XXIV. Rowan
Une main sur son bras força le Faë à arrêter de faire les cents pas dans l’anti-chambre. Sa mère lui lança un sourire d'encouragement, et même son père, si distant pendant son enfance, paraissait amusé. Rowan ne savait pas ce qu’il s’était passé quand il était au front, mais la relation entre ses parents avait changé pour le mieux. Le kont était devenu plus expressif – et son acceptation sans hésitation, quand il lui avait annoncé renoncer à son titre au profit de son cousin, avait été inattendu.
« Tu aimes la dugez-hêrez, c’est évident, mais tu es mon fils. Et, je sais que jamais, tu ne donnerais ton titre à Gwilherm, si tu l’en pensais pas digne. »
Alan ar Ro’han avait raison, bien entendu – toutefois, Rowan n’avait honnêtement pas pensé que son père le connaissait suffisamment bien pour s’en apercevoir.
En quelques mois, leur relation était devenue bien plus proche qu’avant – et le kont avait également pris sous son aile Gwilherm, pour commencer à lui enseigner ce dont il aurait besoin comme kont San Brieg.
Le kont ar Ro’han était devenu encore plus approchable depuis que sa femme et lui avaient établi un lien marital symbiotique – et Rowan ne serait guère étonné si on lui apprenait prochainement qu’un nouveau petit ar Ro’han était prévu.
Quant à Gwilherm, aussi fier que sa famille soit de son nouveau statut de kont-hêr, ils étaient en revanche bien moins acceptants de la fiancée que celui-ci avait ramené de Nouvelle-Francia quelques mois après la fin de la guerre.
Akumik de Lamirande était une shamane Ijiraq. Ce qui signifiait que c’était l’équivalent d’une duchesse dans le Royaume de Francia – mais la jeune Changeuse n’était franchement pas du genre à se préoccuper de titres ou de conventions sociales.
En revanche, elle s’était parfaitement entendue avec leur groupe d’amis, lors des visites du couple à Brest – et ce serait une protectrice exceptionnelle pour le Bro San Brieg.
Sans mentionner qu’il était hilarant de voir les regards encore un peu éberlués de son cousin, qui, même plusieurs mois plus tard, peinait encore à croire que la magnifique jeune femme à la peau cuivrée, aux longs cheveux noirs d’où dépassait une paire d’oreilles de renard touffues, et au regard ambré, puisse l’aimer.
Non pas que Rowan soit en position de se moquer, vu comme il se sentait anxieux en attendant l’annonce du majordome pour faire son entrée dans la salle de bal avec sa famille – pour l’annonce officielle de ses fiançailles avec Loarwenn.
L’ambiance, il le savait, était bien moins guindée qu’elle ne l’aurait été quelques années auparavant.
C’était un changement arrivé avec la fin de la guerre – après des années sans raison de célébrer, les nobles comme les roturiers avaient tous envie de faire la fête… En revanche, la jeune génération de nobles, qui avait passé tant de temps à vivre à la dure et au contact du peuple, n’était plus guère intéressée par les traditions les plus guindées.
Enfin, il entendit le majordome annoncer l’entrée des ar C’hastel – puis celle des ar Ro’han et des ar Eusa.
Les deux familles firent leur entrée, et il aperçut en un instant la grande salle de bal, devenue familière avec les années. La pièce rectangulaire était décorée de guirlandes de fleurs blanches, de bannières aux couleurs de leurs trois familles, et de rubans colorés des treize couleurs traditionnelles de la cérémonie du handfasting. Les hautes fenêtres donnaient sur le jardin, tout aussi somptueux et fleurit, malgré les neiges de Décembre, que la première fois qu’il l’avait vu, à la même saison, seize ans plus tôt.
Les tenues des dames de la noblesse avaient en revanche bien changé, toutes traces des corsets ayant disparu au profit de robes plus légères et colorées, les paillettes et le chatoiement à l’honneur, les longueurs variant d’une personne à l’autre. Même les tenues des hommes s’étaient simplifiées, bien que le changement soit moins tape-à-l’œil que pour leurs compagnes.
C’était le premier bal organisé au kastell Brest depuis le début de la guerre – et tous comptaient bien célébrer l’occasion comme il se devait.
Enfin, son regard se posa sur Loarwenn, et comme souvent quand cela lui arrivait, le reste du monde cessa d’avoir de l’importance.
Elle portait une longue robe bleue nuit, au corsage en V et dos nu, et à la jupe cercle tombant en un drapé harmonieux. Tout le bas de la jupe était bordé d’un motif d’entrelacs celtiques en fil d’or. Rowan sentit son cœur battre un peu plus fort, conscient du fait que la Morrigane avait décidé d’honorer les couleurs du Bro San Brieg, en dépit du fait que c’était le Faë qui abandonnait son titre, et prendrait son nom le jour du mariage. Mais Loarwenn l’avait toujours compris, et savait bien que ce n’était pas un choix fait à la légère; le Faë avait toujours été fier de son comté natal !
