Le cours traînait.

Droit constitutionnel comparé. Amphi 3.

J’étais là, comme tous les jours, assis à la même place, ordinateur ouvert, notes en ordre, visage neutre. Je tapais des mots que je ne lisais même pas. Les phrases glissaient, les minutes s’effaçaient. Tout le monde avait l’air absorbé. Moi, je m’effaçais.

Je fais ce qu’on attend de moi.

Je réussis. Je souris. Je coche les cases.

Je suis étudiant en droit et sciences politiques à la Sorbonne. Mon père en parle avec fierté à ses collègues, comme si j’étais un trophée bien poli. Ma mère me félicite sans jamais poser de questions. Tout est propre, net, bien présenté. Et moi, je me tiens droit, silencieux, parfaitement à ma place.

Mais parfois, j’ai l’impression de vivre dans une pièce trop bien rangée. Trop vide. Trop… fausse.

Je ne sais pas depuis quand je me cache. Peut-être depuis toujours.

Il y a quelques jours, à la bibliothèque, un garçon m’a regardé. Un regard franc. Trop franc. Il m’a souri. J’ai baissé les yeux, le cœur en panique, les joues en feu. Et j’ai fui.

Voir. Ressentir. Fuir.

C’est mon schéma. Mon mécanisme de survie.

Je suis gay.

Mais personne ne le sait.

Et dans ma famille, ce genre de chose ne se dit pas. On reste “discret”, tu comprends ? On garde ça pour soi. On ne fait pas de vagues. On ne trouble pas l’ordre établi.

Chez les De Villiers, on parle d’ambition, de mérite, de réputation. Pas d’amour. Encore moins du mien.

Quand je suis sorti de l’amphi, mon téléphone a vibré.

Un message de ma mère :

« N’oublie pas le dîner de ce soir. Ton père veut te présenter un collègue. »

Un de plus.

Comprendre : une nouvelle carte à jouer. Un lien à créer.

Je tape la réponse habituelle :

« Bien sûr. À ce soir. »

Je suis doué pour ça. Pour faire semblant. Pour être ce qu’on attend.

Mais au fond de moi, quelque chose crie.

Et j’ai peur du jour où ce cri sortira sans prévenir.

Où je ne pourrai plus le retenir.