XXII. Rowan

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Septembre touchait à sa fin, et Rowan ne voulait – ne pouvait pas croire que Loarwenn était morte.
Lotti était venue les rejoindre pour participer au déblaiement de la ville et aux premiers secours, accompagnée par Nahimana.
Selaven et Loargann étaient là également – mais le Morrigan n’était plus que l’ombre de lui-même.
Il s’était écroulé, le Morgazh lui avait expliqué, probablement à l’instant même où sa sœur avait disparu. Il n’avait repris conscience que trois jours plus tard, et depuis, il semblait vite déconcentré, comme cherchant à entendre une mélodie qui n’était plus là.
Voir le jeune Ene Bihan, d’ordinaire si calme et composé, dans un état pareil était terrifiant. Le Faë savait que les jumeaux étaient proches l’un de l’autre, leur magie gémellaire suffisamment puissante pour qu’ils puissent partager les pensées au quotidien – et pourtant, il avait sous-estimé à quel point ils étaient liés.

Mais, une chose permettait à Rowan de ne pas perdre espoir. Aussi erratique qu’il soit, le Morrigan restait formel – sa sœur n’était pas morte. Aux regards compatissants que nombre de personnes leur lançaient, Rowan savait que nombre d'entre eux les pensaient tous deux plongés en plein déni.
Le Faë ne s’en formalisait pas, comprenant bien que c’était l’explication la plus évidente – pour quiconque ne connaissait pas les jumeaux. Cependant, une chose était claire pour lui, et Selaven semblait entièrement d’accord avec lui sur ce point : si Loarwenn était morte, alors jamais Loargann n’aurait été capable de sortir de sa catatonie aussi vite.
S'il était venu jusqu’à Wien aussi vite – c’était que c’était ici qu'il retrouverait la Morrigane.
Aussi, le Faë passait ses journées à déplacer des gravats avec Aodhán, à distribuer des rations, à changer des bandages. Puis ses soirées, avec le Morrigan, à étudier les décombres de la place du palais d’Hofburg, où des pans entiers du rituel détruits étaient encore visibles.
La magie était encore instable sur ces lieux, et la place interdite – mais Loargann et Lotti avaient atteint le rang de meister durant la guerre, et avaient donc sans trop de difficultés été assignés pour étudier les décombres.
C'était tout naturellement que les deux meisters les avaient embauchés comme assistant, lui et Selaven.
Le reste de leurs amis, même s’ils n’avaient pas accès à la place elle-même, aidaient comme ils le pouvaient. En organisant les piles de notes qui commençaient à s’accumuler dans les salles partiellement ruinées de l’Alma Mater Rudolphina, ou les meisters avaient établi leurs quartiers; en s’assurant qu’ils aient accès aux maigres rations de nourriture; ou même, en les forçant à prendre quelques heures de repos de temps à autre.

À la mi-Octobre, les troupes étrangères envoyées à Wien avaient lentement commencé d'être rappelées au pays, tandis que les discussions pour les accords de pays s’engageaient sérieusement.
Le grand dauphin n’avait pas eu l’air surpris quand il avait demandé d’être relevé de ses fonctions – ce qui lui avait été accordé sans aucune hésitation. Le Lutin paraissait tout aussi épuisé que le Faë, ce qui n'étonnait guère Rowan.
Non seulement le futur roi avait participé à de nombreux combats, malgré un tempérament plus proche de celui de Loargann ou Lotti que de Loarwenn ou lui-même – mais sa plus jeune sœur faisait également partie des disparus.
Il était clair à son regard – qu’il aurait préféré rester avec eux, pour obtenir une réponse quant à ce qui était arrivé au Karmzer Fougueux, que de rentrer à Paris présider aux négociations de paix.

