Lotti
La jeune Gnome relut une troisième fois la lettre de son père – ses yeux butant encore et toujours sur les mêmes mots.
Repliant soigneusement la missive, elle rangea ses livres et notes dans sa besace, et sorti se promener, ayant besoin de prendre un peu l’air pour appréhender la nouvelle qui venait de lui être annoncée.
Lotti avait eu le béguin pour Vinzans d’aussi loin qu’elle se souvienne.
Même si elle était plus jeune que lui, elle seule semblait se rappeler leur première rencontre, avant même sa petite présentation. Quand le jeune Sèrvan de tout juste cinq ans s’était enfuit de la fête lui étant dédié pour se cacher dans les jardins du manoir de Lunéville.
Son père avait ouvert leur demeure familiale au duc pour la petite présentation de son fils unique. En effet, celui-ci n’avait toujours pas choisi une nouvelle résidence depuis la perte d’une partie de ses terres – et avec elle, de la forteresse ancestrale des de Boecklin.
A la place, le duc passait la plupart de son temps entre les divers forts bordant la nouvelle frontière – et son fils le suivait dans tous ses déplacements, ayant eu, en conséquence, une éducation irrégulière et sporadique.
Les enfants étaient cruels – et plus encore avec qui que ce soit de différent.
Le petit duc, qui connaissait bien moins d’étiquettes qu’eux, maîtrisait à peine sa caellimancie de terre et n’avait pas hérité du bestias lyra que possédaient tant de Sèrvan, était vite devenu une source de quolibets.
Vinzans s’était enfuit de sa propre présentation – puis perdu dans les bois entourant le domaine.
Lotti était également dans les bois – mais pas perdue – et avait retrouvé le garçonnet, pleurant, la tête posée sur ses genoux égratignés et assit sur une souche.
La petite Gnome, qui ramassait des champignons, avait su consoler le garçon – et l’entraîner dans sa quête. Ils avaient ainsi fini par passer tout l’après-midi dans le bois familial, à cueillir des plantes. Vinzans s’avéra rapidement être un bon partenaire de jeu, gentil et patient. Il ne s’agaçait pas de la lenteur de la minuscule gamine comme d’autres enfants du marquisat le faisaient si aisément ; et il écoutait avec intérêt ce qu’elle lui racontait avoir lu sur les bois environnants, plutôt que de perdre patience comme elle avait tant l’habitude venant d'autres enfants !
Finalement, quand ils avaient rejoint le manoir à la nuit tombée, la plupart des invités étaient partis, et leurs parents commençaient à s’inquiéter de leur absence.
Vinzans s’était immédiatement endormi dans les bras de son père, épuisé par ses émotions – et Lotti n’avait plus vu le garçonnet avant deux années, lors de sa propre petite présentation.
Elle qui était si excitée à l’idée de revoir le petit duc, et de renouer leur amitié, avait vite déchanté.
Vinzans l’avait complètement oublié, et en deux ans, c’était devenu un petit garçon violent, répondant aux insultes par les armes, et ne cachant pas son mépris pour la magie. Il n’y avait pas de place pour elle dans la vie du Sèrvan.
Pourtant, Lotti voyait bien – qu’une grande partie du caractère violent et irrévérencieux du futur duc n’était qu’un masque. C’est à cause de cette réalisation, qu’elle n’avait jamais pu tout à fait oublier le petit garçon de son enfance.
Puis Lotti était arrivée à Sainte-Geneviève – et elle n’avait certainement pas escompté se retrouver dans le même cercle social que son amourette d’enfance !
Le béguin s’était vite estompé au rythme de leurs disputes. À la place, quelque chose d’encore plus fort était née : une amitié solide, du genre de celle qu’elle avait toujours enviée à Loarwenn et Rowan quand elle voyait la Morrigane avec son Faë.
Si plongée dans ses pensées qu’elle l’était, elle avait à peine remarqué que ses pas, par la force de l’habitude, l’avaient mené vers les arènes de duel. Les heures de cours et celles de club étaient terminés. En revanche, les arènes étaient encore accessibles, sans supervision, aux élèves de cinq à septième année.
Elle fut à peine surprise de voir Vinzans parmi les jeunes nobles présents, en train d’achever sans ménagement un combat – Lotti reconnu son adversaire pour un jeune comte Provençal, dont elle avait entendu dire qu’il se comportait particulièrement mal envers les jeunes femmes moins titrées que lui.
La jeune Gnome sourit, guère étonnée de constater que le future duc de Lorraine lui donnait une leçon – Vinzans s’était même bâti une réputation auprès des demoiselles de l’école, pour sa forme de galanterie surprenante, mais bienvenue.
L’apercevant, un sourire éclaira le visage du Sèrvan, qui, ignorant son combat clairement achevé, pressa le pas pour venir la voir. Puis une expression compliquée s’installa sur son visage, moins radieuse et plus hésitante, et il ralentit un peu – trop tard, puisqu’il était déjà arrivé face à elle.
« Lotti ! »
Même sa voix était hésitante.
« Tu as aussi reçu une lettre de tes parents, hein ? » demanda-t-elle, un sourire mitigé sur ses lèvres
Vinzans devint écarlate, puis hocha la tête.
« Ce matin... » il hésita un instant, avant de demander en rafale « Tu n’as pas l’air plus perturbée que ça ? Tu n’as rien contre ? Personne d’autre qui t’intéresse ? »
Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire, amusée par le niveau de naïveté du Sèrvan.
Pas perturbée ? Elle avait du mal à former deux phrases cohérentes !
Avoir quelque chose contre ? La situation paraissait sortie tout droit d’un de ses rêves de petite fille !
Quelqu’un qui l’intéresse ? Personne d’autre que lui, et ce, depuis l’enfance !
Plutôt que de répondre tout cela, et potentiellement faire fuir son nouveau fiancé, elle lui adressa un sourire rassurant.
« Ce n’est pas encore un arrangement ferme, si l’un d’entre nous trouvait quelqu’un d’autre, il pourrait faire machine arrière sans problème. Donc non, je n’ai rien contre. » un haussement d’épaules amusé « Quant à avoir quelqu’un d’autre… Rien, si ce n’est un blondinet amateur de champignons quand j’avais trois ans ! »
Ce fut à son tour de rire à cette déclaration, tout en disant avec un sérieux affecté « Amateur de champignons ? Tu as bon goût, j’ai du souci à me faire ! »
Prise d’un élan de courage, Lotti se hissa sur la pointe de ses pieds pour déposer un baiser sur la joue du Sèrvan.
« Tu n’as aucun souci à te faire, après tout, tu aimes toujours autant les champignons. Maintenant, invites-moi au bal de Samhain. »
Vinzans avait rougi jusqu’aux oreilles, et balbutié quelques mots qui pouvaient passer pour une invitation, qu’elle avait accepté avec une révérence parfaite; avant de laisser le futur duc toujours un peu éberlué sur les bords de l’arène de duel.
Ce n’est qu’une fois dans sa chambre, et après avoir hurlé dans son oreiller d’une manière fort peu digne d’une jeune fille de la noblesse; qu’elle s’était autorité à rougir à son tour, se demandant comment elle avait trouvé l’audace d’embrasser le garçon pour lequel elle avait des sentiments depuis si longtemps.
Quoi qu'il en soit – même s’il n’était pas amoureux d’elle, sa réaction avait été loin d’être mauvaise. Arrangées par leurs parents ou non, ces fiançailles ne s’annonçaient pas si mal.
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