Kieran
Malgré la guerre qui y avait éclaté quelques mois à peine après son arrivée, Nobilia était, à n’en pas douter, un monde plus accueillant qu’Infernia.
Cela dit, Kieran savait bien qu’il était celui qui souffrait le moins de leur arrivée inopinée dans le monde des Fléaux.
Bien qu’il se soit fait des amis, le magus n’avait finalement qu’un seul vrai lien l’attachant à Nobilia– Loarwenn. Et, puisqu'il était avec la Morrigane, même les conditions difficiles d’Infernia lui paraissaient tolérable.
Et, sa petite sœur elle-même, il savait, aurait pu se faire à la vie dans ce nouveau monde – il ne connaissait que trop bien sa résilience et ses capacités d’adaptation après tout. Sans compter que sa passion de toujours pour les civilisations paléomagos était ici satisfaite comme jamais auparavant.
Mais, autant qu’elle ait aimé ses parents et son frère quand elle était Enora... Il n' y avait pas commune mesure entre eux et Loargann, son jumeau, avec qui elle partageait un lien si puissant qu’ils semblaient parfois être les deux moitiés d’un même être.
Loarwenn ne pouvait envisager la vie sans son autre frère – ce qu’il ne comprenait que trop bien, lui qui l’avait suivi à travers les mondes.
Et, surtout – Loarwenn était amoureuse.
Non, le mot était trop faible pour ce qu’elle ressentait pour le Faë – ç'avait été une évidence pour lui dès ses premiers jours en Nobilia. Ainsi, la Morrigane ne s’en rendait pas compte, mais au fil du temps, elle avait développé l’habitude d’effleurer l’anneau dans ses cheveux dès qu’elle pensait à son fiancé. Et, ces mouvements instinctifs n’avaient fait qu’aller croissant au fur et à mesure que le temps passait…
Par conséquent, aussi fascinée qu’elle soit par les Avalonans, et malgré son désir si évident d’aider le peuple qui les avait sauvés, Kieran avait toujours su qu’ils rentreraient en Nobilia.
Dussé-t-il créer un rituel de toutes pièces pour atteindre cet objectif.
Après tout – le magus détestait voir sa sœur malheureuse.
Leur retour avait finalement été bien moins difficile que ce qu’il n’avait craint. Entre l’équipe de meisters les aidants de l’autre côté du voile, et sa propre expérience, il ne leur avait fallu qu’une année pour regagner Nobilia.
Kieran avait eu un pincement au cœur en observant les retrouvailles de ses amis avec leur famille. Puis il s’était retrouvé entraîné dans l’étreinte d’une Morrigane, plus petite encore que sa sœur, et lui ressemblant comme deux gouttes d’eaux.
« Merci, d’avoir toujours été aux côtés de ma fille. »
Ce serait seulement bien plus tard qu’il s'apercevrait – que c’était le moment où il avait été adopté par les ar C’hastel. Quand il avait fait part, plus tard, de sa surprise d’avoir été aussi facilement accepté par la mère de Loarwenn à Loargann, celui-ci avait éclaté de rire . Elle aurait pourtant tout à fait été en droit de se méfier du magus plus âgé de plusieurs décennies que sa fille, qui l’avait suivit à travers les mondes, de l'opinion du magus.
« Loarwenn nous parle de sa vie en tant qu’Enora depuis qu’elle a cinq ans. Tu faisais partie de la famille bien avant d’arriver en Nobilia. Comme ton frère ou tes parents. »
C’était peut-être la première fois que Kieran mettait les pieds au dugelezh Breizh en Nobilia, mais il avait tout autant l’impression de rentrer à la maison que les autres. Il ne pouvait s’empêcher de se sentir curieux de découvrir cette version de la ville de son enfance qui lui était encore complètement inconnue.
Loarwenn avait immédiatement décidé de lui faire découvrir la région, l’entraînant, avec Loargann, Rowan, Selaven, et Macha, à travers la ville, mais également la campagne environnante – et même sur les flots.
Ces balades avaient eu un effet positif inattendu – les aidants tous à se réhabituer à la vie en temps de paix. Autant que le dugelezh Breizh ne soit jamais réellement en paix; puisqu’il ne lui fallut pas plus d’une semaine pour être confronté à sa première attaque de Morgazh sur la côte nord, lui faisant comprendre pourquoi personne n’avait jamais demandé au duged Breizh de partir au front.
Finalement, c’était courant Novembre, alors que tous se sentaient enfin suffisamment réhabitués à la vie normale pour reparler des fiançailles; celles de Loarwenn et Rowan, mais également celles de Selaven et Loargann; que Kieran avait accidentellement accompli la prophétie que la Voie de la Harde de la Lune Blanche avait donné au vieux Gurven dans son propre monde.
« Et alors, le lien symbiotique a lieu pendant les fiançailles ou le mariage ? »
Aux regards vides qui lui étaient adressés, le magus s’était un instant demandé si le lien, si évident pour un Breton de Futuria, était quelque chose de tabou en Nobilia. Loarwenn l’avait vite détrompé.
« Je n’ai jamais entendu parler de lien symbiotique comme l’Ene Bihan en établissait en Futuria ici. » lui expliqua-t-elle
L’instant d’après, ils avaient dû expliquer le lien symbiotique en question au reste du groupe de famille et d’amis rassemblés dans le salon.
