XIV. Rowan
« Arrête de t’agiter. » soupira Rowan
Vinzans faisait les cents pas dans l’antichambre menant à l’entrée de la salle de bal, où ils avaient convenu de rejoindre leurs cavalières. Et il ignorait toujours ce qui s’était passé entre Lotti et Vinzans – mais depuis que les deux avaient annoncé se rendre au bal ensemble, le Sèrvan semblait s’être soudain rendu compte que la jeune fille était – une jeune femme.
Une jeune femme avec laquelle il avait rendez-vous ce soir.
Et apparemment, le duc-héritier de Lorraine n’était pas indifférent au charme de la jeune Gnome – et il n’avait aucune idée de quoi faire de ses sentiments, ni même la plus petite idée du fait que celle-ci puisse être attirée par lui !
Parfois, Rowan était saisi par le besoin irrépressible d’enfermer les deux Lorrains dans une pièce pour qu’ils s’avouent enfin leurs sentiments, qui n’étaient devenus que plus évidents aux yeux de tous sauf eux avec les années. À l’air excédé de Gabriel, le Nûton était en parfait accord avec lui.
Quant à Loargann et Selaven, ils étaient insensibles aux mouvements de fauve en cage du Sèrvan, trop occupés à discuter à mi-voix – sur la manière dont les courants marins pouvaient aider, ou au contraire handicaper, leur caellimancie d’eau respective. Il prit une seconde pour s’émerveiller du fait que c’était la première fois qu’il comprenait que la caellimancie de mer des Morriganes et Morrigans était si intrinsèquement différent de la caellimancie océanique des Morgazhoù.
Puis, son attention fut attirée vers la lourde porte du bâtiment principal, bruissant pour s’ouvrir et laisser passer quatre jeunes femmes.
Vinzans rougit légèrement en regardant Lotti, qui portait une courte robe, du type qui ferait probablement hurler les dames les plus conservatrices de la génération de leurs parents, mais lui allait à ravir. La robe était en mousseline vert émeraude, brodée de motifs géométriques dorés et bordée de franges de la même couleur. Pour compléter sa tenue, elle avait choisi des rangées de joncs d’or, qui tintaient à chaque mouvement de poignet, et une large parure aux motifs faisant échos à ceux de sa robe. Une lourde bague complimentait l’ensemble – tout en ayant une utilité pratique, puisqu’il s’agissait d’un focus magique, du type que les magi utilisaient généralement pour rendre leurs sorts plus puissants au combat. Ses cheveux courts étaient coiffés d’un bandeau assorti à sa tenue, et elle portait également des gants longs. Enfin, pas de talons pour Lotti – nul n’en portait pour Samhain – elle avait donc choisi des ballerines de brocart.
La jeune Gnome devint écarlate quand Vinzans lui tendit le corsage qu’il avait préparé sans un mot – incapable de parler, certainement, puisqu’il venait de passer les dix minutes précédentes à répéter un compliment.
La tenue de Nahimana était similaire, mais avec des accents empruntés à ses origines Américaines, et sa robe était d’un bleu roi profond, souligné d’or, qui allait à merveille avec ses yeux dorés.
La petite Okima portait une rapière ornementée à sa taille, qui donnait un côté plus létal à sa tenue – et il était évident qu’aussi belle qu’elle soit, l’arme était aussi fonctionnelle. Paul bafouilla en lui présentant son corsage – mais parvint tout de même à effectuer une révérence parfaite, ce qui était plutôt impressionnant puisque le magus n’avait jamais pris une leçon d’étiquette.
La tenue de Cécile, la cavalière de Gabriel, était un peu plus conservatrice, la jeune femme ayant choisi une robe longue, fortement cintrée à la taille, dont la couleur bordeaux se mariant à merveille avec la tenue du petit dauphin. Il était clair que Nahimana et Lotti étaient passées par là cependant, la tenue ayant une touche de fantaisie bienvenue, un drapé de mousseline blanche vaporeuse laissant tout juste deviner un décolleté élégant.
À la manière dont elle rougissait et souriait tout à la fois, la jeune Nûton n’était pas tout à fait à l’aise avec sa tenue, mais l’appréciait tout de même beaucoup. Son sourire devint plus radieux encore quand le prince la complimenta en lui offrant un corsage. Comme Lotti, elle avait parmi ses bijoux un focus magique, aisément reconnaissable à l’éclat surnaturel que prenaient les pierres précieuses quand elles étaient saturées en mana.
