Chapitre 16 – Même pas oublié
Il était un peu plus de 20 h quand j’ai reçu son message :
T’es là ?
Juste ça.
Pas de prénom.
Pas d’explication.
Pas d’excuse.
Une phrase sèche, suspendue, comme un caillou jeté dans un lac trop calme.
Je suis resté figé devant l’écran.
Je l’ai relue trois fois.
J’ai même verrouillé mon téléphone, comme si ça pouvait annuler ce qui venait de s’écrire.
Et puis j’ai craqué.
Pourquoi ?
Pas « bonsoir ».
Pas « comment tu vas ».
Rien que cette question à peine une porte entrouverte, mais déjà trop large.
Quelques secondes plus tard, un autre message est arrivé :
Je passe devant chez toi. Je peux monter ?
Mon cœur s’est mis à cogner.
Pas parce que je voulais qu’il monte.
Mais parce qu’une part de moi, la plus faible, la plus abîmée, le voulait déjà.
Je n’ai pas répondu.
Je me suis levé.
J’ai marché jusqu’à la fenêtre.
Et je l’ai vu.
Appuyé contre le mur d’en face, capuche relevée, silhouette floue sous les lampadaires.
Il attendait.
Pas nerveux.
Pas repentant.
Juste là.
Comme s’il n’avait jamais vraiment quitté cet endroit en moi.
J’ai ouvert.
Il a levé les yeux. Lentement.
Il a traversé. Monté les marches.
Je n’ai pas eu besoin d’aller l’accueillir.
Il savait déjà où poser les pieds.
Quand j’ai ouvert la porte, il n’a rien dit.
Il m’a regardé.
Et moi, j’ai senti toute ma colère se tordre, se diluer, devenir un silence lourd.
— Tu vas bien ? a-t-il demandé.
Je ne lui ai pas répondu.
Je le détestais pour sa voix tranquille.
Pour sa façon de poser la question comme si on s’était quittés hier, sans fracas.
Il est entré.
Je n’ai pas reculé.
Dans le salon, il s’est assis.
Comme s’il y avait toujours eu sa place.
Et moi, je suis resté debout, en face.
Comme un condamné qui hésite entre fuir ou tendre la gorge.
— Tu crois que j’ai pas souffert, moi aussi ? a-t-il lancé.
Et là, j’ai senti mes jambes trembler.
Parce que c’était lui qui parlait.
Et moi qui me taisais.
C’est lui qui avait détruit.
Et moi qui culpabilisais d’y avoir survécu.
— Je t’ai aimé, Ariel. Trop mal, peut-être. Mais pas moins que toi.
Je me suis assis.
Je n’en pouvais plus.
Mon corps lâchait.
Mon cœur aussi.
— Tu m’as brisé, Nathan. Et t’as même pas dit pardon.
Il m’a regardé. Longtemps.
— Je sais.
Pas d’excuse.
Pas de justification.
Juste cette phrase.
Et, merde, pourquoi ça sonnait comme un aveu plus fort qu’un pardon ?
Je me suis levé pour lui dire de partir.
Mais mes jambes ne m’ont pas écouté.
Alors j’ai baissé les yeux.
Et il s’est approché.
Tout près.
Sa main a frôlé mon poignet.
Un frisson m’a traversé.
Involontaire.
Injuste.
Mais réel.
— T’es revenu pour quoi ? ai-je murmuré.
— Pour te revoir.
Pour voir si je t’avais vraiment perdu.
Il m’a regardé comme la première fois.
Pas comme un salaud qui revient.
Mais comme un manque qui ne sait pas guérir.
Et j’ai senti ma colère fondre sous cette brûlure familière.
Pas disparaître. Juste… se taire.
Comme on baisse les armes, à bout de souffle.
J’aurais voulu le gifler.
J’aurais voulu lui hurler que je méritais mieux.
Mais j’ai fermé les yeux.
Et j’ai laissé sa main rester là, sur la mienne.
Elle ne m’enfermait pas.
Mais elle me rappelait tout ce que j’avais laissé derrière, en espérant que ça revienne.
Je savais que c’était mal.
Je savais surtout que j’étais encore à lui.
Pas parce qu’il me tenait.
Mais parce que je ne savais pas encore comment me reprendre.
Même après tout.
Même après ça.
Annotations