« En Futuria, il est établi que l’Ene Bihan est une espèce descendant des Lars Familiaris… que je n’ai pas croisé ici. »
Loarwenn avait hoché la tête.
« Je n’en ai pas entendu parler. Mais de ce que j’ai lu; je pense qu’ils se sont divisés si vite en sous-espèces comme tous les Lutins et autres petits peuple d’Europe qu’aucunes traces ne reste d’eux dans les textes, si ce n’est quelques mentions cryptiques dans des textes Romains. »
Le magus et sa sœur avaient expliqué les Lars Familiaris aux Nobilians fascinés.
L’idée d’une espèce magique, encore plus puissante que les Ved’mas, mais à la magie si instable qu’elle nécessitait d’établir un lien symbiotique pour la stabiliser leur paraissait très étrange. Le fait que la plupart des esprits de la nature d’Europe en serait les descendants, ayant troqué la puissance magique de leurs ancêtres contre un don élémentaire et une magie plus stable, plutôt qu’un lien symbiotique, plus fascinante encore.
« Sauf qu’en Futuria, les Ene Bihan ont gardé les deux. » Loarwenn avait finalement annoncé « L’Ene Bihan de Futuria n’a pas besoin du lien symbiotique, mais il est généralement effectué durant le mariage, unissant la vie des deux époux, et leur donnant une longévité et une puissance plus considérable. »
L’histoire avait laissé le duged songeur.
« Vous savez, » avait-il murmuré après un moment plongé dans ses pensées« ce n’est guère plus évoqué, mais autrefois, l’Ene Bihan était réputé pour avoir une espérance de vie aussi longue que celle des Faë… »
Tous étaient intrigués par le sujet à présent – et quelques heures passées à fouiller les archives, combinée à ce que Loarwenn et Kieran savaient de l’Ene Bihan Futurian, avait fini par apporter une réponse.
« Le lien symbiotique était effectué à chaque mariage jusqu’au XIVe siècle. La pratique s’est perdue pendant les épidémies de peste noire, le nombre de morts étant tel que malgré toutes les archives, une grande partie du savoir transmis oralement s’est perdu. »
Rowan était très intéressée par l’idée de ce lien symbiotique – prouvant une fois de plus à quel point il tenait à sa sœur. Après tout – les Faë de Nobilia avaient une espérance de vie d’un demi-millénaire, contre à peine deux siècles pour l’Ene Bihan actuel, il était tout naturel qu’il espère que l’écart puisse être comblé.
Maintenant qu’ils avaient établi pourquoi l’Ene Bihan Nobilian avait une espérance de vie tellement inférieure à celui Futurian – restait à retrouver comme était établi un lien symbiotique.
Kieran s’était soudain souvenu d’un vieux journal, que le vieux Gurven avait fourré dans sa besace avant qu’il ne quitte son monde original.
« Tu sauras quand tu en auras besoin. »
Le doyen de l’Ene Bihan Brestois avait eu raison comme toujours, le magus ayant même oublié l’existence du grimoire en question avant cet instant. L'effet d’un sort du vieux Korrigan, il n’en doutait pas un instant.
Si le vieux journal était indéchiffrable pour lui – il semblait clair comme de l’eau de roche pour Elouan ar C’hastel, à qui il l’avait confié. Feuilletant les pages jaunis rapidement, son regard s’était écarquillé au fur et à mesure. Finalement, il avait prit le magus dans ses bras.
« Tu viens de changer la vie de tout notre peuple ! »
Ce n’était qu’alors que Kieran avait compris qu’il avait accompli la prophétie évoquée par le vieux Gurven.
Le duged et son épouse avaient testé le soir même le rituel simple permettant d’établir un lien maritale symbiotique – et le changement avait été évident dès le lendemain.
Il était impossible de juger de l’espérance de vie. En revanche, le bond en puissance des deux était flagrant, comme l’était le bond dans leur communication silencieuse, qui était maintenant très semblable à celle des jumeaux, vu de l’extérieur.
Le duged avait immédiatement fait circuler le savoir contenu dans le grimoire à travers le dugelezh Breizh. Kieran avait été un peu embarrassé de s'apercevoir qu’il était devenu en conséquent connu à travers toute la Bretagne, puisque Elouan avait allègrement partagé d’où venait ce savoir retrouvé.
Enfin, début décembre, tous s’étaient accordés pour officiellement fêter les fiançailles des jumeaux le jour de leurs 21 ans – et Kieran, stupéfait, s’était également vu proposer une adoption par le sang.
Ressentant son hésitation, la dugez l’avait immédiatement rassuré.
« Ce n’est pas parce que tu apporté ce journal, mais parce que tu es le frère de notre fille, et l’as toujours été. »
L’anticipation était évidente dans le regard de Loarwenn – mais plus important, aux regards du reste de la famille ar C’hastel, c’était une proposition honnête. Il réalisa soudain que comme Loargann le lui avait dit quelques semaines plus tôt, il avait toujours fait partie de leur famille, avant même d’arriver en Nobilia.
L’adoption ne ferait qu’officialiser les choses – et lui permettre de rester auprès de sa nouvelle famille plus longtemps encore qu’il ne l’avait pensé.
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