Et enfin, Rowan aperçu Loarwenn.
Il n’était pas le premier à l’avoir vu, c’était évident à la manière dont les murmures s’étaient soudain tus dans l’antichambre. Le futur kont Bro San Brieg était habitué à cette réaction qu’il avait observée à de nombreuses reprises – à chaque fois que la dugez Breizh faisait son entrée, pour ainsi dire.
Et comme il l’avait toujours su, à présent que Loarwenn avait enfin fait l’effort de s’apprêter pour une soirée – elle provoquait exactement le même silence admiratif que sa mère.
Il ne put s’empêcher d’envoyer une pensée reconnaissante vers Louise d’Orléans, dont les semaines de moqueries avait provoqué ce changement – puis de la maudire, en voyant les regards admiratifs que tous les jeunes gens lançaient à sa meilleure amie.
Quel culot de leur part, de la regarder ainsi, après avoir ri de bon cœur aux plaisanteries déplacées de la princesse gâtée et de ses courtisans sur l’apparence enfantine supposée de la Morrigane !
Loarwenn était magnifique. Elle portait une robe sirène blanche, épousant les courbes qui avaient commencé à pointer le bout de leur nez durant l’année, doublée d’un voile de gaze noire fine, enlaçant sa silhouette pour la mettre un peu plus en valeur.
La tenue, très épurée, attirait l’œil au milieu des tenues colorées et ornementées favorisées par le reste de la noblesse – mais son élégance n’avait rien à envier à celles-ci. La seule touche de couleur venait des bijoux de la jeune femme, qu’elle avait choisi d’or blanc et de saphir clairs – une parure comprenant des boucles d’oreilles pendantes, au motif de flocon de neige faisant écho à son sigil, assorties d’un bracelet, d’une bague et d’un collier.
C’était, à n’en pas douter, le collier la pièce maîtresse de l’ensemble, et il avait en plus l’avantage – ou le désavantage, Rowan n’était pas trop sûr en apercevant le regard des autres nobles – d’attirer l’œil vers le décolleté de la jeune femme.
Bien qu’il ait toujours été impressionné par les tenues de l’actuelle dugez Breizh, jamais, elle ne l’avait laissé sans voix comme il l’était devant Loarwenn.
Il avait eu tort – la Morrigane n’était pas aussi belle que sa mère – elle l’avait d'ores et déjà dépassée.
Retrouvant ses mots à grande peine – et ignorant l’expression hilare de Vinzans, il s’inclina devant son amie de toujours, lui tendant le corsage bleu et blanc, grâce aux recommandations de Lotti.
« Tu es radieuse, Wenn. » la complimenta-t-il très sincèrement « Et bien plus que la plupart des nobles présent ne méritent de contempler. »
La Morrigane lui répondit par un rire amusé « Tu te soucies trop de leur opinion, quand seule la nôtre devrait t’importer. Tu es très séduisant, comme toujours, et Nahimana et Lotti ont accompli leur magie, et ont fait de moi la reine du bal. Que demander de plus ? »
Le compliment avait beau être habituel – d’aussi loin qu’il se souvienne, la beauté de Rowan avait toujours été complimenté par Loarwenn, qui avait même mentionné un peu de jalousie à ce sujet à plusieurs reprises… Pourtant, cette fois, Rowan ressenti un peu plus de fierté en l’entendant.
Il savait que son apparence plaisait à Sainte-Geneviève, il n’était pas aveugle, ni aussi naïf que Vinzans, quoique le Sèrvan en question en pense.
Mais le compliment lui paraissait bien plus réel, et plaisant, venant de son amie d’enfance, que de quiconque d’autre dans l’école.
« Elles ont beau avoir fait un travail exceptionnel, tu n’as besoin ni de Nahimana ni Lotti pour être magnifique. » répondit-il du tac au tac – c’était quelque chose qu’il avait toujours su, même si la jeune femme ne semblait pas en avoir conscience
Même à l’époque si lointaine où il n’avait pas encore compris que c’était une fille, Rowan la trouvait déjà fascinante après tout – bien qu’à l’époque cela se soit traduit par une certaine jalousie plus que par de l’admiration.
