XIII. Loarwenn

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Les années avaient filé bien plus vite qu’elle ne l’aurait pensé.
Déjà, trois années s’étaient écoulées depuis son entrée à Sainte-Geneviève, et la Morrigane et son frère s’apprêtaient à entrer en quatrième année – tandis que Rowan et Vinzans entamaient leur avant-dernière année à l’École Centrale.
En cet automne 1914 – la Première Guerre Mondiale n’avait pas encore commencé.
Pourtant, Loarwenn ne pouvait être soulagée, pas quand une ambiance pesante régnait en Europe. La guerre n’avait peut-être pas encore été déclarée – mais les tensions croissantes entre pays rendaient clair le fait que ce n’était qu’une question de temps avant que la situation n’atteigne le point de non-retour.
Pire encore, le problème du nombre croissant de brèches, qui n’avait semblé qu’être une anomalie temporaire à l’époque, n’avait cessé d’empirer, et il était clair à présent que certains pays étaient plus touchés que d’autres. Il commençait à se murmurer que le problème n’était pas d’origine naturelle – mais bel et bien une attaque ennemie.

Certains étaient prompts à s’esclaffer que personne n’avait jamais réussi à contrôler les brèches, ni à provoquer leur ouverture – on n’était même pas capable de prédire leur ouverture !
Sauf que Loarwenn savait que les meisters Francian étaient capables de prédire ces ouvertures à présent, en grande partie grâce au travail effectué avec elle durant ses vacances scolaires, pour déterminer ce qu’elle ressentait quand elle prédisait l’ouverture des brèches.
Si les Francians avaient été capables d’inventer une nouvelle barrière d’ancienne magie capable de prédire l’ouverture des brèches – pourquoi d’autres n’en seraient-ils pas capables ?
Et si ces autres, quels qu’ils soient, avaient été capable de déterminer l’ouverture des brèches avant le royaume de Francia – pourquoi leurs recherches ne les auraient-ils pas menés plus loin ?
Les peuples de Nobilia, par bien des côtés, étaient encore très innocents, n’ayant pas encore réalisé quelles atrocités les êtres pensants, quelle que soit leur espèce, étaient capables d’accomplir.
Enora était née en 2042, en Futuria.
Elle était née dans un monde qui avait déjà vécu deux guerres mondiales, connu les retombés des bombes atomiques et vécu à travers des décennies de terrorisme.
Et vivant avec des magi, elle avait grandi avec ce conseil mille fois martelé.
« Ne montre jamais de magie en Chine. »
Le fait qu’Enora elle-même n’ait pas une once de magie ne l’aurait pas sauvé – le simple fait d’être prise avec un objet magique était une peine de mort assurée dans le pays.
Bien sûr, une fois l’Évènement de Stonehenge passé, et la magie révélée une fois de plus au grand jour, le gouvernement Chinois avait protesté contre l’idée qu’ils aient effectué un quelconque génocide magique. N’en restait pas moins – que c’était le seul pays au monde sans population magique officielle.
Enora – Loarwenn savait que si un pays avait découvert un moyen de militariser les brèches, alors, aussi impensable que cela semble au reste du monde, il s’en servirait.

Bien sûr, aussi pesant que soit le contexte géopolitique, tout n’était pas sombre pour autant, et ses années à Sainte-Geneviève avaient été passées avec un groupe toujours grandissant d’amis.
Dès le début de sa première année, Gabriel de Wettin s’était joint à son groupe d’ami, la Morrigane heureuse de voir le Nûton enfin l’approcher. Elle avait reconnu le petit dauphin, aperçu pour la première fois se cachant de ses courtisans dans un chêne. Elle avait immédiatement ressenti de la sympathie pour le jeune prince, dont le visage n’exprimait pas tant le calme, qu’un ennui et une résignation profonde, paraissant presque déplacé sur un visage aussi jeune.
Et plus les années passaient, plus cet ennui se renforçait, le petit dauphin se pliant à toutes les coutumes sans se plaindre, et sans intérêt – mais cette apparente froideur, qui ne manquait pas de faire parler les jeunes de la noblesse, n’était qu’une façade, de l’avis de Loarwenn.
Parce que s’il était vraiment si indifférent qu’il le prétendait – ses yeux, au demeurant si lumineux, ne s’assombriraient pas autant dès qu’il entendait les murmures moqueurs dirigés contre sa patrie.
Gabriel était certes un génie n’ayant que peu de centres d'intérêts dans la vie – mais au-delà de l’intérêt qu’il avait développé pour le Morrigane après avoir espionné sa conversation avec Rowan tant d’années auparavant, il avait une véritable passion dans la vie.
La principauté-indépendante de Belgique, ou plutôt, son peuple.
Ce que Loarwenn avait déjà deviné sur le jeune prince, le reste de ses amis avait fini par l’apprendre également, au fur et à mesure que celui-ci s’était fait une place parmi eux, et qu’ils avaient appris à le connaître.
Même Rowan, bien qu’il ne puisse s’empêcher de chamailler avec le Nûton, avec qui il avait établi une rivalité bien différente de celle qui l’unissait à la Morrigane, était pour finir devenu bon ami avec lui – même si ce n’était pas toujours évident au premier coup d’œil.

