XVII. Loarwenn

9 minutes de lecture

Rowan avait changé.
Loarwenn n’aurait pas bien sûr mettre le doigt sur ce qui avait changé précisément, mais un jour de printemps, son regard avait évolué. Ce n’était pas un changement malvenu, bien au contraire, simplement intrigant.
Il y avait même quelque chose de tout aussi exaltant que fascinant à tenter de décrypter ce nouveau Rowan, qui n’en finissait pas de ravir la jeune Morrigane; que ce soit en l’entraînant dans un duel impromptu endiablé, qu'en organisant un pique-nique surprise, caché dans les serres de Sainte-Geneviève.
Loargann avait levé les yeux au ciel quand elle avait mentionné ces changements.
« Enfin, il a vu la lumière ! »
Puis il lui avait immédiatement demandé ce qu’elle en pensait – à sa réaction plus que positive, il avait eu un sourire satisfait et amusé. Elle était à peu près certaine de l’avoir entendue mentionner le fait de ne pas devoir mettre Kieran sur l’affaire.
Il n’en avait pas fallu plus pour lui rappeler les heures les plus sombres de sa première adolescence, et éveiller de nombreuses questions en elle.
Ses deux frères voyaient-ils vraiment le Faë comme un prétendant potentiel ?
Il lui paraissait difficile d’y croire. Elle était certes très proche de celui-ci ; mais aucunes de ses amourettes adolescentes, dans ses souvenirs de la vie d’Enora, n’avait jamais ressemblé d’une quelconque manière à la relation si unique qu’elle partageait avec Rowan !

Kieran avait eu un air presque mélancolique quand elle lui avait fait part de ses pensées.
« Oh, Nora, » avait-il dit avec un sourire affectueux, utilisant le surnom datant de sa première enfance « Bien sûr que cela n’a rien à voir. Pierre, ou Jean n’étaient que des amourettes adolescentes banales, comme tu dis le dis si bien. »
Il lui avait fallu bien plus longtemps qu’elle n’aimait à l’admettre pour comprendre ce que le magus avait sous-entendu à demi-mots.
Jamais Rowan n’aurait pu être une simple amourette adolescente.
Non, il y avait quelque chose de bien plus profond les unissant.
« J’aime Rowan. » Loarwenn murmura, presque surprise par la réalisation
« Oh, Wenn, » soupira Nahimana, qui était en train de lui tresser les cheveux« bien sûr que tu l’aimes. C’est aussi évident que le soleil se lève à l’est, ou que le mana circule dans le sens antihoraire ! »
« Pas comme ça ! » avait-elle immédiatement protesté « Je veux dire que je l’aime… vraiment. » conclu-t-elle, un peu désemparée elle-même par la tournure inélégante de sa phrase
« Oui, » confirma Nahimana d’un ton patient « vous deux, vous êtes nés pour être ensemble. » dit-elle, avant de préciser, sur le ton qu’elle prenait toujours quand elle évoquait les légendes de son enfance « Ensemble, mais pas attaché. »
Entendant la petite Okima lui narrer la vieille légende, et ses deux aigles incapables de voler tant qu’ils étaient liés l’un à l’autre; Loarwenn hocha la tête, pensant malgré elle au départ de plus en plus proche de Vinzans et Rowan.

Nahimana avait raison – aussi attachée émotionnellement qu’elle soit au Faë, jamais il ne lui serait venu à l’esprit de lui demander de rester auprès d’elle plutôt que de partir au front. Comme Rowan savait bien, que si la guerre durait jusque-là, comme lui, elle accomplirait son devoir – même si cela devait la mener au front; et que jamais, il ne viendrait à l’esprit du Faë de tenter de l’en empêcher. Ils avaient bien trop de respect l’un pour l’autre pour tenter de se dicter leur conduite…
Le lendemain, contemplant le sourire secret de Rowan, elle lui avait renvoyé le sien. Cela avait suffi pour que le Faë, toujours tellement en phase avec elle, comprenne. D’un geste élégant, il lui avait saisi la main, y déposant simplement un baiser, comme une promesse silencieuse, son regard vert émeraude plongé dans ses propres yeux couleur d'orage.
Ni l’un ni l’autre n’avaient besoin de mots, ou de grande démonstration de leurs sentiment. Et, entamer officiellement une relation plus sérieuse alors que Rowan quitterait la sécurité des barrières de Sainte-Geneviève dans quelques semaines, leur semblait inutile.
Quand le jour de son départ était arrivé, après une étreinte bien plus longue qu’avec quiconque d’autre, il avait déposé un baiser sur son front – et avait refermé ses mains autour d’une boîte à bijou avant de partir.
« Un fáinne Chladaigh(66), rien que ça. » avait commenté Gabriel, émettant un sifflement impressionné
Loarwenn avait effectivement reconnu le large anneau comme un scíathán-fáinne, d’ordinaire fait pour être porté aux ailes, mais dont les espèces sans ailes pouvaient orner leur chevelure, cornes ou bras en fonction de leur morphologie.
L’anneau, ornée d’un cœur couronné entouré de deux mains et se terminant entrelacs celtique, était relativement grossier par rapport à ceux ornant les ailes de Rowan. Mais, Loarwenn savait bien qu’avec le confinement général de Sainte-Geneviève, il n’avait pu se le procurer que d’une seule manière.
En le fabricant lui-même.
Et, comme Gabriel l’avait si bien remarqué, ce n’était pas un simple anneau d’ailes, mais un fáinne Chladaigh.
Une promesse – toute aussi silencieuse que la première, quoique bien plus officielle.

