Je ne sais pas comment il s’appelle.

Mais je l’ai vu. Et depuis, quelque chose en moi a bougé.

Il était là, devant une boutique un peu défraîchie, une devanture peinte à la va-vite, une enceinte posée sur une chaise en plastique. Il riait fort avec un client, un gars venu se faire tatouer, une clope à la main et le regard franc. Il avait l’air à l’aise dans ce désordre, comme si tout ça, c’était sa maison.

Moi, je passais juste là. En revenant des cours. Costume bien taillé, sac en cuir sur l’épaule, tout droit sorti d’un monde où chaque chose a sa place.

Lui, il n’avait pas l’air d’en avoir une.

Et pourtant, il prenait toute la rue.

Il portait un vieux tee-shirt noir taché d’encre, un pantalon troué, des bagues aux doigts, un tatouage à moitié caché sur le cou. Il était écorché, brut, un peu fatigué. Mais vivant.

Tellement vivant que ça m’a figé.

Je l’ai appelé Nathan dans ma tête.

Je ne sais pas pourquoi, mais ça lui allait.

Peut-être parce qu’il avait l’air de n’avoir besoin de rien. Peut-être parce que j’avais envie qu’il existe, vraiment.

Depuis, je suis repassé plusieurs fois. Toujours à la même heure, comme par hasard.

Je l’ai vu bosser tard. Fermer seul. Rire avec des amis. Engueuler un livreur. Il vivait dans le mouvement, le bruit, la poussière, l’imprévu.

Je l’imagine tatoueur, oui.

Mais aussi livreur, parfois barman. Je l’imagine se lever sans réveil, manger debout, compter l’argent du jour, recommencer le lendemain. Pas de parents qui appellent. Pas de dîners obligés. Pas de silence dans les salons trop grands.

Il vit loin de moi. Très loin.

Et pourtant, c’est vers lui que mes pensées reviennent.

Lui, il est libre. Pas parfait. Pas lisse. Mais vrai.

Moi, je suis ce qu’on attend.

Lui, il est ce qu’il est.

Et peut-être que c’est exactement pour ça que je n’arrive pas à l’oublier.