Une fois de plus, un sourire illumina le visage de Loarwenn, et elle lui tendit la main – la saisissant pour l’escorter, ils se dirigèrent vers l’entrée du bal, où le reste de leurs amis les attendaient déjà.
Ce n’était pas la première fois qu’il escortait la Morrigane – et pourtant, il ne pouvait s’empêcher qu’il y avait quelque chose d’unique à cette soirée.
Et il était particulièrement heureux que ce soit à son bras que la jeune femme apparaisse si bien apprêtée pour la première fois.
À la fois ravis que tous voient enfin à quelle point Loarwenn pouvait être ensorcelante – et un peu agacée des regards si appréciateurs de tant de personnes qui n’avaient pas été capables de voir sa vraie beauté plus tôt.
Comme si la Morrigane avait besoin de robes ou de bijoux pour être belle !
Les heures défilèrent rapidement, Rowan partageant une première dance avec Loarwenn – mais les suivantes étant échangées avec le reste de leurs amis.
Tous avaient allègrement profité du buffet – particulièrement Nahimana, qui adorait les plats d’hiver, et avait notamment introduit à Sainte-Geneviève les tartes au potimarron – mais également de la piste de dance, et des balcons dispersés autour de la salle de bal.
« Il faudrait faire cesser la mode des talons. » déclara Lotti en observant ses ballerines avec un air d’adoration d’ordinaire réservée à ses recherches « J’ai tellement moins mal aux pieds que d’ordinaire ! »
Tous éclatèrent de rire.
« Tu fais la même remarque chaque année. » la taquina Loarwenn « Et pourtant, à chaque fois, dès que le bal de printemps arrive, tu ressors tes escarpins les plus hauts ! »
« Mais ils sont tellement élégants ! » gémit la Gnome pour toute réponse, faisant ses amis rires de plus belle
Loarwenn était sur le point de rétorquer, mais elle s’interrompit, tête légèrement penchée sur un côté, comme si elle écoutait un son que seule elle pouvait entendre.
Rowan échangea un regard inquiet avec Loargann et Selaven, les trois Bretons étant les seuls du groupe à pouvoir reconnaître la mimique de concentration de la jeune femme. Une mimique qu’elle arborait généralement peu avant qu’une brèche ne s’ouvre. Et pourtant – les secondes passaient, et Loarwenn ne lançait toujours pas l’alerte… Bien au contraire, elle semblait de plus en plus troublée.
« Je vais chercher un professeur. » lui murmura Loargann après que sa sœur ne réponde pas à ses appels plusieurs fois d’affilée
Rowan hocha la tête, mains toujours à proximité du sabre passé à sa ceinture, et remarqua que le comportement de sa cavalière était devenu suffisamment étrange pour que le reste de leurs amis commence à comprendre qu’il y avait un problème.
« DING ! »
Avec la tension qui l’habitait, Rowan sursauta quand les cloches de Sainte-Geneviève commencèrent à résonner.
Au premier écho, la musique s’arrêta, comme le voulait la coutume, tous commençant à se diriger vers la sortie – pour la distribution de potions énergisantes, puis aller terminer la nuit dans les salles communes des dortoirs, ou pour les plus chanceux, dans le salon d’un ami des dortoirs Alpha ou Oméga.
Un coup, deux coups – douze coups.
Le regard de Loarwenn était fixé vers la piste de danse, à présent vide, et Rowan referma la main autour de la poignée de son arme, se demandant pourquoi la Morrigane ne sonnait toujours pas l’alerte.
Au dernier écho de cloche, la magie vibra, si puissamment que tous dans la pièce la ressentirent, se retournant à leur tour dans la direction observée par Loarwenn depuis plusieurs dizaines de secondes.
Un bruit semblable à celui du tonnerre résonna, une lumière semblable à celle d’un éclair illumina la salle – et Rowan reconnu les signes avec stupeur, comme nombre d’autres magi dans la salle.
Le voile entre les mondes était en train de s’ouvrir, certes – mais ce n’était pas une brèche.
« Kieran ! »
Un homme était apparu au milieu de la piste de danse.
Humain d’apparence, paraissant avoir une vingtaine d’années, avec de longs cheveux bruns noués en catogan, une ombre de barbe et des yeux perçants, d’un bleu nuit étonnamment semblable aux cheveux de Loarwenn.