Après des débuts difficiles en première année, Lotti et Vinzans avaient fini par s’entendre, trouvant notamment un terrain d’entente dans leur intérêt pour les techniques militaires. Cet intérêt, bien que purement magique pour Lotti et purement martial pour Vinzans, avait dans un premier temps causé nombres de disputes violentes entre eux ; s’achevant généralement par des excuses penaudes de la part du duc-héritier de Lorraine, dont les mots dépassaient souvent les pensées.
Mais avec le temps, ces discussions avaient fini par faire réfléchir le Sèrvan, qui en était même venu à se confier à eu concernant son propre don de taubrastein – et Lotti et son enthousiasme, avaient sans le savoir porté le coup de grâce à la honte que le jeune homme ressentait pour sa haute magie.
La magie n’était toujours pas une passion pour Vinzans – mais il avait énormément progressé dans sa maîtrise de son don de contrôle, et d’analyse des minéraux, et se prêtait volontiers aux divers tests et analyses de Lotti, qui dépensait plus de son argent de poche en pierres de mana pour leurs expériences qu’en toilettes ou autres parfums.
Et lesdites expériences commençaient à porter leurs fruits ! En fin de deuxième année, Louise de Trencavel, leur professeure d’arithmancie, avait été si impressionnée par les recherches de Lotti qu’elle avait décidé de les sponsoriser officiellement, permettant à la jeune fille de publier un article sur les manières d’améliorer la vitesse de rechargement des pierres de mana dans le Bulletin Francian des Innovations.

Vinzans avait même vu ses notes s’améliorer de manière notable dans tous ses examens de magie, aillant finit par apprendre des choses à force d’entendre Lotti parler de ses projets, provoquant l’hilarité de Rowan.
Loarwenn n’avait aucun mal à imaginer le duo continuant dans cette voie au-delà de Sainte-Geneviève. Et bien qu’ils n’atteignent probablement pas le rang de taubrasteinmeister de si tôt, l’aide qu’apportait Vinzans à la jeune fille pour ses recherches sur les pierres de mana était déjà précieuse, ayant accéléré son travail de plusieurs années. Lotti avait eu raison dès la première année – la supériorité technique actuelle de l’Empire Germanique était bel et bien due à leurs taubrasteinmeisters… Mais la jeune Lorraine avait fermement l’intention de combler cet écart, taubrasteinmeister ou pas, et Vinzans était tout disposé à l’aider.
Dans leur dos, les élèves de Sainte-Geneviève parlaient déjà de Lotti comme de la future duchesse en riant – et même leurs amis n’avaient aucun mal à imaginer les deux finir ensemble. Seul le duo lui-même semblait complètement aveugle à l’éventualité…
Lotti avait fini par grandir au-delà de son amourette d’enfance pour Vinzans, construisant avec celui-ci une amitié solide bien plus satisfaisante. Mais bien qu’elle nourrisse toujours une flamme pour l’adolescent, elle était incapable de concevoir que ses sentiments puissent être retournés, son esprit incapable de tout à fait oublier les longues années durant lesquelles le futur-duc l’avait regardé avec mépris pour son amour de la magie.
Quant au futur-duc lui-même, il avait beau être devenu plutôt populaire auprès des demoiselles de l’école pour sa tendance à provoquer en duel – et battre sans aucune pitié – les nobles un peu trop entreprenants ; il restait désespérément naïf concernant sa propre vie sentimentale.

