XX. Rowan

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Même s’il ignorait précisément ce qu’il se tramait, Rowan avait été parmi les premiers sur le front à réaliser que quelque chose se préparait – simplement par la vertu d’être fiancé à Loarwenn. Il savait que la jeune femme avait interrompu sa dernière mission pour rentrer en urgence à Paris, ce ne pouvait que signifier qu’elle avait fait une découverte importante.
Depuis, elle avait à peine eu le temps d’envoyer quelques celervis rapide, et ne lui avait bien entendu pas donné de détails. Bien qu’il soit curieux, le Faë comprenait bien – la sécurité opérationnelle était primordiale.
Quelques semaines après le retour de la Morrigane à Paris, elle lui avait annoncé repartir derrière les lignes ennemies avec son équipe – et de nouveaux ordres avaient commencé d'arriver.
Et, pas que sur le front Lorrain, ou il avait retrouvé Paul et Vinzans ! Non, de ce qu’il se murmurait – l’opération en cours impliquait une attaque simultanée sur les fronts Francians, Italians, et Russes !

Les forces Alliées, qui avait déjà bénéficié de l’entrée des Royaumes-Unis dans le conflit, purent également alléger leurs troupes engagées en Afrique et les rapatrier sur les fronts Européens; grâce à un nouvel accord avec l’Empire Ottoman, signé peu avait l’été 1919. Celui-ci s’engageant à arrêter toutes velléités d’expansion en Europe en échanges des terres du Maghreb actuellement sous contrôle Francian, Italian et Britanian. Les Ottomans entraient par ailleurs en guerre contre l’Entente; principalement sur le front Africain, où les forces Germaniques avaient envahi une bonne partie de l’Afrique centrale, dépossédant les Alliés de la plupart de leurs colonies sur le continent.
Du côté de l’Europe de l’Est, une offensive Russe avait renversé la Roumanie en quelques jours – quand le koven des Baba Yaga lui-même avait pris la tête d’une partie des troupes. Profitant de l’offensive sanglante des Ved’mas, l’alliance Serbo-Grecque avait lancé leur propre attaque, permettant aux Serbes de reprendre possession de leur pays, occupé jusque-là par les Bulgares et les Austro-Hongrois. Ce qui en retour avait permis aux Ved’ma de renverser la Bulgarie après la Roumanie – rappelant au monde entier pourquoi les Sorcières Russes étaient si craintes.

Enfin, début Août, les ordres de marche avaient été donnés.
Sur les fronts du nord, Francians et Britanians commencèrent à marcher vers Berlin, les troupes repoussant les Germaniques tellement vite qu’ils n’avaient plus le temps de déclencher leurs brèches artificielles.
Sur les fronts du sud, Italians et Russes poussaient vers la capitale de la Monarchie d’Autriche-Hongrie, Wien.
Aux premiers jours de Septembre, la nouvelle de la destruction de l’Universität zu Köln circula sur les fronts. Et, avec elle, disaient les communiqués, la fin du réapprovisionnement des troupes ennemies en inferna portae, les artefacts capables de provoquer les brèches artificielles qui avaient rendu cette guerre si pénible et meurtrière.
Même s’il restait encore des artefacts sur le front, savoir que leur production avait été arrêtée galvanisa les troupes – et porta très visiblement un coup au moral ennemi.

Le 11 Septembre au matin, Rowan entrait à Berlin avec ses hommes – l’après-midi même, l’Empire Germanique signait sa reddition.
Isolé de toutes parts – la Monarchie d’Autriche-Hongrie continua de résister, stupéfiant toutes les nations Européennes, qui avaient pensé qu’avec la perte de leur allié le plus important, ils déposeraient enfin les armes. Mais, les Austro-Hongrois avaient encore des inferna portae, et en faisaient un usage libéral pour repousser les troupes Italiannes et Russes et ralentir leur progression. Contrairement à l’Empire Germanique, ils ne semblaient guère se soucier des dégâts causés à leur propres pays, ou du sort des habitants tués par les Fléaux.
En Afrique également, la guerre s’était terminée, les Ottomans ayant rempli leur part du marché, et repoussé l’Empire Germanique des territoires Francians, Italians et Britanians grâce aux fameux yeŋiçeri(76) Çor(77).
De même en Asie, ou les troupes Britaniannes, mais également les Sātavāhanans(78) et les Moġuls(79) s'opposaient à la marine Germanique, la guerre était à l’arrêt. Les jours passaient – et des murmures commençaient à courir, disant que le Royaume d’Autriche-Hongrie avait forcément une bonne raison de ne pas capituler.
Comme un moyen de reproduire des inferna portae – peut-être même des plus efficaces que les anciennes !

