XVI. Rowan

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Dans le feu de l’action, Rowan n’avait pas vu le moment exact où il avait perdu Loarwenn de vue.
Regardant frénétiquement autour de lui, il finit par apercevoir Ki’Ruz un peu plus loin, près d’un belvédère à présent détruit, qui surplombait un peu le champ de bataille, et avait en conséquent été choisit comme position par certains magi.
Plus surprenamment, elle était côte à côte avec Louise – et les deux jeunes femmes coopéraient avec une fluidité inattendue.
Les aléas du combat étaient tels qu’il ne pouvait se rapprocher de la Morrigane – en revanche, il se trouva bientôt aux côtés de Loargann et Kieran. Loargann était, comme toujours, létal, une fontaine proche étant devenu son bras armé. Kieran n’était visiblement pas autant habitué au combat que les autres Bretons, rappelant au Faë que les brèches n’existaient pas en Futuria. Cependant, il faisait preuve d’un sang-froid notable, prouvant qu’il avait déjà eu son lot d’escarmouches, à défaut d’une vraie bataille comme celle-ci.
Un soupçon d’agacement le traversa – fallait-il que le magus soit toujours si parfait ? Il le repoussa tout aussi vite, obligé de se rendre à l’évidence que l’Humain était talentueux et adaptable, et que dans la situation présente, c’était tout sauf un défaut.

Enfin, l’anomalie se referma, les derniers Fléaux furent abattus, et Rowan fut pris du besoin irrépressible de trouver Loarwenn. Jetant un coup d’œil aux alentours, il pressa Aodhán dans la direction du belvédère lointain où il apercevait encore Ki’Ruz, le gigantesque chien s’étant laissé tomber au sol au milieu des débris et haletant, visiblement éprouvé par le combat.
Sautant à terre, il se précipita vers Loarwenn, alternant entre vérifier qu’elle soit intacte et la serrer dans ses bras – la jeune fille faisant de même pour lui.
Ce n’était pas sa première brèche, bien sûr – mais jamais, il n’avait connu une bataille pareille. Autour d’eux, des pleurs et des cris de douleur résonnaient, et l’air était encore saturé en magie. Son étreinte se resserra un peu sur la jeune femme entre ses bras, peinant presque à croire qu’ils aient survécu tous les deux.
Loarwenn n’avait pas l’air plus disposée que lui à quitter son étreinte, mais si la bataille était finie -il fallait encore s’occuper des blessés – et des morts.

Le hall du bâtiment principal vu transformé en infirmerie temporaire, la salle habituelle bien trop petite pour le nombre de patients. Ils se mirent à aider en silence, travaillant côte à côte, le reste de leurs amis les rejoignant petit a petit, l’air tout aussi épuisés et défaits qu’eux.
Rowan sentit un poids se lever de ses épaules quand Paul fini par les rejoindre, certes blessé, mais purifié et vivant – Vinzans et Lotti les avaient rejoints plus tôt, hagards mais entiers, comme Nahimana, Selaven, Loargann et Kieran.
Gabriel était arrivé en avant-dernier, portant une jarre de cristal transparente, remplie de cendres noires et marquée d’un sigil. Du même genre que Louise avait invoqué un peu plus tôt au belvédère, grâce à un sort rassemblant les dernières traces de magie d’un magus ayant succombé à la corruption.
La jarre portait le sigil de Cécile.
Rowan ferma les yeux un instant, l’image de la jeune femme apparaissant dans son esprit l’espace d’un instant, tout sourire au bras du petit dauphin avec qui elle avait forgé une solide amitié, quelques heures plus tôt.
Loarwenn, qui avait aperçu le memento mori(65) un instant après lui, glissa sa main dans la sienne, la serrant compulsivement, comme pour vérifier qu’il était bien là.

La nuit était entamée depuis longtemps, le temps que tous les blessés aient été vus et les corps – ou plus souvent, les mementos mori, rassemblés.
Des sandwiches avaient été distribués – le genre de nourriture que jamais les nobles n’auraient usuellement touché, même leurs pique-niques étant plus élaborés – mais que tous mangèrent sans émettre une plainte.
La plupart des élèves passèrent la nuit dans leurs salles communes, incapables de se séparer après avoir survécu, et perdu tant de leurs camarades.
Leur groupe d’amis s’était rassemblé dans la suite de Loarwenn, qui avait entraîné Louise avec eux – la princesse, qui avait toujours l’air en état de choc, les avaient suivi sans protester.
Kieran les avaient également accompagnés, le magus de Futuria invoquant une pile de matelas et de couvertures qui furent vite empilés au milieu de salon. Ils s’écroulèrent promptement dessus, n’aillant même plus l’énergie de se laver ou se changer.
Ils étaient restés un long moment en silence dans le noir, épuisés et pourtant incapables de s'endormir.