Une autre addition à leur groupe d’ami arriva en cours de première année.
Paul Lefebvre était l’un des rares magi étudiant à Sainte-Geneviève à ne pas être issus de la noblesse. Plus impressionnant encore, c’était l’un des trois boursiers sponsorisés annuellement par la famille royale elle-même, prouvant que le jeune Humain était loin d’être stupide, même s’il avait choisi de se spécialiser dans les armes.
Le boursier était de la promotion de 1910, et il avait visiblement hésité longuement avant d’oser les approcher, échaudé par sa première année scolaire, durant laquelle il avait eu quelques déboires avec Louise d’Orléans et ses sbires. La princesse faisait partie, sans grande surprise, de ces nobles un peu trop fiers de leurs privilèges, qui continuaient à critiquer le fait que des roturiers soient devenus admissibles à Sainte-Geneviève.
Un changement effectué par Napoléon Bonaparte durant ses années impériales — donc vieux de plus d’un siècle ! Mais que certains continuaient à critiquer, malgré les répercussions positives provoquées par ledit changement, qui avait notamment provoqué une augmentation du nombre de chevaliers et mousquetaires…
Si elles menaient à des carrières lucrative, voire à une éventuelle entrée dans la basse noblesse, les années à Sainte-Geneviève restaient un parcours du combattant pour les roturiers parvenant à passer le concours et rassembler l’argent nécessaire pour payer leur scolarité. En effet, ils ne bénéficiaient pas, contrairement aux nobles, de tuteurs privés pouvant commencer leur éducation avant – et l’école publique avait beau être très efficace dans le Royaume de Francia, elle ne préparait en rien ses élèves au niveau d’études autrement plus avancé de Sainte-Geneviève. De plus, ils n’avaient généralement personne, contrairement aux nobles, pour les guider et les entraîner dans les dons, généralement minimes, de haute magie qu’ils possédaient. Un vrai désavantage, puisque c’était précisément la maîtrise de cette haute magie qui donnaient aux jeunes magi les bases de puissance et de contrôle nécessaire à l’apprentissage de la basse magie.

Paul avait su persévérer malgré tous ces obstacles, apprenant tout seul à maîtriser la télékinésie l’ayant révélé comme magus durant son enfance, compensant son retard par des heures et des heures passées sur les terrains d’entraînement ou à la bibliothèque, pour finir sa première année parmi les dix meilleurs élèves de sa promotion.
Sa ténacité lui avait immédiatement fait gagner le respect du groupe d’amis – l’amitié était venue avec le temps.
Après sa méfiance initiale très compréhensible contre les nobles, le magus avait fini par admettre avoir été sauvé lors d’une brèche par Loarwenn – qui l’avait enfin reconnue de la brèche que Loargann et elle avaient affronté au premier jour de l’année scolaire.
Son ambition première était de succéder à son père dans la gendarmerie. Ce qui avait stupéfait Vinzans, qui peinait à comprendre pourquoi le magus ne préférait pas devenir chevalier ou mousquetaire. Après tout, les deux corps étaient bien plus prestigieux que la gendarmerie, et acceptaient les roturiers parmi eux – leur donnant même une chance de devenir noble.
« Je n’ai aucune envie de devenir noble. » lui avait répondu Paul – surprenant un peu plus le futur duc « Bien qu'apprendre à vous connaître m’a fait comprendre que finalement, comme dans le peuple, il y a du bon et du mauvais dans vos rangs. » admit-il
La remarque avait fait grimacer le groupe, avec qui il avait partagé au fil du temps son histoire – la mort de sa mère dans une anomalie, qui n’avait été combattue que trop tard parce que le noble local n’avait pas laissé de patrouille dans la région.
Une faute gravissime pour un noble, et qui expliquait aisément pourquoi il avait été déchu de son titre – ainsi que la rancœur que Paul avait entretenue contre toute la caste pendant si longtemps.

