XIX. Loarwenn

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La première mission du Karmzer Fougueux avait eu lieu sur le front Italian, duquel ils étaient plutôt proches après avoir retrouvé Macha à la frontière Suisse.
Il était assez évident à leurs regards dubitatifs que les officiers en charge se demandaient bien ce qu’une simple escouade tout juste sortie d’école pourrait bien faire – mais ils étaient suffisamment désespérés pour être prêts à tenter le tout pour le tout. La région de Veneziana était le cadre de la plupart des affrontements des Royaumes d’Italia en Europe depuis de début de la guerre, et elle était à bout de force.
Leurs anciens alliés avaient particulièrement mal pris la défection des Italians pour l’Alliance. C’était en conséquent le front le plus touché par les brèches, ce que la Monarchie d’Autriche-Hongrie avait utilisé pour marcher jusqu’à Venezia elle-même courant 1916.
Depuis, la ville résistait vaillamment, et au-delà de la mobilisation, tous les habitants avaient commencé d'aider, chacun à sa manière. Mais, avec les brèches constantes, et les forces Austro-Hongroise les harcelant, la plupart des cultures habituelles avaient été impossibles, et la famine grondait.
Andrea da Riva, le doge actuel, était tout aussi émacié et épuisé que ses hommes – cependant, les yeux du Monstre(71) Lyncus(72) s’illuminèrent progressivement au fur et à mesure que la Morrigane lui expliquait son plan.

Tous les magi en état d’aider furent mis à contribution, créant une foule de nouveaux pièges – certains de simples variations de pièges déjà existants, d’autres purement inventés pour l’occasion. Les Austro-Hongrois avaient commis une erreur, en poussant jusqu’à Venezia : ils avaient placé les Alpes entre leurs troupes et leur pays.
Ce qui signifiait que leur approvisionnement utilisait des tunnels, ou des parva portae installées à la va-vite.
« Des tunnels, ça explose, et une parva porta, ça se sabote. » le sourire de Macha était un peu terrifiant
« Et une fois coincés, sans approvisionnement… Ils tomberont sur nos pièges. » Andrea conclu avec enthousiasme, son sourire tout aussi sanguinaire
Bien sûr, si l’ébauche de leur plan était simple, encore fallait-il explorer les lignes ennemies sans se faire prendre, repérer tunnels et portae, et bien entendu, installer les pièges.
Mais, Loarwenn n’avait pas choisit son équipe au hasard.

Kieran, en tant que Futurian, était habitué à la téléportation. Si celle-ci n’existait pas en Nobilia, ce savoir lui avait tout de même permis d’apprendre le viatores(73), ce qui s’en rapprochait le plus dans ce monde, avec facilité. Ce, malgré le fait que le viatores nécessite la plupart du temps une affinité élémentaire, et soit une ancienne magie réputée comme extrêmement difficile à apprendre, et réservée aux plus puissants.
Loarwenn elle-même n’avait guère eu de difficulté à apprendre le viatores, grâce à sa capacité à ressentir et à comprendre toutes les magies pour peu qu’elle les vît utilisées.
Gabriel était un génie – une fois qu’elle avait mentionné que la compétence serait nécessaire, il l’avait étudiée en quelques jours.
Louise était une magus à la puissance inégalée dans leur génération. Même en peinant avec la théorie, la force brute de sa magie lui avait permis d'utiliser le viatores en quelques semaines.
Macha, autant qu’elle ne se spécialise pas en magie, était une Ved’ma – elle avait déjà étudié la compétence durant ses études, et en faisait un usage redoutable au combat.

Le doge avait été estomaqué d’apprendre que les cinq membres du commando maîtrisaient tous, ce qui s’approchait le plus de la téléportation sans porta dans leur monde.
Plus le temps passait – plus le Lyncus comprenait pourquoi le grand dauphin de Francia lui avait envoyé l’équipe. Les semaines et mois qui suivirent passèrent à toute allure. Enfin, aux premiers jours de l’automne 1918 – les forces Italiannes lancèrent leur contre-offensive.
Macha ne put s’empêcher de lâcher un sifflement impressionné, aux premières loges depuis leur campement, en voyant le doge lui-même mener la charge.
Les Lyncus ne possédaient pas de montures de guerre – ils étaient la cavalerie lourde, chacun ayant à présent l’apparence de chats sauvages dont le plus petit faisait la taille de Ki’Ruz.

