Gwilherm
Le Korrigan savait qu’il avait été une odieuse petite brute durant son enfance.
Ce n’était pas une réalisation qui lui était venue naturellement, loin de là ! Mais, l'éducation à l’École Centrale de Québec, même si elle ne délaissait pas les matières théoriques pour autant, était bien plus centrée sur les épreuves pratiques – et avait su le mettre face à ses propres défauts.
Il ne lui avait pas fallu plus de quelques semaines en Nouvelle-Francia pour réaliser deux choses importantes. Son talent avec le klezeñv, bien qu’indéniable, ne lui était d’aucune utilité pour pister et chasser sa nourriture – pas plus que ne l’était son titre de noblesse.
Ses premiers mois à Québec avaient été misérables, mais en plus d’être arrogant – Gwilherm était aussi têtu. De son opinion, il avait toujours été le meilleur au combat, et en était particulièrement fier – il ignorait volontairement son cousin, qui non seulement n’était même pas un Ene Bihan, mais en plus n’utilisait pas une arme Bretonne. Et, il était hors de question que cela change !
Il se concentra sur le combat – et à la fin du premier semestre, il avait fini par être convoqué chez le directeur. Celui-ci lui avait très explicitement indiqué que s’il ne remontait pas ses notes dans toutes les autres matières qu’il avait délibérément abandonnées, il ne serait pas simplement forcé de redoubler une année, mais renvoyé.
À contrecœur, mais refusant néanmoins de subir le déshonneur d’être renvoyé chez lui avant même la fin de sa première année, il avait enfin commencé à s’intéresser aux autres leçons. Rattraper un tant soit peu son retard n’avait pas été évident, d’autant plus que son arrogance ne lui avait pas fait d’amis, loin de là. Il n’avait personne pour l’aider.
Akumik de Lamirande avait su voir, au-delà de son arrogance et de sa stupidité, le potentiel de devenir quelqu’un de bien.
La jeune Changeuse Ijiraq(70) était aussi respectée qu’un membre de la haute noblesse à Québec – et pour cause, c’était une fille de shaman. De deux ans son aînée, elle excellait dans tout – par talent naturel, pour la magie, mais également à force d’entraînement et de persévérance pour le combat ou d’autres disciplines.
Dire qu’il avait accepté son aide avec mauvaise grâce serait un euphémisme – mais elle avait persévéré, lui infligeant quelques leçons bien sentit dans les arènes de duel; ayant rapidement compris que le seul moyen de faire le jeune Korrigan écouter, était de prouver sans aucun doute possible sa supériorité.
Progressivement, Gwilherm s’était habitué à se faire traîner à la libraire après les heures de cours, puis dans la forêt les week-ends. Semaine après semaine, il avait découvert que même s’il ne serait jamais un érudit, s’il en faisait l’effort, il pouvait au moins obtenir des résultats convenables. Week-end après week-end, il avait appris à se libérer du carcan des enseignements si stricts que son père et son oncle lui avaient martelé depuis l’enfance.
En quelques années, Gwilherm était tombé amoureux de la vie en Nouvelle-Francia.
Il n’avait plus réfléchi en termes de titres de noblesse dès la fin de sa première année. S’était passionné pour le pistage et la chasse en deuxième année. Et arrivé en troisième année, s’était enfin admis à lui-même – et à Akumik, devenue sa meilleure amie entretemps – à quel point il avait été horrible envers Rowan.
Il pouvait se l’admettre à présent – il était jaloux du petit Faë, qui contrairement à lui, avait une mère aimante, et allait en plus hériter d’un titre que son propre père convoitait visiblement. C’était pour oublier cette jalousie qu’il s’était enorgueilli d’au moins être meilleur que l’autre au combat. Cependant, la situation avait vite changé, quand son cousin avait abandonné le klezeñv, et prouvé à tous qu’il ne manquait finalement pas d’aptitudes martiales, bien au contraire.
Le Korrigan était devenu de plus en plus insultant, ne manquant jamais une occasion de rappeler à l’autre qu’il n’était pas même un Ene Bihan, ni même capable d’utiliser une arme locale – à peine Breton.
À quinze ans, Gwilherm peinait à évoquer la situation sans rougir de honte.