Et c’était peut-être pour ça que contrairement à de nombreux magi issus du peuple, le jeune Humain n’avait pas pour ambition de devenir noble – mais au contraire de continuer à protéger les gens du peuple à plus petite échelle.
Les chevaliers et les mousquetaires étaient peut-être ceux qui protégeaient le pays des brèches – mais les problèmes plus quotidiens, les vols, meurtres ou autres tapages, étaient la charge de la gendarmerie. C’étaient également les premiers à être appelés au front, aux côtés des nobles, en cas de guerre.
C’était certes une carrière moins glorieuse – mais tout aussi essentielle à ses yeux.
Les nobles de son groupe d’amis avaient mis du temps à comprendre, élevés comme ils l’avaient été dans des manoirs ou château toujours entourés de chevaliers. Mais Loarwenn comprenait mieux grâce à ses souvenirs en tant qu’Enora. Les crimes ordinaires étaient une préoccupation lointaine pour les nobles, dont les maisons biens protégées et les capacités magiques dissuadaient aisément les voleurs et autres agresseurs – mais ce n’était pas le cas pour les roturiers, et la gendarmerie était le seul corps d’arme à se préoccuper de ces problèmes.

Les deux dernières additions à leur groupe d’ami n’étaient arrivées que l’année suivante, alors que Loarwenn commençait sa deuxième année.
Selaven était entré à Sainte-Geneviève, devenant la source de bien des curiosités en tant que premier Morgazh à étudier dans l’école prestigieuse. C’était devenu, comme prévu, l’assistant de Loargann, afin de lui permettre d’avoir accès à une baignoire au quotidien – et il recevait un chargement de sels minéraux directement de Kerdraon-dindan-mor tous les mois, pour mieux simuler l’eau de mer et éviter toutes carences.
Sa peau mauve et ses branchies avaient fait beaucoup parler au début – mais au final, les espèces magiques aux couleurs uniques n’étaient pas si rares que ça, même s’il y avait assez peu en Francia.
De plus, les jeunes nobles de Sainte-Geneviève avaient vite trouvé un autre sujet de conversation – la dernière à joindre leur groupe d’ami, Nahimana de la Vigne, petite Okima(53) de Nouvelle-Francia, descendante du dernier Latéral connu.
Nahimana s’était rapidement liée d’amitié avec Loarwenn, étant la seule autre jeune fille de l’école destinée à hériter d’un titre de haute noblesse. La jeune Changeuse(54) Paweesuk(55), avait un caractère bien trempé, en complète opposition avec son apparence encore plus « petite et mignonne », pour citer Vinzans, que Loarwenn elle-même.
Bien que prenant son rôle de future Okima très au sérieux, elle était aussi animée d'une joie de vivre contagieuse – et c’était aussi celle qui avait finalement su apaiser Loarwenn, quand elle avait parlé à demi-mots de ses craintes de guerre imminente.
« La guerre viendra quand elle viendra. » avait dit la princesse-héritière avec fatalité « Tu es déjà préparée autant que tu le puisses, et le duché de Bretagne est probablement l’un de ceux le plus apte à réagir à une guerre surprise. Cesse de t’inquiéter, profite de la vie... » son sourire devint plus féroce « Et le moment venue, pars au combat, et anéantis tes ennemis ! »

La dernière réplique avait fait frissonner ses amis – leur rappelant soudain pourquoi le premier contact entre les Européens et les Américains avaient été si compliqué.
Depuis l’époque Romaine, tuer un magus, noble ou non, était quelque chose de très mal vu, voir de presque tabou en Europe. Ceux-ci étant si peu nombreux par rapport à la population non-magique, chacun était considéré comme essentiel dans le combat contre les brèches et les créatures magiques.
Même lors des guerres, tous privilégiaient la capture de prisonniers à la mise à mort – faisant du Moyen Âge de Nobilia une époque bien moins sanglante que son équivalent en Futuria.
Tout cela avait changé avec la découverte du nouveau monde – les Amériques.
Les peuples locaux étaient dirigés par des shamans aux pouvoirs magiques puissants, étaient principalement constitués de vastes hordes de Garou(56), capable de prendre une forme animale, généralement plus imposante et plus puissante que les animaux eux-mêmes.
Et contrairement aux Européens, ils n’avaient aucun scrupule à tuer les magi.
Les premiers affrontements avaient été sanglants, et avaient profondément choqué les Européens – avant qu’ils ne se décident, eux aussi, à utiliser des méthodes plus violentes. Les peuples locaux et les nouveaux arrivants avaient fini par conclure, après des décennies et conflit, qu’aucun ne l’emporterait sur l’autre sans en arriver à des mesures bien plus drastiques, et avaient fini par signer des traités de paix.
Ces traités de paix étaient devenus avec le temps des traités de cohabitation – et finalement de véritables alliances, à l’image de la Nouvelle-France, première principauté indépendante, qui bien que jurant allégeance au roi de Francia, était gouvernée de manière entièrement autonome par les familles nobles nées des unions entre shamans locaux et nobles Francian expatriés.