Louise avait commencé à pleurer la première, expliquant comment elle s’était retrouvée avec Jacques de Roupy comme seul protecteur – une aberration pour une magus spécialisé en attaques lourdes, mais demandant du temps, et de l’énergie à lancer, comme elle l’était.
Comment la plupart des courtisans, toujours occupés à la suivre si fidèlement, avaient préféré fuir plutôt de combattre – et étaient parmi les premiers à être tombés au combat. D’autres n’avaient pas fui – mais avait préféré s’éloigner d’elle, refusant de dépenser leur énergie à la protéger. Allant par là même à l’encontre d’une des règles premières des batailles de brèches : protège les magi, et leurs sorts te sauveront la vie.
Seul Jacques était resté, comprenant bien que la jeune femme serait vulnérable pendant qu’elle préparait ses sorts les plus puissants.
Il en avait payé le prix.
Après ça, tous avaient commencé à parler à mi-voix, chacun aillant connu la terreur et le désespoir pendant le chaos de la bataille. Esprit enfin un peu apaisé, ils avaient fini par s’endormir d’un silence sans rêve.

Rowan s’était réveillé avec Loarwenn dans les bras. Loargann était endormi, la tête posée sur l’épaule de sa sœur, dans une position qui semblait plutôt inconfortable, Selaven utilisant ses genoux comme oreiller, et tout le reste de leur groupe étant dans des positions tout aussi incongrues.
Ce qui aurait probablement été une situation très gênante dans n’importe quelle autre circonstance n’avait pas même fait rougir un seul d’entre eux. Le groupe était toujours épuisé, mais à présent capable de prendre une douche et de changer de tenue, avant de se diriger vers le bâtiment central pour le petit-déjeuner, plus pour faire quelque chose que par faim. L’ambiance dans le réfectoire était sombre, et le repas bien plus simple que d’habitude.
La directrice annonça que les barrières de guerres avaient été levées pendant la nuit. Ce qui signifiait qu’entrer et sortir du campus était devenu bien plus compliqué, et faisable uniquement avec l’assistance de la directrice elle-même, ou du sous-directeur et lieutenant des mousquetaires de Sainte-Geneviève, le comte Matthieu d’Acres. Personne n’avait été surpris, les barrières étant si puissantes qu’il était impossible de ne pas les ressentir, à l’image d’une magna porta.
Personne n’avait été surpris non plus d’apprendre que la guerre avait été déclarée.
Ils avaient été un peu plus surpris d’apprendre que suite à l’attaque de l’école, un état d’urgence avait été décrété – et que tant que celui-ci était activé, plus aucun élève mineur ne quitterait l’école, qui allait fonctionner en totale autonomie jusqu’à nouvel ordre. Une mesure de protection activée pour la dernière fois durant la révolution, et s’étant poursuivi jusqu’au couronnement de l’empereur Bonaparte.

L’ambiance était sombre aux premiers jours de l’été, les élèves prenants conscience du fait qu’ils n’allaient pas revoir leur famille de sitôt.
Les cours normaux étaient terminés, mais les professeurs avaient vite mis en place un système conférences et d’autres cours pratiques, auxquels les élèves pouvaient s’inscrire pour se tenir occupés, et les activités extra-scolaires avaient également été maintenus.
Sans grande surprise, c'étaient les activités liées à la guerre qui avaient le plus de succès, les jeunes nobles ayant constaté que malgré leur entraînement depuis l’enfance, ils n’étaient pas aussi prêts à combattre qu’ils le pensaient.

Les nouvelles venant de l’extérieur n’étaient pas particulièrement bonnes.
Il était évident que les Germaniques avaient préparé leur offensive de longue date – et dès la guerre déclarée, ils avaient fondu sur les frontières Belges et celles de la Lorraine. Heureusement, grâce aux avertissements de Loarwenn, puis Kieran, les troupes étaient prêtes à riposter, ce que l’ennemi n’avait pas escompté. Les Francians étaient bien plus nombreux que les Germains, mais en clair infériorité technologique – les pertes dans les deux camps avaient été colossales ces premières semaines.
Gabriel était particulièrement inquiet – près de la moitié du territoire de son père avait été envahi, Luxembourg et Bruxelles tenaient encore, en revanche Liège était passée sous contrôle Germanique.
Au contraire, Metz avait été arrachée à l’envahisseur. Cependant, ç'avait été une victoire coûteuse, et Lotti et Vinzans étaient tout autant à l’affût de la moindre nouvelle du front que le petit dauphin.

Confirmant qu’ils étaient bien à l’origine des Anomalies de Printemps et d’Été de 1915, chaque offensive des Germaniques était accompagnée d’un vague de micro-brèches, durant, généralement, moins de 5 secondes.
Si la durée pouvait sembler courte – même 5 secondes suffisaient à laisser passer une dizaine de Fléaux. De plus, la fréquence de ces micro-brèches les rendait d’autant plus dangereuses, épuisant les troupes, qui se trouvaient à se battre à la fois contre les forces ennemis Germaniques, et les Fléaux.

