Loargann
Le Morrigan avait été le premier à faire un pas en arrière, laissant sa sœur dans l’étreinte de son fiancé et de leur mère.
Il avait probablement été celui qui avait ressenti l’absence de Loarwenn avec le plus d’intensité – mais c’était pour la même raison qu’il pouvait s’éloigner le premier. Il n’avait guère besoin de la présence physique de sa sœur dans ses bras pour savoir qu’elle était de retour. Le murmure si familier enfin présent de manière stable dans son esprit, comme une mélodie qui avait failli disparaître – et était revenu, paré de nouvelles harmonies – bien suffisant pour eux deux.
Parce qu'il était évident que sa sœur avait changé – et pas simplement physiquement. Vraiment, c’était prévisible, après une année passée dans un monde différent…
Selaven resté en retrait avec le reste de leurs amis, lui adressa un regard curieux.
« Alors ? »
« Elle est entière, mais changée. » un haussement d’épaule « Mais ça reste Wenn malgré tout. » un sourire mélancolique effleura ses lèvres, observant discrètement le reste de leurs amis « Comme tous nos amis. »
Le Morgazh lui répondit par un sourire tout aussi mélancolique.
Tous avaient craint l’état dans lequel ils retrouveraient les cinq membres du commando – toutefois, s’ils semblaient changés par leur séjour en Infernia, ils étaient en bien meilleur état que certains se l’étaient figuré.
Mais, comme le Morrigan le disait si bien – tous avaient changé, depuis leurs années à Sainte-Geneviève, c’était inévitable, au vu de la guerre qui avait secoué le monde. À peine une année s’était écoulée depuis la fin des hostilités, et la reconstruction était encore en cours.
Loargann sourit, regardant leurs amis, qui s’approchaient à leur tour de Loarwenn – qui n’avait pas lâché la main de Rowan.
La paix avait peut-être été actée auparavant, mais pour eux tous, c’était aujourd’hui, uniquement, que la guerre s’achevait.
Pris d’une impulsion subite, il saisit la main du Morgazh à ses côtés, le soulevant pour y déposer un baiser.
Il s’était promis de parler de ses sentiments à Selaven une fois la guerre fini. Des sentiments qui étaient arrivés si discrètement, jour après jour et année après année, qu’il lui avait fallu plus de temps encore que sa sœur pour s'apercevoir de leur présence. Mais, il s’était rendu à l’évidence, quelques mois après que Loarwenn et son commando aient quitté le sanctuaire de leur école.
Le Morgazh, avec sa présence constante, son caractère calme au demeurant, néanmoins passionné dès qu’on évoquait un sujet l’intéressant, sa capacité à se perdre avec lui des heures durant dans un vieux tome ou un autre, était devenu quelqu’un dont il lui serait tout aussi difficile de se passer que sa sœur.
Mais, avec la disparition de sa sœur, rien d'autre que de la ramener à la maison n'avait eu d'importance à la fin de la guerre.
Selaven lui répondit par un sourire.
« La guerre est finie, Wenn est rentrée à la maison... »
« Tu vas m’emmener ailleurs que dans une bibliothèque pour nos rendez-vous ? » le taquina le Morgazh immédiatement
Le Morrigan dû se retenir de rougir à l’idée que tout le temps passé dans les diverses bibliothèques, à Brest, Sainte-Geneviève, ou même Wien, aient été des rendez-vous. La tâche était d’autant plus dure que Loarwenn était devenue bien plus apte à partager ses pensées, que ce soit sous la forme de mots, d’images, ou d’émotions.
Mais même s’il y avait une pointe de moquerie bon enfant dans ce qu’il recevait – il y avait surtout un sentiment clair – enfin ! — mêlé de joie évidente pour lui.
Ils n’avaient pas immédiatement quitté Wien, le commando du Karmzer Fougueux passant d’abord entre les mains de sacris discipuli spécialisé en soin, avant d’être interrogés par nombre de meisters et magisters curieux.
L’équipe était en surprenamment bon état, malnutrition mis à part – et la découverte des effets de leurs tatouages ne manqua pas de fasciner tous les érudits présents.
Finalement, il avait fallu que le grand dauphin lui-même, en dépit de sa curiosité évidente, pointe du doigt le fait qu’à présent qu’ils étaient de retour en Nobilia; ils auraient tout le temps de répondre aux nombreuses questions soulevées par leur séjour en Infernia. Plus tard.
Pour l’instant, il était largement temps que les cinq derniers soldats de la Grande Guerre à ne pas avoir été démobilisés rentrent chez eux.
Le comte de Wien avait insisté pour organiser une cérémonie simple, pour remercier et le commando pour service rendu. Plus que la médaille du mérite qu’ils avaient reçu, c’était l’ovation des citoyens de la ville qui avait visiblement touché Loarwenn, Louise, Kieran, Gabriel et Macha. Depuis leur retour, les cinq étaient plus sensibles aux émotions des gens autour d’eux, une conséquence de leur adoption par les Avalonans dont ils n’avaient pas eu conscience chez ceux-ci, comme tous possédaient une discipline mentale exceptionnelle.
Fin Septembre, le commando était reparti pour Versailles, pour un dernier debriefing avant de pouvoir rentrer chez eux. Il était assez évident que les cinq rescapés mettraient du temps à s’habituer à la paix – mais Loargann n’était guère surpris, ayant constaté le même phénomène chez tous leurs amis qui étaient allés au front.
Et, enfin, aux premiers jours d’Octobre – le contingent Breton remettait enfin les pieds à Brest. Le Morrigan ne put s’empêcher de sourire en ressentant un pan entier de tension résiduel disparaître de l’esprit de sa sœur, alors qu’ils rentraient enfin au pays. Il ne pouvait guère la taquiner sur le sujet, ayant eu exactement la même réaction – comme le reste d’entre eux qui n’avaient plus revu le dugelezh depuis le début de la guerre.
Ils étaient enfin à la maison.
Annotations
Versions