Loarwenn – vers qui le regard de l'inconnu – non, du Latéral – s’était immédiatement tourné en entendant son cri.
« Enora ! »
Il y avait une note de surprise – mais surtout de joie et de désespoirs mêlés – dans la voix de l’homme.
En quelques pas, le Latéral était près d’eux, étreignant son amie d’enfance avec la force du désespoir. Loargann, qui revenait déjà vers eux avec la directrice, avait les yeux écarquillés – et une lueur de compréhension dans le regard.
Après un instant de surprise, un brouhaha confus commença à s’élever, tous les élèves réalisant qu’un Latéral venait d’arriver en plein milieu de leur bal – un évènement tout autant palpitant que terrifiant, puisque l’arrivée de Latéraux était souvent annonciatrice de chaos.
Fort heureusement, les professeurs, alertés par Loargann, étaient déjà à proximité, et en mesure de prendre le contrôle de la situation rapidement.
Malgré leurs protestations, les élèves furent évacués, tandis qu’un messager partait prévenir la cour. Seul Loarwenn et Loargann furent autorisés à rester – l’une parce qu’elle avait si distinctement été reconnue par le Latéral, l’autre parce que c’était son frère jumeau.
Le reste du groupe d’ami se rassembla dans la suite de Gabriel, leur attention se tournant très vite vers Rowan et Selaven, qui connaissaient la jeune femme depuis le plus longtemps.
Le Morgazh lui lança un regard désemparé – il connaissait Loarwenn depuis toujours, certes, et avait toujours su qu’il y avait quelque chose d’étrange chez elle, mais jamais Selaven ne lui avait demandé d’explications, considérant que ce n’était pas suffisant pour changer leur amitié.
Rowan comprenait tout à fait – bien qu'il ait appris la vérité sur la source des bizarreries de la Morrigane, cela n’avait jamais changé la nature de son amitié pour celle-ci, au final !
Il n’en demeurait pas moins qu’il était le seul avec des réponses – et incertain de ce qu’il pouvait dire à leurs amis sans trahir la confiance de la jeune femme.
Fort heureusement – il n’était pas devenu ami avec le groupe rassemblé dans la suite du petit dauphin pour rien. Malgré la curiosité brillant dans le regard de tous, Vinzans brisa le silence.
«Bah ! Wenn nous dira bien ce qu’elle veut quand elle reviendra ! Qui veut faire une partie de Loup-garou ? »
L’ambiance pesante ainsi rompue, Gabriel avait vite trouvé un paquet de cartes, et ils avaient commencé à jouer au jeu, que Loarwenn leur avait présenté lors du bal de Samhain précédent.
Cependant, Rowan remarqua vite que tous dans leur groupe, jetaient de temps à autre un regard en direction de la fenêtre – dans l’espoir de peut-être apercevoir les jumeaux revenir vers eux.
Il se passa plusieurs heures avant que leur vœu soit partiellement exaucé, Loargann frappant à la porte de Gabriel, où il avait deviné qu’ils se seraient rassemblés, aux alentours de trois heures du matin.
Durant quelques secondes, un silence débordant d’attente régna, avant que Vinzans ne finisse par demander.
« Alors ? »
Rowan et Loargann échangèrent un sourire amusé – se remémorant un autre « Alors ? » plein d’attentes.
« Alors Kieran Le Goff est un Latéral. »
« Oui, enfin ça, c'était plutôt évident! » protesta la Sèrvan « Mais il connaissait Wenn ! Et elle le connaissait ! » le futur-duc leva les bras au ciel « C’est impossible ! Du jamais vu ! Et si je n’ai pas bientôt une explication, la curiosité va me tuer ! » conclu-t-il dramatiquement, portant une main vers son cœur
Roulant les yeux, Lotti utilisa l’éventail accroché à sa taille pour donner un coup derrière le crâne à Vinzans, le faisait bruyamment protester.
« Ce que Vinzans veut dire, c’est que nous nous demandons tous, ce qu’il se passe. Mais tant que tout va bien, nous pouvons attendre. »
« Wenn se doutait que son comportement avait provoqué des questions. » admit Loargann « C'est pour ça que je suis là. » il sourit, du sourire doux et affectueux uniquement réservé à sa sœur « Elle est resté avec Kieran, ils avaient du temps à rattraper. »
Le Morrigan avait expliqué rapidement le statut de quasi-Latéral de sa jumelle – qui expliquait comment elle avait pu reconnaître le nouveau venu.
