Le retour

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Ce récit a été écrit pour « À chacun son histoire », autrefois sur Doctissimo et maintenant sur le site recit.slygame.fr. Il faut s'inspirer d'une photo pour écrire un texte, celui-ci est d'abord publié anonymement.

Je n’étais jamais revenu dans le village où j’étais né depuis que nous l’avions quitté lorsque j’étais adolescent, mon père ayant reçu une nouvelle affectation à l’autre bout du pays.

La grand-rue n’avait pas changé, toujours aussi pittoresque avec ses portes repeintes chaque année. Les habitants recevaient une subvention pour l’entretien et le jardinier municipal arrosait les fleurs.

La seule différence était le manque de touristes, pandémie oblige. À cette heure de la matinée, les premiers cars auraient dû débarquer leur cargaison. La plupart des boutiques de souvenirs « Made in China » pour les touristes chinois, à l’entrée du village, étaient fermées. Ils pouvaient les acheter directement chez eux, cela réduisait l’empreinte carbone des transports.

La seule personne que je vis était justement le jardinier municipal, ce n’était plus le vieil Anselme qui devait avoir pris sa retraite, c’était un jeune homme, un bel Apollon, torse nu, bronzé et musclé, en shorts avec le sigle de la commune brodé, une casquette et un masque assortis. Il portait des lunettes à soleil.

— Bonjour, lui dis-je, ces fleurs sont magnifiques, bravo.

— Bonjour, me répondit-il, ouais, mais personne pour les admirer.

— Je suis là. Cela fait au moins une personne.

— Toi, ça compte pas, tu ne vas rien dépenser.

— Euh… On se connaît ?

Le jardinier enleva ses lunettes et son masque.

— Romain ? dis-je, ça alors, je ne t’avais pas reconnu.

— Je t’ai tout de suite reconnu. Bon, je savais que tu viendrais.

— Tu savais ? Comment ?

— Ta page Facebook. Tu racontes tout.

— C’est pour ma mémé, elle aime bien me suivre.

— Viens, on va fêter ça, le retour de l’enfant prodigue.

Romain remit son masque et ses lunettes, nous nous dirigeâmes vers sa maison, il habitait dans la grand-rue.

— Tu est toujours chez tes parents ? demandai-je.

— Ce n’est pas avec ce que le maire du parti que tu sais donne à ses employés que je peux me payer un appart’. Je ne suis pas un informaticien, moi.

— Je viens de finir mes études, je logeais dans une chambre de bonne, dis-je en riant.

— Tu seras bien payé au nouveau Technoparc de La Forêt.

— Tu sais tout, décidément.

— Je ne vois pas pour quelle autre raison tu serais revenu dans ce bled.

Il y avait pourtant une autre raison. Nous entrâmes dans sa maison, elle n’avait pas changé depuis qu’il m’avait invité lorsque j’étais adolescent.

— Je suis seul pendant la journée, dit-il, mes parents travaillent les deux chez Amazon, ils ont dû fermer leur boutique. Tu peux enlever ton masque, tu veux voir mon pass ?

— Je te fais confiance.

Romain appela son chef pour lui dire qu’il avait un imprévu et qu’il prenait un jour de congé. Il sortit une bouteille du frigo.

— Crémant d’Alsace, fit-il, je la gardais pour fêter un évènement important.

Il la déboucha et remplit deux flûtes. Nous trinquâmes et nous assîmes à la table de la cuisine. Romain ouvrit un paquet de chips.

— Je suis ému de me retrouver ici après tant d’années, dis-je. Suis-tu les pages Facebook de tous les anciens habitants du village ?

— Non, j’ai eu comme un pressentiment, que tu allais bientôt revenir. Tu aurais pourtant pu trouver du travail n’importe où ailleurs. Pourquoi es-tu là ?

Mon cœur battait très fort, je n’osais pas lui avouer la véritable raison.

— La nostalgie du soleil méditerranéen, de la douceur de vivre. Le nord est gris et pluvieux.

— On dirait le site de l’office du tourisme. Dis-moi la vérité.

— Je…

— Tu es revenu à cause de moi ?

— Oui.

— À cause des découvertes que nous avons faites ensemble ?

— Désolé, tu dois me trouver ridicule, excuse-moi. Tu as certainement oublié tout ceci, tu as une copine.

Romain sourit, un sourire aussi énigmatique que celui de la Joconde.

— Tu vas loger où ? Tu as déjà une piaule ?

— Non, je venais justement pour en chercher une en attendant de trouver autre chose.

— Ça tombe bien, mon grand frère s’est marié, sa chambre est vide. On voulait la louer sur Airbnb, mais personne ne s’y intéresse. On n’est pas dans le grand monde ici, mais tu es le bienvenu, fais comme chez toi.

— Merci de l’accueil. J’aimerais quand même mettre les choses au point. Elle me coûtera combien la chambre ?

— T’inquiète, on discutera avec mes parents, on ne va pas t’arnaquer.

— Je pourrais prendre le petit déjeuner et le dîner avec vous ?

— Bien sûr, et tu pourras même baiser avec moi, sans supplément. Je t’attendais, Bastien, depuis des années.

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