Les premières semaines de la nouvelle année scolaires étaient passées rapidement, le traditionnel bal de Samhain de Sainte-Geneviève approchant à grands pas.
Comme chaque année, à l’occasion du premier des trois bals organisés par l’école – le suivant ayant lieu pour l’équinoxe de printemps, et le dernier pour celle d’été – l’atmosphère devenait fébrile dans l’école.
Nahimana et Lotti l’avaient entraînée choisir une robe dès la fin du mois de Septembre. Quand les garçons s’étaient à leur tour décidé de se préoccuper de leur propre tenu, Rowan, qui était, comme tous les ans depuis son entrée à Sainte-Geneviève, son cavalier, avait été sommé de trouver une tenue en accord avec la sienne.
Nahimana, toujours très sûre d’elle, avait également informé Paul qu’il serait son partenaire, surprenant – et terrifiant un peu – le magus qui avait jusque-là toujours réussit à éviter l’évènement si typique de la noblesse à ses yeux. Mais face à une force de la nature telle que la petite Okima – il comprit aisément qu'il vaut mieux s’avouer vaincu. Après tout, ce n’était pas comme si accompagner la jeune Paweesuk le gênait, c’était plutôt le bal lui-même qui ne l’intéressait guère.
Lotti et Vinzans étaient cavaliers – et les deux Lorrains se refusaient à leur expliquer comment la décision avait été prise, ou qui avait invité l’autre, se contentant de rougir abondamment dès que le sujet était abordé.
Gabriel, à la surprise générale, avait accepté la demande timide d’une jeune comtesse Wallonne de la promotion de Selaven et Nahimana, Cécile d’Hermicourt – bien qu’il soit plutôt évident aux yeux de tous que c’était un rendez-vous purement platonique. Il avait par la suite expliqué savoir que la jeune fille entretenait une relation amoureuse discrète avec un chevalier resté en Belgique.
Ni Loargann, ni Selaven, n’avaient fait le moindre effort pour trouver une cavalière – évitant bien au contraire avec soin tous les regards débordants d'espoir jetés vers eux. Finalement, pour mettre fin au flot de demandes, le Morrigan et le Morgazh avaient décidé d’aller au bal ensemble.

C’était quelque chose que Loarwenn ne se lassait jamais de constater – à quel point Nobilia, par rapport à Futuria, progressait vers la tolérance plus vite que son ancien monde.
Tout pointait vers le fait que le sexisme et le machisme, même s’ils existaient, étaient moins prévalents qu’à la même époque en Futuria, pour une raison assez simple. La magie – grand égalisateur s’il en était – qui était souvent une spécialité féminine, et pourtant pas moins dévastatrice sur les champs de bataille.
Si les hommes tendaient à préférer les armes, et les femmes la magie – ce n’était pas une loi universelle – et hommes comme femmes étaient essentiels sur le champ de bataille et face aux brèches, pour peu qu’ils aient les compétences nécessaires.
De même, les relations homosexuelles, trouples et autres liaisons qui auraient paru être des aberrations en Futuria aux mêmes époques étaient généralement acceptées – tant qu’un héritier, qu’il soit adopté, issu de la famille étendue, voire conçu sur le côté, soit désigné.
Non pas que Loargann et Selaven soient impliqués de la sorte – même si Loarwenn ne serait pas surprise que cela finisse par arriver – mais cela expliquait pourquoi la nouvelle avait été prise, plus qu’avec choc, colère ou dégoût, avec beaucoup de déception de la part de celles et ceux qui espéraient avoir l’un des deux comme cavalier.