Akumik, comme toujours, avait trouvé les mots justes.
« Tu étais horrible, c’est évident. » la jeune Ijiraq n’était pas du genre à mâcher tes mots « Mais tu n’es plus cette personne. » un haussement d’épaules amusé « Maintenant, il ne te reste plus qu’à le prouver à ton cousin la prochaine fois que tu le verras. »
C'est précisément ce qu’il avait fait, quatre ans plus tard, sur un camp militaire du front Belge. Réussissant au passage à reconstruire leur relation – et devenant même le bras droit du jeune Faë au fur et à mesure qu’il grimpait les rangs.
Trois ans plus tard, Rowan était devenu lieutenant, et lui-même lieutenant-major, et une fois de plus, le Faë l'avait laissé sans voix.
Autant qu’il adore la Nouvelle-Francia, il avait toujours su qu’il rentrerait au dugelezh Breizh. Principalement parce qu’il aimait sa région – mais également parce qu'aussi indifférent qu’il soit devenu aux titres de noblesse, il croyait en la compétence à présent. En conséquence, il comprenait bien que ce serait une folie d’abandonner son titre de baron, aussi mineur soit-il, à n’importe laquelle de ses sœurs aînées.
Devenir kont, comme son père en rêvait toujours, ne lui avait en revanche pas effleuré l’esprit depuis la période honteuse de son enfance – à laquelle il préférait éviter de trop penser.
Mais, si Rowan voulait épouser Loarwenn, alors il devrait passer son titre à quelqu’un d’autre, le Bro San Brieg étant trop éloigné de Brest pour être dirigé à distance. Ou plutôt – c’était inenvisageable dans le dugelezh Breizh, en raison des trop nombreux dangers de la région.
Et, s'il y avait bien une chose impossible à ignorer de son cousin, c’était l’amour qu’il nourrissait pour la dugez-hêrez. Un amour qu’il savait maintenant indubitablement partagé, maintenant qu’il avait revu Loarwenn ar C’hastel – pour la première fois depuis douze ans.
Non pas qu’il en ait réellement douté – déjà enfants, la petite Morrigane avait semblé tout aussi fascinée par son cousin que le jeune Faë l’était par elle.
Même si pour toute leur intelligence et leurs talents évident, l’un comme l’autre étaient complètement aveugles à la dévotion de l’autre. L’étaient même restés presque tout au long de leur scolarité, de ce qu’il avait entendu dire des nobles aillant fréquenté Sainte-Geneviève avec qu’eux.
Gwilherm n’avait pas peur du devoir de protection de tout un conté, il se savait plus que compétent au combat, et pas mauvais stratège. C’était la partie gestion, qui l’inquiétait plus – il n’avait jamais été très intellectuel, et ne le savait que trop bien.
Ce serait difficile – mais pas impossible.
Et, Rowan avait raison.
S’il ne le faisait pas – qui d’autre ?
Le Faë était suffisamment stupide pour attendre d’avoir trouvé un remplaçant convenable avant d’épouser la future dugez, et vu l’incompétence de ses sœurs… Il lui faudrait peut-être attendre plusieurs décennies, le temps qu’un enfant pas trop stupide naisse et grandisse !
Il hocha résolument la tête.
« Je le ferais. »
Rowan paru surpris de l’affirmation soudaine, après plusieurs heures de silence, mais comprit immédiatement ce qu’il voulait dire – et lui lança un sourire reconnaissant et soulagé.
Maintenant – il ne leur restait plus qu’à en finir avec cette satanée guerre !
Et peut-être, pour Gwilherm, repasser à Québec, et admettre ses sentiments à Akumik.
Il ne se faisait pas trop d’illusion sur sa réponse . Mais si le Faë avait enfin compris qu’il aimait sa Morrigane, il pouvait bien avoir le courage d’admettre ses propres sentiments à l’Ijiraq avant d’officiellement devenir le nouveau kont-hêr Bro San Brieg.
70 Ijiraq (pl. Ijirait) : espèce sentiente appartenant à la famille des Changeurs, d’origine généralement Inuit. La plupart du temps, les Ijirait ont une forme adaptée au froid, ils sont parfois également adeptes de la caellimancie de glace.
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