Rowan lui-même ne savait guère que pensait.
En revanche – il s’inquiétait de plus en plus.
Parce qu’il lui semblait évident, à présent, que la mission de Loarwenn et du commando du Karmzer Fougueux était liée à l’Universität zu Köln. Mais, depuis sa destruction – aucun des cinq membres de l’équipe n’avait donné signe de vie.

Le 23 Septembre, les Russes et les Italians entraient dans Wien – et le monde apprit enfin ce que l’empereur-roi Austro-Hongrois tramait. Quand une anomalie de près de 20 mètres de diamètre, la plus grande jamais documentée, apparu en plein cœur de la ville, et resta ouverte près d’une demi-heure.
Même si la brèche s’était refermée – ou plutôt, avait été refermée – les dégâts matériels et humains avaient été catastrophiques, faisant de l’Anomalie de Wien la bataille la plus sanglante de toute la guerre.
Le nombre de Fléaux ayant réussi à traverser était tel qu’il fallut trois jours aux forces Russes, Italiannes – mais également Austro-Hongroise, terrifiées par la folie de leur dirigeant – pour enfin en venir à bout.
Des Fléaux jamais vu auparavant, plus grands et puissants, avaient saccagé la région, demandant les attaques combinées de plusieurs magi avant d’être vaincus.
Au 27 Septembre au matin, la guerre était officiellement terminée partout dans le monde.
Et, l'Europe, traumatisée.

Rowan n’avait toujours pas eu de nouvelles de Loarwenn.

Les jours qui suivirent, les soldats, plutôt que d’être démobilisés et renvoyés chez eux, furent envoyés vers la capitale en ruines, pour apporter un soutien d’urgence dont elle avait bien besoin. Seul un strict minimum de troupes fut laissé dans les autres villes occupées par l’Alliance, en attendant les accords de paix officiels.
Le Faë, toute comme Paul et Vinzans, partit donc pour Wien, les voyages via magna portae internationale enfin à nouveau possible. Ce fut sur place qu’ils en apprirent un peu plus sur ce qu’il s’était produit ce fameux 23 Septembre.
Franz Joseph Ier, empereur d’Autriche et roi de Hongrie, était un souverain autoritaire, qui avait peiné à tenir son territoire à bout de bras, se méfiant trop du pouvoir des nobles. Les tensions entre les nations constituant son fief n’avaient fait qu’aller croissant au fil de son règne, ce qui avait engendré plusieurs tentatives de renversement, toutes matées par l’armée.
De plus, Franz Joseph était un monarque vieillissant. Si son règne n’était pas le plus long qu’un monarque ait jamais effectué en Europe, nombre de ses sujets étaient d’avis qu’il était temps que le vieux Nain cède la place à quelqu’un de plus jeune.
Ce qu’il se refusait à faire, ayant désavoué son héritier suite au mariage de celui-ci à une Drioma(80) de la moyenne noblesse Český.
Depuis le début de la guerre, le souverain était devenu de plus en plus erratique, allant même jusqu’à accueillir à sa cour Niklas Lehner, un magister aux idées extrêmes qu’il avait banni lui-même près de deux décennies plus tôt.
Le magister en question était entretemps devenu un conseiller du Kaiser Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht – et avait déjà encouragé le jeune souverain à prendre des mesures controversées au sein de l’Empire Germanique. Il ne tarda pas à tourner la tête à l’empereur-roi non plus, qui s’enferma dans sa paranoïa au fur et à mesure que la guerre progressait.
Niklas Lehner, qui voyageait entre les deux alliés de l’Entente, était arrivé à Wien en urgence, à la suite de la destruction de l’Universität zu Köln, qui était son principal laboratoire de recherche.
Les jours suivants, Franz Joseph et lui avaient passé de nombreuses heures dans l’aile de l’Alma Mater Rudolphina qu’il avait réservé aux recherches du magus. Ces mêmes recherches qui lui avaient valu son expulsion de la vénérable université quelques décennies plus tôt.

