Chapitre 3 — Premier contact
Depuis que je l’ai aperçu au coin de la rue Maubeuge, je n’ai cessé d’y penser.
Ce jeudi soir, c’est Franck, mon camarade de TD en droit européen, qui m’a convaincu de changer d’air :
— Viens réviser chez un ami à moi, tu vas voir, c’est plus inspirant qu’une salle de cours.
Confiant, je l’ai suivi dans une petite impasse, jusqu’à une porte peinte en gris. Dès qu’il a cliqué, l’odeur m’a frappé : encre fraîche, cuir et désinfectant.
Sur les murs, des dessins ; des tubes d’encre bourdonnaient sur des étagères. Et, au fond, celui que j’appelle « Nathan » dans ma tête, dos tourné, occupé à griffonner.
Franck me présente :
« Ariel, je te présente Jules. Jules, voilà Ariel, le roi de la primauté du droit européen. »
Jules lève les yeux, mains tachées d’encre :
« Enchanté, Ariel. »
Son prénom m’arrache un sourire : c’est la première fois que je l’entends à voix haute. J’ai l’impression de combler un trou que je portais en moi depuis notre première vue.
Franck dépose nos cahiers sur une petite table et s’installe à mes côtés. Jules ajuste une lampe, braque la lumière sur mes fiches :
« Montre-moi où ça bloque. »
Je suis honnête :
« La primauté du droit européen… Je pige le principe, mais j’ai du mal à l’appliquer aux cas pratiques. »
Jules sourit :
« J’avoue, je n’ai jamais étudié le droit comme toi. Je ne suis pas juriste, je suis tatoueur. Mais laisse-moi essayer de t’expliquer à ma façon. »
Il parcourt mes notes du regard, puis dessine un cercle dans l’air :
— Imagine un tatouage : sans contour précis, l’encre déborde, le dessin se dilue. Le droit, c’est ce contour. Il fixe la norme. Sans lui, rien ne tient.
C’est simple, presque brutal. Pas de jargon. Juste une image concrète. Et ça marche : je frissonne, parce qu’enfin je comprends.
L’horloge annonce 21 h. Jules replace mes fiches :
« Je dois finir un motif, mais si tu bloques encore, fais-moi signe. »
Franck se lève, enthousiaste :
« Merci, Jules. On reviendra, promis ! »
Jules se tourne vers moi, sa voix devient plus douce :
« Et toi, Ariel ? Tu restes un peu ? On peut continuer, ou si tu veux, je te montrerai l’arrière-boutique, mes croquis… Et si un jour tu te sens prêt, on pourra tester l’encre. »
Mon cœur rate un battement. J’hésite, puis :
« Oui… j’aimerais bien. »
Franck me glisse un clin d’œil et me chuchote :
« Tu vas voir, son monde est fou. »
En sortant, je marche aux côtés de Franck. Il me taquine :
« Alors, ton tatoueur-mentor ? »
« Plus vivant que n’importe quel amphi, » je réponds, encore sous le coup de la soirée.
Dans la nuit, le mot « Nathan » flotte dans ma tête, plus réel que jamais.
Les choses qui sont importantes pour lui ne le sont pas pour moi.
Mais c’est exactement pour ça que je le cherche.
⸻
— La Voix Qui Écrit
Annotations