôle ! Je suis le mauvais garçon de cette école, et il n’y a pas assez de place à Sainte-Geneviève pour deux mauvais garçons ! »
Marianne, qui n’était pas très loin, éclata de rire, et commenta « Laisse-le remettre de Roupy à sa place, Vinzans ! La duchesse-héritière n’a peut-être pas besoin d’être protégée, mais je t’assure que nombre des autres jeunes filles apprécieront le geste. »
Rowan fronça les sourcils à cette affirmation. Il s’était construit un cercle d’amis relativement restreint à Sainte-Geneviève avant l’arrivée de Loarwenn, bien qu’il soit cordial avec la plupart de ses camarades de classe.
Peut-être était-ce pour cela qu’il n’avait pas remarqué plus tôt le nombre de nobles des régions pacifiques qui considéraient l’École Centrale comme un terrain de chasse pour une future épouse, et semblaient dépourvus de la moindre courtoisie. Il comprenait mieux à présent pourquoi Vinzans était constamment en train de provoquer quelqu’un en duel – le Sèrvan était tout simplement moins naïf que lui !
Les cloches qui sonnaient les heures de cours résonnèrent, indiquant que la journée de cours était terminée, et Loarwenn, entourée de Loargann, Lotti et Gabriel, se dirigea vers eux.
« Wenn ! Tu es mon seul espoir ! Explique à Rowan qu’il ne peut pas humilier tous les nobles de l’école en duel simplement parce qu’ils l’exaspèrent ! » s’écria Vinzans alors qu’ils approchaient
« Il ne peut pas? » fut la réponse faussement innocente de la jeune fille
Immédiatement, le futur duc de Lorraine éclata en faux sanglots bruyants « Je le savais ! C’est un complot ! Rowan veut me remplacer comme mauvais garçon attitré de Sainte-Geneviève. »
Plaisantant gaîment, le groupe d’ami se dirigea vers la bibliothèque, où ils avaient convenu à l’avance de passer quelques heures à étudier, puisque les examens de fin de trimestre approchaient à grands pas.
Mais au milieu des rires et des plaisanteries, Rowan ne put s’empêcher de remarquer la ligne tendue des épaules de Loarwenn.
Il ne lui avait pas fallu plus de quelques jours dans l’année scolaire pour remarquer qu’une fois passé la joie de le revoir, la Morrigane semblait sous le coup d’une pression constante. Au début, il avait craint que ce ne soit lié à son nouveau statut d’hêrez Breizh, et avait fini par lui en parler discrètement un soir où Loargann était occupé avec Glas’Meur.
La jeune fille l’avait immédiatement détrompée – pour lui faire part de ses craintes réelles, autrement plus terrifiantes.
« La Première Guerre mondiale approche. »
Le simple terme était glaçant – Première Guerre mondiale ? Première de combien ?
« Seulement deux. » l’avait rassuré Loarwenn, ne pouvant s’empêcher dans la foulée de formuler tout aussi ce qu’il pensait au même instant « Deux de trop. »
Des années étaient passées depuis qu’il avait appris l’existence d’Enora Casteleyn, et de Futuria, comme les lettrés appelaient à présent le monde des Latéraux.
Et c'était tout récemment qu’un article de grand dauphin publié dans La Gazette Magique, le plus ancien mensuel, lu par les magisters à travers le monde, avait mis en avant les corrélations entre les évènements historiques majeurs de Futuria et de Nobilia.
Il comprit soudain mieux l’angoisse permanente qui habitait la jeune fille.
Elle avait discuté en longueur des causes et conséquences de la Grande Guerre, ou tout cas de ce qu’elle en savait, avec le grand dauphin lui-même, et les magisters de la cour royale. Elle avait même donné l’autorisation à celui-ci de partager son statut de quasi- Latérale avec quelques magisters d’Altus Magia pour discuter du sujet.
Mais Enora était archéologue, spécialisée qui plus est en civilisations paléomagos, pas Historienne du XXe siècle. Par conséquent, elle ne possédait sur la période que le savoir commun, et n’avait pas grand-chose à leur offrir de plus qu’un avertissement.
De plus, si leurs dates semblaient souvent correspondre, les causes de guerre entre Futuria et Nobilia n’étaient pas toujours les mêmes, ni leurs retombés – l’Histoire récente du royaume de Francia en étant un exemple flagrant…
Le futur roi Francian avait tout de même pris l’avertissement en compte. La jeune fille avait apprit que l’homme, quoique plus intéressé, comme elle, par les civilisations paléomagos et le savoir perdu, avait mis de côté son rôle de magister, pour se concentrer sur celui de grand dauphin. Il avait commencé, dès 1910, à visiter les duchés, vérifier l’état des défenses et des troupes de chevaliers, mais également de mousquetaires et de gendarmes à travers le pays.
