Chapitre 6 – Ce qu’il ne dit pas encore
Le lendemain, je suis resté enfermé. Pas tant pour travailler que pour ralentir ce qui s’agitait en moi.
Je relisais nos paroles comme on relit une lettre écrite à la main, incapable de savoir ce qui comptait vraiment.
Je pensais à lui. À son regard.
Et à ce prénom.
Ce prénom, c’est moi qui l’ai posé sur lui. Comme un murmure, un soir. Il ne l’a pas refusé. Il l’a gardé, simplement. Depuis, c’est ainsi que je l’appelle. Et ça sonne juste. Pour lui. Pour moi.
Franck ne m’a pas écrit. Peut-être qu’il a compris. Peut-être qu’il a vu, dans l’ombre d’un silence, ce qui était en train de bouger.
Le soir, un message m’a surpris. Numéro inconnu, mais je n’ai pas douté une seconde.
« Si t’as cinq minutes, passe. Je finis un motif vers 20h. Nathan. »
J’y suis allé.
Évidemment.
Il m’a ouvert sans chemise, sans gêne. La peau un peu moite, l’encre encore fraîche dans l’air. Il n’a rien expliqué. Mais il a souri.
— Je savais que tu viendrais.
Il disait ça comme une évidence, sans prétention. Juste une phrase posée entre deux respirations.
Je me suis assis dans le vieux fauteuil. Il a pris place sur le bord de la table, les jambes croisées, les yeux en mouvement.
— T’as pensé à un motif ? a-t-il demandé.
— Un truc discret. Peut-être un mot. Un trait.
Il s’est approché, lentement, et a effleuré mon poignet du bout des doigts.
— Là, peut-être. Ça pourrait être un début.
Je n’ai pas bougé. J’ai senti cette chaleur simple, presque tendre, qui n’appelle rien mais dit beaucoup.
Puis il a parlé. Pas pour se justifier. Juste pour mettre les choses au clair.
— Tu sais, avec Franck, c’est le passé. C’est le genre de lien qui reste un peu accroché à la peau, même quand il n’a plus rien à dire. Je crois qu’on cherche parfois du familier, même si ça nous retient.
Il a marqué un silence, comme s’il cherchait ses mots.
— Et toi… c’est pas pareil. J’ai pas envie que ce soit flou, ni recyclé. C’est pas un refuge. C’est pas un jeu. C’est autre chose. J’sais pas encore quoi, mais je le sens.
Il n’a pas eu besoin d’en dire plus. Moi non plus.
C’était là, entre nous, sans phrases.
Il s’est levé, a pris un carnet. A commencé à dessiner, concentré.
— Ce sera peut-être le tien. Pas pour maintenant. Mais peut-être plus tard, si tu veux laisser une trace.
Je n’ai pas demandé à voir. J’ai aimé ne pas savoir.
Quand je me suis levé pour partir, il m’a suivi jusqu’à la porte. Pas de geste inutile. Pas d’insistance.
— Reviens quand tu veux, Ariel. Mais pas pour réviser cette fois.
J’ai hoché la tête.
Parce que je savais.
Parce que quelque chose en moi le savait déjà.
Ce qui est important pour lui ne l’est pas toujours pour moi.
Mais c’est précisément pour ça que je reviens.
Parce que, dans ses silences, quelque chose me parle.
La Voix Qui Écrit
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