Chapitre 4 – Le nom qu’il ne portait pas encore
Quand Franck m’a proposé de repasser chez lui en fin de journée, j’ai accepté.
Sans trop savoir pourquoi.
Peut-être pour revoir Jules, son ex.
Peut-être pour me convaincre que ce n’était rien.
Il était là, encore. Torse nu, cigarette aux lèvres, concentré sur un dessin.
Je n’ai pas osé lui adresser la parole tout de suite. Il avait ce genre de présence qui vous met en veille, vous coupe le souffle sans rien dire.
— Tu peux t’asseoir, m’a-t-il lancé sans lever les yeux.
Je me suis assis, en silence. À côté de Franck. Je les regardais tous les deux.
Une tension flottait encore entre eux, si dense qu’on pouvait presque la toucher.
— Vous étiez ensemble, tous les deux ? ai-je fini par demander.
Franck a souri, un peu amer.
— Ouais. Y’a un moment. Et parfois… on se retrouve.
Il a croisé le regard de l’autre.
— Mais sans prise de tête, hein. On couche ensemble, c’est tout. Plus rien de sérieux.
L’autre n’a rien dit. Il a juste haussé les épaules. Comme si c’était banal.
Mais dans ses yeux, j’ai vu passer un éclair. Une brève nuance d’attente, ou de déception. Je n’ai pas su.
Je savais depuis le début que Franck était gay.
Peut-être que c’est pour ça que je m’étais approché de lui, sans m’en rendre compte.
Il avait cette façon de ne pas jouer de rôle, de rendre la différence naturelle.
Mais ce jour-là, ce n’était pas lui que je regardais.
J’ai laissé mon regard traîner sur ses traits. Il n’avait pas l’air de s’appeler Jules. Ce prénom ne lui collait pas. Trop ordinaire. Trop loin de lui.
Je l’ai observé un instant, puis j’ai lancé :
— Tu t’es jamais dit que tu méritais un autre prénom ? Un qui te ressemble plus ?
Il a froncé les sourcils, un peu amusé.
— C’est-à-dire ?
— Je sais pas. J’ai du mal à t’imaginer en “Jules”. C’est comme si… c’était pas toi.
Il m’a regardé, curieux. Franck aussi, un peu surpris.
Alors j’ai soufflé, presque à moi-même :
— Nathan.
Le mot est sorti comme une évidence.
Lui, il a haussé un sourcil, puis s’est mis à sourire. Pas un sourire moqueur.
Un de ceux qu’on garde pour les surprises agréables.
— Nathan, hein ?
J’ai senti mes joues chauffer, mais je n’ai pas reculé.
— C’est le prénom qui me vient quand je pense à toi. C’est tout.
Il a tiré sur sa cigarette, lentement, puis a dit :
— Alors appelle-moi comme ça. Juste toi.
Franck s’est levé sans un mot. Peut-être que c’était trop pour lui.
Et moi, j’ai su que ce prénom-là, je ne pourrais plus l’oublier.
— La Voix Qui Écrit
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