Dès que la concentration en magie avait commencé à retomber autour des ruines du rituel, aux alentours de fin Octobre un phénomène étrange avait commencé à se produire, rappelant en urgence des troupes étrangères dans la ville. Des micro-brèches, apparaissant autour de la place Hofburg, avait commencé d’apparaître — et chacune faisait pulser de manière inquiétante les débris restants du cercle ritualistique.
En revanche, ces micro-brèches avaient aussi permis d’enfin savoir ce qu’il était advenu du commando du Karmzer Fougueux – puisqu’à l’ouverture de la première d’entre elles, cinq celervis aux sigils familiers étaient immédiatement apparus.
Confirmant ce que tous redoutaient – mais était également la meilleure chance de survie pour leurs cinq magi.
Loarwenn, Kieran, Louise, Gabriel et Macha étaient coincés dans le monde des Fléaux.

En revanche, si retrouver leurs amis aurait pu sembler aussi simple que de simplement les voir marcher au travers d’une brèche – ce n’était franchement pas le cas.
Les semaines suivantes, les micro-brèches fréquentes furent utilisées pour échanger via celervis interposés avec le commando perdu. Les brèches, expliquèrent-ils, ne se prédisaient pas de la même manière dans cet autre monde qu’en Nobilia, et la magie se comportait de plus très différemment. Et bien sûr, se rajoutait à cela le problème des Fléaux – qui, sans grande surprise, pullulaient dans leur monde.
Du côté de Nobilia, le problème des micro-brèches, et surtout de la réaction qu’elles provoquaient place Hofburg, inquiétait. Loargann, Lotti, Rowan et Selaven se virent donc rejoint par plusieurs autres meisters et magisters.
Avec cette équipe plus importante, et les contributions précieuses du commando de l’autre côté des brèches, la réponse au problème des micro-brèches fut trouvé en quelques semaines : le rituel, en déchirant artificiellement le voile entre les mondes, avait provoqué un phénomène semblable à celui, plus naturelle, qui se produisait à chaque Samhain. En d’autres termes, la barrière entre Nobilia et le monde des Fléaux était bien plus fine autour du rituel, et le demeurerait probablement tant que la magie résiduelle de celui-ci serait encore présente.
Une magie résiduelle qui pour les rituels les plus puissants, comme celui-ci l’avait été – pouvait prendre des années à disparaître.

Ce fut le Karmzer Fougueux qui leur fournit la solution – en évoquant la manière dont ils avaient interrompu en captant la magie résiduelle des meisters sacrifiés par Niklas Lehner grâce au sort du memento mori.
Personne jusque-là n’avait jamais eu l’idée saugrenue de tenter un memento mori pour des Fléaux. Le sort n’aurait même pas dû fonctionner, vu le temps qui s’était écoulé depuis que l’Anomalie de Wien avait été refermée. Mais, justement – le problème était que la magie résiduelle peinait à disparaître…
Des centaines de memento mori des magi et soldats purent être créés, contre toute attente. Et, des jarres de cristal noir, aux formes aberrantes, commencèrent d'apparaître, chacune d’entre elles diminuant un peu plus magie résiduelle autour des restes du cercle ritualistique.
En revanche, cette solution, en raison de son efficacité, réduisit rapidement le nombre de micro-brèches – et rendit d’autant plus compliquée la communication avec le commando. Rowan comme Loargann ne pouvaient que s’inquiéter, craignant que si toute la magie résiduelle disparaissait – alors, il en serait de même des chances de ramener le Karmzer Fougueux en Nobilia.
L’un des meisters locaux venus les aider avait dû évoquer la situation, et leurs inquiétudes en public – quoi qu’il en soit, en quelques jours, la population locale avait donné son opinion. Rowan s’était retrouvé admiratif, quand le centre-ville, ou les micros brèches étaient concentrées, avait été spontanément évacué, et des troupes volontaires de l’armée perdante étaient venues établir un périmètre de sécurité.
Accordant plus de temps aux magi pour ramener à bon port les sauveurs de la ville.