Pendant que l’armée régulière lançait son attaque, Louise actionna le détonateur synchronisé avec toutes les pierres de mana prêtes à exploser, dissimulées à travers les montagnes et les camps Austro-Hongrois.
La série d’explosions fit trembler le sol, les répliques étant ressenties à des centaines de kilomètres à la ronde.
Les soldats ennemis situés à l’arrière-garde n’étaient guère prêts pour le combat. Les explosions provoquèrent le chaos, permettant à Gabriel, qui s’était découvert un talent pour les illusions, de se faufiler dans les camps pour saboter les trois parva portae installées.
Quant au reste du commando – Louise se mit immédiatement à préparer des attaques aux proportions dantesques, Kieran restant près d’elle comme protecteur, utilisant des attaques moins puissantes, mais bien plus rapides.
Quant à Loarwenn et Macha – elles foncèrent vers les soldats déjà désorganisés, Ki’Ruz aboyant et hurlant joyeusement, les hennissements lugubres du sivko-bourko(74) de la Ved’ma lui faisant écho. Chaque bond du cawrgi soulevait un tourbillon de neige, malgré le fait qu’on soit seulement début Octobre – chaque pas du sivko-bourko laissait derrière lui des braises brûlantes.
Ce fut bientôt la débandade pour les troupes Austro-Hongroises.
Au bout de trois jours de revers sévères, et de pertes élevées, coupés de leurs lignes de ravitaillement habituelles, les forces de l’Entente commencèrent à tenter de battre en retraite vers les montages.
Où elles tombèrent sur la multitude de pièges préparés par les magi Venezians.

Après une première mission au succès retentissant, le commando do Karmzer Fougueux avait été envoyé à travers l’Europe, tantôt pour des missions de sabotage, tantôt pour de l’espionnage. En fin d’année, ils avaient aidé le front Lorrain, ayant ouï-dire d’une attaque surprise d’envergure préparée par les Germaniques – leur permettant au passage de retrouver Paul et Vinzans quelques jours. Finalement, au printemps 1919, Loarwenn réalisa avec joie que leur dernière mission en date la mettrait sur le chemin de Rowan.
Les trois jours qu’ils avaient passés ensemble avaient été bien trop courts, et à peine s’étaient-ils séparés qu’il lui manquait déjà. Ils avaient marqué un vrai tournant dans leur relation avec ces retrouvailles, puisque c’était la première fois qu’ils se revoyaient depuis qu’elle avait accepté le fáinne Chladaigh du Faë – et avec, sa demande en mariage. Ils n’étaient plus simplement meilleurs amis – ils étaient fiancés, et n’avaient aucune intention de le cacher.
Aussi épuisés qu’ils ne l'aient été tous les deux, ces nuits entières passées à discuter, blottis l’un contre l’autre, comptait parmi ses souvenirs les plus précieux – deux vies confondues. Bien que cela n’ait duré que trois jours, elle s’était rapidement habituée à se réveiller dans les bras de Rowan, et savait d’ores et déjà que ça allait lui manquer.
Elle rougit un peu en repensant au baiser sur lequel ils s’étaient quittés – provoquant quelques moqueries bon enfant du reste de son équipe, qui n’avait eu aucun mal à deviner la cause du rouge sur ses joues.

Les jours suivants furent passés à remonter discrètement vers Köln, aillant repéré, dans les documents saisis lors de la prise de Liège, un échange de missives crypté important avec la ville Germanique. Ce qui était plutôt étonnant, puisqu'elle n'était pas censée accueillir une quelconque part de l'état-major ennemie. Les missives étaient encore en cours de décryptage, mais l’équipe en charge lui communiquait quotidiennement leurs progrès, grâce à la dernière version améliorée des celervis, permettant d’envoyer des textes de plus en plus longs grâce à des ajustements arithmanciques minutieux.
Les échanges étaient d’autant plus mystérieux que la fameuse Universität zu Köln, auxquels les lettres semblaient être adressées, avait vu ses activités interrompues durant les guerres Napoléoniennes, et n’avait officiellement jamais rouvert depuis.
Les contrôles de sécurité et des patrouilles pullulant autour des lignes de front, il fallut près de trois jours au commando pour arriver à Köln – et tout autant pour se trouver une planque efficace dans la ville.
Ils avaient ensuite utilisé le dernier artefact développé pour eux par Lotti – des amulettes permettant des modifications mineures de son apparence. Contrairement aux amulettes déjà existantes, ces modifications n’étaient pas de simple illusion, mais bel et bien de la biomorphose, leur permettant même de subir un contrôle de police si besoin était.

Il ne leur fallut guère de temps pour s’apercevoir que contrairement à ce qu’ils avaient laissé entendre, l’Universität zu Köln était loin d’être fermée – ou du moins, pas sa partie souterraine. En effet, les Germaniques se composant de nombreuses espèces enclines à divers niveaux à la vie sous-terre, la plupart de leurs villes s’étendaient aussi bien au-dessus, qu’en dessous du sol.
Et, si les bâtiments de l’Universität paraissaient toujours à l’abandon en surface, les choses étaient bien différentes sous terre.
La partie souterraine était également sous haute protection, avec des patrouilles de soldats permanentes, et des barrières puissantes. Quoiqu'il s’y trame – c’était suffisamment important pour les Germaniques ne veuille absolument pas que quiconque y fourre le nez.
De plus, bien que le commando ait surtout observé les allées et venus de meisters et autres magisters, ils avaient également reconnu plusieurs haut-gradés de l’état-major Germanique, visitant les lieux à plusieurs reprises.