Rowan était parti au front – et le fáinne Chladaigh n’avait plus quitté les tresses de Loarwenn.
Lotti passait désormais autant de temps dans les salles réservées aux chercheurs entourant la bibliothèque qu’à suivre ses cours; poursuivant ses avancées pour améliorer non seulement la vitesse de recharge des pierres de mana, mais également le nombre de fois où elles pouvaient être réutilisées avant de s’effriter.
Plus difficiles étaient les avancées concernant la concentration dans ces pierres, sujet où il était clair que les Germaniques les dominaient toujours énormément.
Mais, chaque avancée, que ce soient celles théorisées par la jeune noble, ou par d’autres magi, meisters et magisters Francians, leur permettaient de graduellement rattraper leur retard technique.
À l’automne 1916, tous les gendarmes Francians appelés au front avaient été équipés non plus du vieux Lebel 1886, mais du tout nouveau RSC 15, capable de tirer deux fois plus de coups avant que le silex(67) ne doive être changé.
C’était une particularité de Nobilia – si les armes à feu existaient, elles étaient cependant très différentes de celles de Futuria, puisqu’elles se reposaient sur les explosions répétées des pierres de mana et non pas sur la poudre noire. Même si elles étaient utilisables par tous – les armes à feu demeuraient des armes tirant des projectiles magiques, et plutôt qu’un chargeur, c’était la pierre de mana elle-même qui devait être changée, puisqu’il n’y avait pas de projectile physique.

Les sixième et septième années scolaires passèrent sur le même rythme que la cinquième, les élèves de Sainte-Geneviève vivant presque coupé du monde, ne recevant journaux et courriers qu’une fois par mois. Si la première année de la guerre avait été difficile à vivre à distance – les deux suivantes, avec Rowan et Vinzans, puis Paul, au front, furent encore pires.

Louise d’Orléans, bien qu’elle soit à présent majeure, n’était pas partie, préférant apporter son aide en aidant Lotti, Kieran, et tous les autres magi qui se concentraient sur les recherches pour aider le royaume à rattraper son retard technique.
Elle passait également bien plus de temps que jamais auparavant à s’entraîner, aussi bien sur les terrains dédiés à la magie, que dans les arènes de duel. La perte de Jacques, et l’abandon de ceux qu’elle avait crus être ses amis l’avait durement marqué, mais elle en était ressortie bien plus mature, et enfin prête à s’améliorer.

Paul avait quitté Sainte-Geneviève un an après leurs deux amis, à l’issue de sa propre scolarité, et s’était promptement engagé dans la gendarmerie, comme il l’avait toujours projeté. Il avait immédiatement été envoyé au front, où il avait bien vite retrouvé ses deux amis.
Il avait par ailleurs rapidement été promu, tout autant grâce à son statut de seul magus du corps, que pour ses talents de stratège. L'Humain était devenu tour à tour sergent, major, pour finir lieutenant, à la tête d’un bataillon de cent hommes, en une année – et il était clair qu’il ne lui faudrait pas longtemps pour être promu de nouveau.