Après tout – Kieran Le Goff était le meilleur ami d’Enora Casteleyn, à ses côtés depuis leurs cinq ans, l’aillant suivit à travers le monde et les ruines paléomagos. Il était là – quand une anomalie s’était soudain déclenchée, au milieu de l’Himalaya, entraînant la jeune archéologue avec elle.
Et il avait passé les trois années suivantes à étudier les ruines dans lesquelles elle avait disparu pour pouvoir la retrouver.
En d’autres termes – Kieran savait que tenter de percer le voile entre les dimensions était dangereux, et sans retour, mais pour sa meilleure amie, il l’avait fait.
« Eh ben, » siffla Vinzans, visiblement impressionné « ça, c'est de l’amitié ! »
Paul et Gabriel hochèrent la tête de concert, tous contemplant l’énormité de la chose – et contraints de se rendre à l’évidence qu’ils seraient probablement incapables d’abandonner leur vie, leur famille et le reste de leurs amis pour une seule personne.
Rowan, lui, sentit son cœur se serrer.
L’idée d’abandonner sa famille – sa mère si aimante, et son père froid, mais devenu moins distant avec le temps, ayant fini par admettre que leurs talents étaient différents – était certes terrifiante.
Mais le Faë ne pouvait que comprendre pourquoi Kieran l’avait fait, incapable d’envisager la vie sans Loarwenn.
Il s’était écoulé trois jours avant qu’ils ne revoient Loarwenn, la jeune femme et le Latéral aillant été convié à Versailles, sans grande surprise. À travers l’école, les rumeurs les plus folles circulaient – bien que personne n’ait été capable de deviner la vérité.
Plus les jours passaient, plus Rowan se sentait envahi d’une angoisse confuse, dont il n’aurait su expliquer la raison. Il avait été capable de passer deux années sans voir la Morrigane quand elle était plus jeune, il pouvait bien survivre trois jours sans elle, après tout !
Mais quoi que lui dise sa raison – le reste de son cerveau ne semblait pas disposer à l’écouter, une voix lui soufflant qu’à présent que la jeune femme avait retrouvé son vrai meilleur ami, aurait-elle encore du temps pour son remplaçant ?
Le Faë savait bien qu’une telle crainte était stupide – Loarwenn n’était pas quelqu’un qui donnait ou reprenait son amitié si aisément. Mais la petite voix trouvait toujours quelque chose de nouveau à dire.
C’est donc sans surprise que quand il aperçut la jeune femme aux portes de Sainte-Geneviève, il se jeta immédiatement dans ses bras.
Loarwenn lui jeta un regard surpris, qui s’adoucit bien vite, la Morrigane lui disant en souriant « Eh bien, si j’ai droit à un tel accueil après trois jours, peut-être que je devrais disparaître un peu plus souvent. »
« Absolument pas ! » refusa immédiatement le Faë, l’étreignait un peu plus fort en entendant l’idée saugrenue « Et me laisser seul avec ces barbares qui se disent nos amis ? Vinzans et Paul ont détruit l’arène de combat intermédiaire pendant les heures de club hier, et Lotti s’est mise en tête de comparer la constitution de la poussière de fées à celle des pierres de mana! C’est le chaos quand tu n’es pas là ! » une moue « Et puis, » admit-il sans honte « Tu m’as manqué. »
Avec un sourire amusé, Loarwenn tira sur l’une des tresses rouges intriquées de sa coiffure quotidienne.
« Ah quand même ! Je commençais à craindre que tu n’aies besoin de ma présence que pour jouer le garde-chiourme ! »
Il regarda autour d’elle, s’attendant presque à trouver le Latéral à ses côtés.
« Kieran est encore à Versailles. »
« Vraiment ? Pourtant, c'est pour être avec toi qu’il est venu, non ? »
Il peinait à imaginer l’autre se séparer volontairement de la jeune femme après avoir littéralement brisé le voile entre les dimensions pour la retrouver !