Près de deux semaines après la prise de Liège, les cryptographes confirmèrent ce qu’ils espéraient et redoutaient – la plupart des échanges avec l’Universität fantôme concernaient les brèches artificielles provoquées sur le front.
De ce qu’il apparaissait dans les missives, ces brèches étaient provoquées à l’aide d’artefacts spéciaux, aux capacités heureusement limitées, et qui semblaient tous venir de Köln. Saboter l’Universität pourrait bien porter un coup fatal à la machine de guerre Germanique.
Bien entendu, il fallait avant cela être sûr qu’il n’y ait pas d’autres lieux de production – et donc commencer par infiltrer ladite Universität, ce qui promettait d’être compliqué.
Il fallut pas moins de tout le mois de Mai aux cinq nobles pour décrypter les barrières protégeant le bâtiment, analyser le rythme des patrouilles, et cartographier tous les tunnels environnants.
Consultant Lotti à distance, Gabriel et Louise avaient réussi à mettre au point un nouveau gadget, capable, théoriquement, de percer un trou dans les barrières sans les briser.
Si tout se passait bien – ils pourraient infiltrer l’Universität, et avec un peu de chance, trouver les renseignements qu’ils cherchaient.
Sinon – ils étaient prêts à fuir.

Dès la barrière passée, le sens magique s’était mis à lui lancer des signaux d’alerte, la sensation dans la zone étant semblable à celle qu’elle avait éprouvée avant l’Anomalie d’Eté de 1915 à un niveau ou c’en était dérangeant.
L’alerte n’avait pas l’air d’avoir été levée, donc ils se mirent à explorer les lieux méthodiquement, utilisant un artefact d’ordinaire réservé aux libraires pour scanner tous les documents qu’ils trouvaient. Bien sûr, l’artefact en question était loin des photos rapides que Loarwenn aurait pu prendre à son époque Futuria – mais comparés aux microfilms en usage à la même époque, Nobilia avait clairement l’avantage techno-magique sur ce point.
Nuit après nuit, ils revinrent dans l’Universität, travaillant en journée par celervis interposés avec les cryptographes pour analyser les documents trouvés. Assez vite, il devint évident que toutes les inferna portae(75), comme elles étaient nommées de manière si apte par les magisters Germaniques, nécessitaient un ingrédient particulier, le schwarzserum, pour fonctionner.
Restait encore à savoir ce qu’était ce sérum noir.

Ce fut la quatrième nuit qu’ils trouvèrent le laboratoire d’expérimentation.
Et que Loarwenn comprit enfin d’où provenait la sensation magique si discordante à ses sens.
Ou plutôt, de qui.
Une odeur de soufre régnait dans la pièce, où trois Fléaux étaient menottés à de larges tables d'opération. Disséqués vivants et maintenus en vie par ce qui semblait être une intraveineuse de potion de soin puissante. Une autre aiguille était branchée à une machine rappelant à Loarwenn les centrifugeuses à plasma aperçu dans les centres de don du sang durant sa vie en Futuria.
« Oh. » comprit Gabriel un instant avant elle, son visage pâle trahissant une nausée très compréhensible au vu du spectacle macabre « Schwarzserum. Du sang de Fléaux. »
Louise avait l’air révoltée – et à la manière dont ses mains ne cessaient de se diriger vers sa ceinture d’artefacts, il était évident qu’elle n’avait envie que d’une chose. Détruire l’Universität de la manière la plus violente possible.
Cette fois, leur découverte était trop importante pour être traitée sur le terrain. Terminant de scanner tous les documents possibles, et prélevant un échantillon de schwarzserum, mais également de la potion utilisée pour les maintenir en vie, le commando du Karmzer Fougueux quitta Köln; sachant qu'ils avaient peut-être enfin trouvé toutes les informations nécessaires pour mettre fin à la guerre.

71 Monstre : si le terme peut sembler péjoratif, il a pourtant été choisi par les membres de ces espèces pour symboliser le fait qu’à l’inverse des différents Changeurs, leur forme originale n’est pas leur forme humaine, mais bien celle animale.
Les Monstres sont généralement de fruit de l’évolution de créatures magiques, les plus fameux étant les Youkai. Leur forme animale est habituellement bien plus imposante qu’une créature normale, et même de la forme animale d’un Changeur.

72 Lyncus : Monstre à la forme féline originaire des civilisations antiques Grecques et Romaines.

73 Viatores : type de déplacement magique permettant de traverser de grandes distances rapidement

74 Sivko-bourko : type de cheval ailé magique, traditionnellement favorisé par les Ved’mas.

75 Inferna Porta : artefact magique capable de provoquer des brèches artificielles

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