Arrivé en Septembre, les grands mouvements de troupes avaient été remplacés par une guerre de positions, les Francians établissant de barrières temporaires grâce à l’utilisation de pierres de mana plutôt que de réservoirs magiques plus traditionnels. Ce qui résultait en des barrières moins puissantes, mais plus rapides à établir, et à déplacer, ce qui permettait de les utiliser pour circonscrire les mouvements des Fléaux libérés durant les micro-brèches.
Kieran s’était immédiatement intéressé à ces barrières, et avait rapidement recruté Lotti pour l’aider, puisqu’il ne connaissait pas grand-chose aux pierres de mana – au printemps 1916, plusieurs de leurs innovations avaient déjà été déployées sur le champ de bataille.
Vinzans rongeait son frein, sachant que c’est sur le terrain qu’il serait le plus efficace et pressé d’en découdre. Rowan avait d'ores et déjà l’intention de l’accompagner dès leur dernière année scolaire achevée, sachant que ses talents seraient également plus utiles au combat, puisqu’il était l’un des rares nobles à la spécialisation polyvalente en magie et combat.
Loarwenn n’avait pas semblé bien surprise de cette annonce, même si elle avait depuis fait l’effort de passer plus de temps avec lui, profitant de chaque instant avant son départ, qui approchait à grands pas.

C’était peut-être ce que le Faë regrettait le plus – devoir quitter une fois de plus la Morrigane – aussi était-il heureux de passer autant de temps que possible avec elle. S’ils étaient déjà proches avant l’Anomalie d’Été de 1915, celle-ci les avait encore rapprochés, leur faisant prendre conscience qu’ils ne pouvaient savoir quand ils seraient séparés – par la guerre ou pire.
Chaque instant qu’ils pouvaient passer ensemble l’était, l’un toujours à portée de l’autre. Quand ils ne se tenaient pas la main, alors c’était Loarwenn qui avait la tête posée contre le bras de Rowan, ou alors c’était Rowan qui posait sa tête sur une épaule de la jeune femme.
Une telle promiscuité aurait paru scandaleuse en temps normaux – mais tant d’amitiés étaient nés ou s’étaient renforcées pendant l’anomalie de Sainte-Geneviève, que leur comportement était plutôt la norme que l’exception. Même Louise était devenue un membre à part entière de leur groupe d'amis, un événement que nul n'aurait imaginé auparavant.
Lotti et Vinzans avaient officiellement annoncé leur relation quelques jours à peine après l’anomalie, après qu’elle seule ait pu arracher le future duc à un cauchemar. Le couple passait également chaque instant possible ensemble, sachant bien qu’ils allaient inévitablement être séparés d'ici à quelques mois. Car si la place de Vinzans était évidemment au combat – celle de Lotti était tout aussi évidemment dans un laboratoire de recherche.

« Oh. »
Loarwenn se retourna vers le Faë, curieuse de ce qui avait pu provoquer son exclamation, et il lui sourit en réponse, presque par réflexe.
Ils étaient dans le bois de Sainte-Geneviève, profitant des premiers beaux jours du printemps, et au cadre verdoyant dans lequel il se baladait, il était tentant d’oublier qu’en dehors des barrières du campus, la guerre faisait toujours rage.
Âgée de seize ans à présent, il n’y avait plus aucun doute possible quant à la beauté de Loarwenn, et ce, malgré la tenue très simple qu’elle avait adoptée, robe courte de coton, fendue pour une meilleure liberté de mouvement, portée avec une culotte courte, là encore dans le but très pragmatique de lui permettre une plus large gamme de mouvements en duel. Une tenue que la plupart des jeunes femmes nobles de l’école spécialisées en combat, et même nombre de celles préférant la magie, avaient adopté récemment.
L'incontestable beauté de Loarwenn n’était pas une révélation pour Rowan, loin de là, enfant déjà, celle-ci lui paraissait évidente.
Ce qui lui était moins apparu comme une évidence, et aurait pourtant dû l’être, c'était ses sentiments. Loarwenn n’avait jamais été qu’une simple amie. Mais ce n’était qu’à présent qu’il réalisait ce que cela signifiait – de vouloir passer le reste de sa vie avec elle.

65 Memento Mori : Jarre de cristal transparente, contenant les cendres d’un magus tué par la corruption, créé grâce à un sort rassemblant les dernières traces de magie du magus en question, ce qui explique pourquoi elle est marquée du sigil dudit magus.
Le sort permettant d’invoquer un memento mori est complexe, et ne peut être lancé que dans les heures suivant le décès, passé ce délai, la magie personnelle du défunt se sera dissipée.

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