Samhain était connu comme la nuit où le voile entre les mondes était le plus fin – et effectivement, la journée suivant la nuit de Samhain était généralement le théâtre de bien plus d’ouverture de brèche que les autres jours.
Ce qui expliquait pourquoi le bal de Samhain était si particulier. C’était le seul bal où il était coutumier de venir avec son arme personnelle, alors que d’ordinaire, les nobles se contentaient d’armes d’entraînement dans les arènes de duel. De plus, il commençait très tôt – dès 16 ou 18 heures – et durant la soirée, les plats d’automnes étaient accompagnés de sauces chocolatées et autres collations sucrées destinées à garder les nobles éveillés et en pleine forme. De même, s’il n’était pas interdit, l’alcool était très peu présent – et dès minuit, la fête se terminait.
S’ensuivait traditionnellement une distribution de potions énergisantes – consommées si besoin en cas de brèches.
Cependant, même si le bal lui-même était terminé à minuit, il n’était pas rare que les nobles restent éveillés, à discuter en petit commités, ou à s’adonner à des jeux de salons jusqu’à l’aube.
Puis au lever du jour, ils se rendaient en famille au cimetière familial – avant de passer le reste de la journée, prêts à répondre aux alertes de brèches.

Loarwenn, Nahimana et Lotti s’étaient rassemblées dans la suite de la petite Okima, invitant également la cavalière de Gabriel, tandis que les garçons avaient investi celle du petit dauphin.
À bientôt quinze ans, c’était la première fois que la Morrigane se maquillait vraiment, pour la plus grande joie de Lotti. L’année précédente, celle-ci avait bataillé en vain pour la convaincre de se laisser maquiller et faire d’elle la reine du bal – dans le but avoué de prouver à Louise d’Orléans qu’elle n’était plus la belle de l’école.
Cette année encore, Loarwenn n’avait pas eu l’intention de tenter de voler la vedette à la princesse gâtée, craignant d’avance ses représailles, qui seraient, à défaut de grave – certainement agaçantes.
Mais Louise lui avait assené une fois de trop, durant les semaines menant bal, de ne pas trop se faire d’illusions, car Rowan ne la choisissait comme partenaire que parce qu’il la considérait comme une petite sœur.
Ce qui l’agaçait de plus en plus, sans qu’elle ne sache bien pourquoi.
Bien sûr – elle savait bien que quoi que Louise d’Orléans pense, Rowan ne l’aurait pas choisie comme partenaire si son amie d’enfance n’avait pas été présente. Après tout, il avait préféré se rendre au bal avec Vinzans, plutôt qu’avec la princesse, durant ses deux premières années à Sainte-Geneviève !
Mais Loarwenn était pleinement entrée dans l’adolescence à présent, et entendre la princesse parler de son « physique d’enfant » alors qu’elle voyait au contraire son corps se développer devenait insultant. Certes, elle n’avait pas les courbes plus que généreuses de la Lutin, mais elle ne ressemblait plus à une petite fille pour autant !
Alors, elle avait laissé carte libre à Nahimana et Lotti – et le moins que l’on puisse dire, c’est que la Paweesuk et la Gnome s’en étaient données à cœur joie !

53 Petit Okima : titre donné à l’hériter de la principauté de Nouvelle-Francia

54 Changeur/se : espèce magique, parente des Garous, partageant avec ceux-ci le fait de posséder une forme animale dont les instincts et caractéristiques empiètent sur leur apparence humanoïde.
Les Changeurs sont capables en revanche de se transformer à volonté et d’utiliser la magie même dans leur forme animale.

55 Paweesuk : espèce sentiente appartenant à la famille des Changeurs, les Paweesuk sont principalement originaires du Nord-Est des Amériques. Ils possèdent aussi parfois des dons liés à la magie de la faune.

56 Garou : espèce magique possédant une forme humanoïde et une autre animale. La forme humanoïde est influencée par la forme animale.
De plus, les Garous sont forcés de se transformer à chaque pleine lune, ou sous le coup de puissantes émotions. Avec de l’entraînement, ils deviennent cependant capables de contrôler les transformations liées à leurs émotions, ou de les déclencher à volonté.

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