Chapitre 15 – Ni pardon, ni oubli
Il y avait dans l’air ce soir-là une fatigue étrange.
Pas seulement la mienne.
Celle de deux êtres qui portaient trop de silences sur le dos.
Franck marchait à côté de moi. Pas trop près. Pas trop loin.
Assez pour que je sente son souffle, mais pas assez pour qu’il devienne familier.
C’était étrange : j’avais tant haï son prénom, son ombre, son rôle dans ma chute…
Et pourtant, ce soir-là, c’était lui qui restait, quand Nathan s’était effacé.
— T’arrives à dormir, parfois ? a-t-il demandé d’une voix douce.
— Non. Je ferme les yeux. Mais c’est pas du sommeil, c’est juste… de l’abandon.
Il a hoché la tête, comme s’il comprenait.
Je l’ai observé à la dérobée. Son visage était calme, mais ses yeux trahissaient quelque chose de plus dense.
De la gêne ? De la honte ? Je ne sais pas. Peut-être une solitude voisine de la mienne.
On s’est assis sur un banc, au fond du parc désert.
Le froid de la nuit me rappelait que j’étais vivant. Un peu.
— T’as pas envie de le frapper ? m’a-t-il lancé avec un demi-sourire.
J’ai failli rire. Mais rien n’est sorti.
Seulement ce soupir qui traîne depuis des jours dans ma gorge.
— J’ai juste envie qu’il me regarde. Une dernière fois. Vraiment.
— Tu l’aimes encore ?
Je n’ai pas répondu.
Je n’avais pas besoin. Le silence parlait pour moi.
Puis il y a eu ce moment.
Court. Suspendu.
Franck a tourné la tête vers moi, lentement, comme s’il cherchait quelque chose dans mes yeux.
Il a levé la main, timidement, a frôlé ma joue du bout des doigts.
— T’as pas mérité ça, Ariel.
J’ai reculé. Pas brutalement. Juste ce qu’il fallait pour que le contact se brise.
— Et pourtant, c’est arrivé.
— J’ai été con. Il m’a entraîné dans un jeu que j’ai pas su refuser.
— Tu savais que j’existais.
— Oui. Et j’en suis pas fier.
Le silence est revenu, épais.
Et cette phrase m’est montée aux lèvres, venue d’un endroit que je croyais éteint :
— Tu sais, je crois que j’ai aimé Nathan comme on aime quand on n’a pas appris à se protéger.
Comme on jette tout ce qu’on est sur une table, en espérant que l’autre ne piétine pas.
Mais il l’a fait. Et toi aussi.
Il a hoché la tête. Il ne s’est pas défendu.
Et c’est peut-être ça qui m’a le plus surpris.
Je me suis levé.
Le vent s’est levé lui aussi, glacé, lucide.
— Je te pardonne pas, Franck.
— Je te le demande pas.
Nos regards se sont croisés une dernière fois.
Puis j’ai tourné le dos.
Je suis rentré seul.
Mais, pour la première fois depuis des jours, j’avais l’impression de me tenir debout.
Pas parce que j’allais mieux.
Mais parce que j’avais choisi de ne plus rester couché dans l’attente.
Annotations