Quant à Loarwenn – elle avait déjà une idée de ce qui l’attendait une fois qu’elle aurait quitté la sécurité des barrières de Sainte-Geneviève.
Parce que depuis l’arrivée de Kieran en Nobilia, ils avaient enfin pu percer le secret de sa sensibilité magique exacerbée – et elle était en rétrospective assez évidente. Même si elle était née en Nobilia, l’âme de Loarwenn et d’Enora était arrivée de Futuria. Et, elle en avait gardé quelques caractéristiques, ce qui expliquait les étrangetés de sa magie, et sa capacité à ressentir et à identifier un nombre toujours croissant de magies différentes.
Cette aptitude à ressentir la magie lui conférait un avantage certain dans ses études – il était bien plus facile de reproduire quelque chose quand on pouvait ressentir de manière innée la manière dont la chose en question fonctionnait.
Cette compétence n’avait pas été particulièrement notable durant ses quatre premières années à Sainte-Geneviève, puisque les basses magies enseignées n’étaient pas particulièrement complexes. En revanche, dès le début de sa cinquième année, et le début de l’enseignement des anciennes magies, ce sens magique devint un atout incontestable.

Les échanges de lettre entre la future dugez et le grand dauphin s’étaient multipliés durant les années de guerre, et entre le talent pour les anciennes magies de la jeune femme; et son savoir venu de Futuria, il s’était décidé à lui confier un projet unique.
La création et le commandement de la première unité spéciale de l’armée Francianne.
Elle avait passé sa dernière année à se préparer à ce projet, et à réfléchir à ses premières recrues. Autant qu’elle souhaite rassembler ses amis autour d’elle, elle savait bien que ce ne serait pas raisonnable – il lui fallait réfléchir en termes de compétences.
Vinzans était un guerrier compétant, mais guère intéressé par les subtilités, qui avait rapidement été promu lieutenant-major d’une section de fantassins de montagne, mais était satisfait de son grade comme de sa position sur le front.
Rowan, bien qu’il ait le profil idéal pour son unité, était déjà lieutenant-major, et en passe d’être promu lieutenant de cavalerie. Sa présence et celle d’Aodhán étaient précieuses sur le front, notamment à présent que les micro-brèches étaient passées de 5 à près de 15 secondes, en faisant des brèches normales.

En revanche, Louise, même si son aide était loin d’être inutile, se révélait chaque jour un peu plus comme magus exceptionnelle, ayant enfin appris à faire usage de ses réserves de mana comme elles le méritaient, et qui serait redoutable sur le terrain.
Macha était sur le point de terminer ses études à la Militärakademie von Zürich. Loarwenn se rappelait la fascination d’enfance, jamais tout à fait disparue, de la Ved’ma pour les pièges et autres artifices de shinobi quand elles étaient enfants et avaient étudié l’Orient… C'était donc tout naturellement qu'elle lui avait offert une place dans son équipe.
Plus surprenant, avait été l’insistance de Gabriel à être intégré à son équipe – ou peut-être pas si surprenamment que ça, tout bien réfléchi. Parce que la principauté Belge continuait d’être le théâtre de combats permanents, et la moitié de ses terres étaient toujours occupées. Le petit dauphin n’avait jamais caché sa fierté pour sa nation. S’il estimait que c’était auprès d’elle qu’il serait le plus efficace pour mettre un terme à cette guerre et protéger son peuple et son pays, alors c’est auprès d’elle qu’il resterait.
Enfin, le dernier membre serait, sans grande surprise, Kieran. Comme il disait si bien, il l’avait suivi à travers le monde en Futuria, et l’avait même suivi de Futuria en Nobilia, ce n’était pas une guerre qui allait l’arrêter !

Loargann avait levé les yeux au ciel, décrétant qu’il lui décernait haut la main la médaille de frère surprotecteur. Bien entendu, le fait qu’il ait été prêt à se porter volontaire si l’autre ne l’avait pas fait, malgré le fait qu’il était bien plus à l’aise dans un laboratoire de recherche, l’avait rendu assez peu crédible. Ce que Selaven ne s’était pas privé de lui faire remarquer.

Quoi qu’il en soit, Juin 1918 touchait à sa fin, la guerre ne montrait aucun signe d’essoufflement – et le commando du Karmzer Fougueux était prêt pour sa première mission.

66 Fáinne Chladaigh : anneau d’ailes offert par un ou une Faë au partenaire avec qui il souhaite partager sa vie, si l’autre porte le bijou, c’est signe que la proposition est acceptée.
Le fáinne Chladaigh est donc une promesse de mariage.

67 Silex : on parle de silex pour la pierre de mana provoquant les explosions dans une arme à feu.
Différents silex peuvent avoir un nombre d’explosions différentes avant de devoir être rechargés.
De plus, la quantité de fois qu’un silex peut être rechargé est limitée, comme pour toutes les pierres de mana.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nordiamus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0