Voyant la défaite approcher – l’empereur-roi avait décidé d'emporter ses ennemies avec lui quoi qu’il en coûte. Et, peut-être même, le reste du monde…
En effet, l’Anomalie de Wien n’avait pas été provoquée par une simple inferna porta, comme celles utilisées durant la guerre, mais à la manière des Anomalies de Printemps et d’Été 1915, grâce à un rituel.
S’il y avait bien une chose que tous, du magus le plus puissant au roturier le plus dépourvu de magie, savaient; c’est que les rituels était certainement le type de magie le plus puissant d’entre tous, mais également, et de très loin, le plus dangereux. C’était ce qui avait causé la disparition de l’île de Krḗtē en 820, et la peste noire au XIVe siècle.

Niklas Lehner était un génie, il n’y avait aucun doute à ce sujet – c’était aussi un être dénué de tous scrupules ou de toute morale.
Le rituel concocté par son esprit malade requérait deux choses pour être activé – de la magie en quantité pour être initié, et un approvisionnement constant en schwarzserum pour être maintenu actif. La magie fut procurée quand Franz Joseph ordonna aux meisters de l’Alma Mater Rudolphina d’activer le rituel, leur garantissant que c’était la clef de la victoire. Bien que méfiant, les meisters avaient obéi, incapable de déchiffrer le cercle ritualistique suffisamment pour deviner son but précis. Le schwarzserum – se procurerait de lui-même au fur et à mesure que les magi et soldats combattaient les Fléaux.
Les meisters – étaient tous morts durant l’activation du rituel, qui les avaient drainés de la moindre goutte de mana. L’empereur-roi Franz Joseph avait été parmi les premières victimes de l’anomalie, n’ayant même pas tenté de se défendre. Pas une trace n’avait été trouvée de Niklas Lehner – et un mandat d’arrêt international avait déjà été émis à son encontre, pour crime de guerre.
Le rituel aurait pu rester activé une éternité, et ravager le continent – voire le monde – si un groupe de magi Francian n’étaient pas arrivés à ce moment-là, utilisant une méthode inconnue pour interrompre le rituel, et ainsi refermer la brèche.
Et, le rituel – comme nombre de rituels interrompus – avait provoqué une implosion, faisant s’effondrer la place devant le palais Hofburg, sur lequel le complexe cercle avait été tracé. Entraînant avec lui les sauveurs de la ville.

Rowan n’eut pas besoin de la description des sauveurs de Wien pour savoir de qui il s’agissait – et Paul et Vinzans parvinrent à la même conclusion tout aussi vite.
L’Anomalie de Wien était close depuis une semaine à présent – et le commando du Karmzer Fougueux porté disparu depuis.

76 Yeŋiçeri : troupes militaires de l’Empire Ottoman, réputées pour leur efficacité. On y trouve aussi bien des mousquetaires que de la cavalerie légère.

77 Çor: espèce magique sentiente d’esprits du désert et des montagnes. Ils possèdent souvent une affinité pour la caellimancie d’air ou de feu.

78 Empire de Sātavāhana: empire se situant dans la moitié sud du sous-continent Indien. L’une des espèces notables sont les Nāgas. Ils entretiennent des relations commerciales avec les Francians depuis les XVIIe siècle, et se sont alliés à eux pour la guerre.

79 Šâhân-e Moġul : empire se situant sur la moitié nord du sous-continent Indien. L’un des espèces notables sont les Garuḍas Ils entretiennent des relations commerciales avec les Britanians depuis le XVIIIe siècle, et se sont alliés à eux pour la guerre.

80 Drioma : espèce magique de la catégorie des esprits, les Driomas sont naturellement nocturnes. Ils sont généralement de nature pacifique, et avec un don pour la magie des ombres.

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