Les cheveux de Loarwenn étaient assemblés en une lourde tresse imbriquée, et il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à sa mère qui avait l’air ravie de voir la coiffure typique des célébrations Faë. Une coiffure qui avait probablement nécessité plusieurs heures de travail, même en s’aidant de magie, au vu du nombre de perles et autres ornements qui paraient les cheveux de la Morrigane. Le fáinne Chladaigh de simple fer, forgé et enchanté par ses soins quatre années auparavant, tenait la place d’honneur dans la coiffure. Il se permit un moment de fierté en constatant que l’ornement pourtant bien moins ouvragé ne dépareillait pas dans la tenue de la Morrigane.
Il ne remarqua pas sa mère et celle de Loarwenn échanger un regard complice, satisfait, à voir la tenue du couple si bien assortie. Et, n'apprendrait que plus tard qu’elles avaient passé de nombreuses heures ensemble, à s’assurer que ce serait le cas sans qu’aucun des deux fiancés ne voie la tenue de l’autre à l’avance.
Pour l’instant, toute son attention était sur Loarwenn, dont le visage s’était illuminé en le voyant arriver.
« Tu es magnifique. » lui murmura-t-il, incapable de dire quoi que ce soit d’autre
Après un discours de leurs parents, proclamant officiellement l’adoption de Kieran, les fiançailles de Loargann et Selaven et les leurs, ceux-ci avaient été les premiers à entremêler des rubans colorés autour de leurs deux mains unies.
Les rubans n’étaient pas noués – ne le seraient que lors de la cérémonie de mariage elle-même – et la tradition voulait que ceux dont les rubans tombaient n’étaient pas voués à une union heureuse. Même si, fort heureusement, cela n’arrivait guère – les rubans n’était pas attachés, mais tout de même suffisamment entrelacés pour tenir solidement.
La célébration dura jusque tard dans la nuit, leurs amis et leurs familles tous rassemblés sous un même toit, chacun choisissant avec soin la couleur du ruban qu’ils entrelaçaient autour de leurs mains.
Nouer un ruban autour des mains de Loargann et Selaven s’était avéré difficile – tout autant que de faire de même pour l’autre couple – et avait provoqué l’hilarité générale. Chaque couple s’aidait dans la tache, d’autant plus ardue que bien entendu, les jumeaux étaient déterminés à nouer leurs rubans simultanément.
Rowan avait été stupéfié – et ravi – de voir parmi les invités son grand-père, et plusieurs de ses cousins et neveux d’Eire, qu’il n’aurait pas imaginé quitter Carraig Phádraig pour si peu, les Faë étant généralement plutôt insulaires. La guerre n’avait pas changé la vision des choses uniquement chez les Francians, mais également rappelé aux Royaumes-Unis l’importance des liens diplomatiques, mais également d’amitié ou familiaux qu’ils entretenaient avec les gens du continent.
Tous leurs amis étaient là aussi, même Paul, au bras de Nahimana, dont l’expression un peu embarrée en début de soirée avait disparu à mesure que les heures passaient; et qu’il s'apercevait que la noblesse Bretonne était fréquemment bien moins à cheval sur les titres et les convenances que celle de la région Parisienne où il avait grandi.
Finalement, ce fut presque à l’aube que Loarwenn et lui se retirèrent dans la chambre de Morrigane. La pièce était chaleureuse, remplies d’étagères débordant de livres, de piles de notes empilées à droite à gauche; de brosses et autres accessoires témoignant du fait que Ki’Ruz, profitant de sa capacité à changer de taille à volonté, passait plus de ses nuits avec sa maîtresse que dans les écuries.
Il leur fallut un long moment pour réussir à glisser leurs mains hors du lourd entrelacs de rubans colorés sans les défaire, avant de les déposer dans une boîte ouvragée conçue spécialement pour. Boîte qui ne serait ensuite ouverte qu’à la fin de leurs fiançailles, les rubans destinés à être de nouveau mis à leurs poignets pour leur mariage. Noués, cette fois, pour témoigner de la solidité de relation.
Voir Loarwenn sortir de la salle de bain, prête pour la nuit, avait quelque chose d’étonnamment symbolique. Ils avaient beau avoir passé des nuits ensemble au front, ou à Wien, c’était dans des circonstances dans lesquelles les nuisettes et autres déshabillés n’avait que peu de place.
Pour la première fois – la nuit qu’ils passaient ensemble n’était pas un simple instant volé au milieu de la guerre, mais le début de quelque chose de plus durable.
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