Un an jour pour jour après l’Anomalie de Wien – une nouvelle brèche s’ouvrait sur la place Hofburg.
Un bataillon entier était posté autour de la place, et un régiment prêt à les assister si besoin était.
Rowan et Loargann étaient au premier rang – mais c’étaient loin d’être les seuls.
Le grand dauphin lui-même était venu, en dépit des inquiétudes du gouvernement Francian – qui avaient fini par s’incliner, comprenant que si celui-ci était absent, ce serait le roi lui-même qui ferait le déplacement.
Personne n’avait pu empêcher le prince-régnant Belge de venir non plus – non pas que ses compatriotes aient essayés, connaissant trop leur souverain pour perdre leur temps en arguments qui seraient inévitablement ignorés.
Le duged Breizh était resté à contrecœur dans son fief, par mesure de précaution, la guerre avait beau être fini, le dugelezh Breizh restait tout aussi dangereux qu’à l’ordinaire. En revanche, Awena ar C’hastel était présente, escortée par Mihaïl Revazovitch Andronikov – le père de Macha.

Tous étaient, de manière très compréhensible, tendus – c’était la première fois depuis la fin de ce que les gens appelaient déjà la Grande Guerre, qu’une brèche était ouverte volontairement. Ils avaient réussi à pallier le besoin de schwarzserum grâce au sang de Loargann et son lien avec sa sœur; la magie gémellaire jouant également un rôle prépondérant pour garantir que la brèche en question s’ouvrirait près du commando, plutôt qu’au milieu d’une horde de Fléaux.
C’était la première fois, de mémoire de Nobilian, qu’une brèche s’ouvrait sans qu’un torrent de Fléaux n'en surgisse immédiatement. Les meisters postés à travers la place étaient tous occupés à observer avec intérêt l’anomalie, prenant notes et croquis…

Rien de tout cela n’avait d’intérêt pour Rowan, dont le regard était fixé sur les cinq silhouettes familières.
Sur une silhouette en particulier.
La Morrigane, comme les quatre autres, était vêtue d’une courte tenue, faite de tissu brut et de cuir, rappelant celle des soldats Romains antiques. Sa peau naturellement hâlée était devenue aussi pâle que celle d’un Vampire, et elle avait perdu du poids, chaque gramme utilisé pour dessiner des muscles fins, mais puissants. Plus intrigant encore, ses yeux avaient changé, maintenant dotés d’une pupille verticale, comme on en voyait souvent dans les espèces nyctalopes. Enfin, des lignes de tatouage runiques ornaient ses bras et jambes – les motifs semblant issus des Oghams Avalonans anciens.
Avec Ki’Ruz posté fièrement à côté d’eux, équipé d’un harnais de cuir souple orné des mêmes motifs, le commando du Karmzer Fougueux avait quelque chose de mystique – comme si des anciens, venu du fond des âges, étaient soudainement apparus parmi eux.

Les cinq membres du commando se trouvaient dans ce qui paraissait être une large caverne souterraine, aux parois illuminées de veines d’un minéral iridescent. Quelques plantes, visiblement adaptées à la vie en milieu aride, poussaient çà et là, et une maigre fontaine jaillissait non loin d’eux.
Plus stupéfiant encore – ils n’étaient pas seuls. Une demi-douzaine d’êtres observaient la brèche en retrait des cinq magi, et ce n’étaient visiblement pas les Fléaux auxquels les Nobilians étaient habitués. Tous partageaient avec le commando leur teint pâle, leurs yeux adaptés aux ténèbres et leurs tatouages corporels.
Loarwenn et son équipe adressèrent un dernier salut aux êtres étranges, qui y répondirent solennellement – et se dirigèrent enfin vers la brèche.

Puisque c’était le lien entre les jumeaux qui maintenant la brèche ouverte, Loarwenn fut la dernière à passer. Immédiatement, l’anomalie se referma derrière elle, et la tension se relâcha sur la place. Les meisters comme les soldats murmuraient, tous stupéfaits de ce qu’ils avaient pu observer.
Rowan, était bien plus intéressé par la Morrigane enfin dans ses bras.

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