« Il devrait arriver à Sainte-Geneviève d'ici à la fin de la semaine. Il va être embauché comme maître de conférence, et devrait également travailler avec nos professeurs. » expliqua-t-elle « Après tout, Kieran est un Clausa Meister(57)/(58)réputé en Futuria. »
Rowan hocha la tête, plus calme – et plus rationnel – à présent que son amie de toujours était de retour à ses côtés.
Un poste à Sainte-Geneviève était loin d’être une mauvaise idée – les professeurs de la fameuse école étant tous des magisters, qui sauraient utiliser le savoir partagé par le Latéral et l’adapter à Nobilia, dont la magie ne se comportait pas tout à fait de la même manière qu’en Futuria. Et le Latéral pourrait rester auprès de celle pour qui il avait abandonné son monde.
Avec l’arrivée de Kieran à l’école, les rumeurs avaient filé bon train une fois de plus sur Loarwenn – et cette fois, son statut de quasi-Latéral avait été impossible à cacher. Mais bien qu’elle attire un peu plus de regards curieux que d’ordinaire, les rumeurs s’étaient bien plus tournées vers le nouveau venu.
Finalement – Loarwenn fréquentait Sainte-Geneviève depuis des années – alors que Kieran, lui, venait très littéralement de tomber dans le monde !
Bien que reconnaissant que les rumeurs n’aient pas été trop pénibles pour la Morrigane, Rowan ne put s’empêcher de rapidement être lassé d’entendre le nom du Latéral sur toutes les lèvres.
Loarwenn, sans surprise, passait énormément de temps avec celui-ci – et une bonne partie des jeunes nobles de l’école étaient en admiration devant lui, que ce soit pour son intelligence, son talent, sa gentillesse ou sa beauté.
« Tu es jaloux. »
Le Faë leva un sourcil inquisiteur en entendant l’affirmation, posée d’un ton placide.
Jaloux ? Lui ?
« Wenn n’est pas si volage qu’elle va soudain oublier votre amitié simplement parce qu’elle a retrouvé un vieil ami. » poursuivit Loargann, faisant apparaître une demi-douzaine de pointes de flèches en eau, qu'il envoya voler contre la cible sur laquelle le Faë entraînait ses propres lames d’air
Rowan observa les dégâts, impressionné, tout en ressassant ce que l’autre était en train de lui dire.
Était-il vraiment jaloux ?
« Tu n’as pas plus de raisons de craindre que Kieran ne change quoi que ce soit à votre relation, que tu n’as à craindre de moi. » poursuivit le Morrigan, tandis qu’ils alternaient leurs attaques contre la cible de paille renforcée
Il s’étira un instant, puis changea de cible – attisant la curiosité du Faë, puisque c’était vers la cible pour les attaques lourdes qu’il se dirigeait.
« Kieran est un grand-frère pour Wenn, ses parents ont adopté Enora quand elle avait cinq ans. » dit Loargann, sa magie se concentrant autour de lui en une trombe d’eau tourbillonnante « Leur relation n’a rien à voir avec la vôtre. »
Le sourire froid de Loargann lui rappela soudain celui que le Morrigan lui avait adressé, dix années auparavant, quand il avait repoussé la main de sa sœur.
« En revanche, si jamais tu venais à faire souffrir Wenn… Je ne serais plus le seul à prendre ma revanche. »
Il y avait une menace très claire dans la phrase – une menace plus terrifiante encore que quand le Morrigan était jeune, au vu de la cible qu’il venait de pulvériser.
Une menace que Rowan peinait un peu à comprendre – pourquoi ferait-il souffrir Loarwenn, après tout ? C’était, avec sa mère, la personne qui lui était le plus cher !
À sa réponse, Loargann avait levé les yeux au ciel, et s’était éloigné rejoindre leur groupe d’ami, arrivé entretemps, marmonnant quelque chose à propos du fait d’être entouré d’idiots aveugles à leurs propres sentiments.
Se demandant pourquoi le Morrigan parlait soudain de Vinzans, Rowan avait haussé les épaules, et rejoint leur groupe d’ami à son tour.
57 Clausa Meister : aussi nommé maître des barrières, titre donné à un magus spécialisé dans un type de magie affectant des zones, et utilisant des réservoirs magiques pour durer au-delà du sort initial
58 Meister : titre honorifique donné aux magi ayant un niveau de compétence élevé dans un domaine magique particulier.
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