Son prétexte, qui n’en était qu’à moitié un, mais n’aurait jamais été remarqué s’il n’était pas déjà à l’affût d’un quelconque problème – le nombre de brèches, en légère augmentation. Une augmentation, lui confia Loarwenn, qui était, un peu accidentellement, devenue une confidente du prince héritier, qui empirait d’années en années depuis.
Cependant, quasi-Latérale ou pas, Loarwenn avait à peine douze ans.
Elle était à un âge ou sa plus grande préoccupation aurait dû être la jalousie de Louise d’Orléans, où ses révisions pour les examens de fin de trimestre. Pas le spectre de la guerre qui planait sur l’Europe, et le reste du monde.
Rowan lui-même avait eu quelques cauchemars, depuis qu’il avait entendu la jeune fille prononcer pour la première fois les mots « Première Guerre Mondiale ». Et il savait que Loargann avait tout bonnement cessé de retourner à son dortoir le soir, parce que c’était le seul moyen pour sa sœur de passer une nuit correcte.
Comme si elle avait senti son regard, Loarwenn se tourna vers lui et lui lança un sourire, avant de le saisir par le bras, l’entraînant au milieu de leur groupe d’ami. Il se laissa entraîner, et plongea dans la discussion en cours sur les pierres de mana.
Lotti et Vinzans se tenaient presque nez à nez, quelque chose d’assez comique, vu que le Sèrvan avait près de dix centimètres de plus que la jeune Gnome, âprement engagés dans un débat sur lesdites pierres de mana.
En plus de deux ans, la position du Lorrain sur la magie s’était passablement améliorée. Il avait fini par admettre que la défaite de son père face aux forces Germaniques n’était pas dû à une quelconque incompétence des magi à son service, mais à une indéniable supériorité technique de leur ennemi.
Et Lotti était passionnée par lesdites avancées techniques, un sujet d’intérêt pour le moins surprenant pour une jeune fille de la noblesse. Une passion aisément compréhensible, cependant, quand on se rappelait que si un nouveau conflit venait à éclater contre l’Empire Germanique, son père, marquis de Lunéville, serait en premières lignes.
« Ce qu’il nous faudrait, » déclara la jeune fille en s’étirant contre le dossier de sa chaise « c’est un taubrasteinmeister(52). »
Rowan cacha une grimace, Lotti ayant sans le savoir soulevé un sujet sensible pour Vinzans.
« Si tu veux un parleur de cailloux, tu n’as qu’à demander aux Germains ! » rétorqua le futur duc de Lorraine abruptement
« Si nous avions les nôtres, de parleurs de cailloux, comme tu dis, peut-être que nous n’aurions pas perdu la guerre ! » contra Lotti, pour une fois tout aussi courroucée « Tu crois que tu es le seul à avoir souffert de cette défaite ? Mon grand-père est mort sous les ordres de ton père ! »
La remarque fit mouche, et Vinzans s’excusa à mi-voix, Lotti se calmant tout aussi abruptement, épuisée après son accès de colère soudain.
« Je sais que tu n’aimes pas les magi parce que leurs barrières ont échoué à protéger ta maison… et ta mère... » murmura-t-elle « Mais c’est bien pour ça que nous devons nous améliorer. » expliqua-t-elle plus calmement « Et les Germaniques ont un avantage certain sur ce sujet grâce au taubrastein. »
Elle désigna le schéma technique sur lequel ils avaient été tous deux penchés quelques instants auparavant.
« L’Empire Germanique n’extrait que 4 tonnes de pierres de mana par an, alors que nous en extrayons 12 en Francia. Mais le talent de leurs taubrasteinmeisters leur a permis de faire des progrès bien plus rapides que nous sur les méthodes d’exploitations de ces pierres. Regarde ce schéma, nous sommes incapables d’alimenter un fusil avec une si petite pierre ! Une arme Francianne équivalente aurait besoin d’une pierre, trois, peut-être quatre fois plus grosse! »
Au regard songeur de Vinzans, Rowan s’aperçut qu’il avait fait fausse route toutes ces années. Il avait tenté d’éveiller un intérêt quelconque pour la culture ou l’Histoire des Bergmännchen pour faire le Sèrvan accepter sa propre magie.
Il aurait dû parler de guerre au futur duc de Lorraine.
52 Taubrasteinmeister : se dit d’un magus entraîné au taubrastein
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