Chapitre 10 – Ce qu’on ne dit pas pour blesser
Il est venu me voir.
Sans prévenir. Sans y être invité.
Comme il l’avait souvent fait autrefois — avant que je ne sache dans quel monde j’entrais.
Franck.
Il s’est présenté devant la porte avec ce sourire vague, un peu triste, un peu rusé.
Moi, je n’ai pas su quoi faire d’autre que de le laisser entrer.
— Je t’ai vu passer ce matin, a-t-il dit en balayant l’air d’un ton faussement léger. Je voulais savoir comment tu vas.
Il s’est assis sur le bord de mon lit, comme s’il n’était jamais vraiment parti.
Moi, je suis resté debout.
— Tu sais très bien comment je vais, ai-je soufflé.
— Pas exactement. Je sais juste que tu continues à traîner avec lui.
Avec lui. Nathan.
(Il faut dire que pour Franck, il s’appelait Jules. Mais je n’ai pas corrigé. Pas ce soir.)
Il a croisé les bras, m’a fixé avec ce regard qui cherche toujours à prendre l’avantage.
— C’est sérieux, vous deux ?
Je n’ai pas répondu tout de suite.
Je ne savais même pas quoi répondre.
C’est sérieux ? Oui. Non. Pas encore. Trop.
J’ai haussé les épaules.
— On apprend à se connaître.
Franck a souri, mais ce n’était pas un sourire tendre.
C’était ce genre de sourire qui coupe.
— Il t’a dit qu’il était libre ?
— Il m’a dit que c’était fini entre vous, oui.
— C’est vrai. C’est fini. Depuis longtemps.
Nous sommes restés plusieurs secondes en chiens de faïence. Le temps s’est suspendu.
— Mais ça ne nous empêche pas, parfois, de partager une nuit.
Il a lancé ça comme un couteau. Sans hausser la voix. Sans détour.
Juste assez pour me perforer.
J’ai eu l’impression que le sol se dérobait. Que quelque chose craquait, à l’intérieur.
— Quand ? ai-je demandé, la voix déjà étranglée.
— Hier. Il était tendu, tu sais. Il avait besoin de relâcher.
Il m’a regardé, presque compatissant.
— C’est pas contre toi. C’est juste… Nathan.
Je n’ai rien dit.
Je ne pouvais pas.
Franck s’est levé. En quittant la pièce, il a posé une main furtive sur mon épaule.
Un geste d’adieu ? Ou d’avertissement ?
— Fais gaffe, Ariel. Ce garçon est magnétique, mais instable. Il brûle tout ce qu’il touche.
Et puis parfois… il revient. Parce qu’il sait qu’on est là.
Il est parti comme il était venu.
En laissant derrière lui une pièce trop silencieuse, trop vide, trop froide.
Je suis resté planté là.
Pas en colère. Pas encore.
Juste… transpercé.
Et pourtant.
Je savais.
Depuis le début, je savais que Nathan ne m’appartenait pas.
Qu’il portait en lui d’autres liens, d’autres gestes, d’autres nuits.
Mais le savoir et l’entendre, c’est différent.
Je ne lui en voulais pas. Pas tout de suite.
Mais quelque chose en moi s’était fendu.
Et ce soir-là, dans le silence qu’il a laissé, j’ai compris à quel point je m’étais déjà attaché.
Même quand ça fait mal.
Même quand je devrais fuir.
Ce qui est important pour lui ne l’est pas toujours pour moi.
Mais c’est exactement pour ça que ça me blesse.
Et que je reste.
—
La Voix Qui Écrit
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