Alma resta paralysée.
La main dans le miroir ne bougeait plus. Figée contre le verre, comme une empreinte glacée, elle semblait attendre. Attendre quoi ? Qu’Alma la touche ? Qu’elle cède ?
Son instinct lui criait de fuir. Mais une autre voix, plus profonde, plus ancienne, chuchotait au creux de son esprit :
— Tu veux savoir, non ? Tu veux comprendre qui tu es vraiment…

Une étrange chaleur l’envahit. Elle s’approcha à nouveau du miroir, lentement. Son souffle se formait en buée contre la glace, mais cette dernière restait froide, comme morte.

La silhouette de l'autre Alma — celle aux yeux tristes et au sourire brisé — refit surface. Elle ne parlait pas, mais ses lèvres bougeaient.

“Aide-moi.”

Puis, sans prévenir, des images surgirent.

Pas dans le miroir.

Dans l’esprit d’Alma.

Un feu…
Un cri…
Une chambre d’enfant…
Un miroir brisé…
Et un nom qu’elle ne reconnaissait pas : Éliane.

Alma tomba à genoux. Ses tempes la brûlaient. Elle ne savait plus si elle rêvait ou si le miroir lui injectait des souvenirs qui n’étaient pas les siens.

— C’est quoi ça… ? murmura-t-elle, les larmes aux yeux.

Puis la voix revint. Pas un murmure cette fois. Un souffle.

— Tu es la dernière. Et tu es en retard…

La porte derrière elle s’ouvrit brutalement. Quelqu’un venait d’entrer.

Elle se retourna d’un coup, la gorge nouée.

Une vieille femme. Silencieuse. Debout dans l’ombre.

— Tu as ouvert la glace, dit-elle d’une voix rauque.
— Quoi ? Qui êtes-vous ?
— Celle qui a veillé. Mais tu as mis fin à la veille. Et maintenant, tout recommence…

Elle s’avança. Alma recula, mais la vieille femme leva simplement la main et posa deux doigts contre le miroir.

La surface vibra… et la silhouette prisonnière disparut.

— Ce miroir, poursuivit-elle, garde ce qui ne doit pas sortir. Tu n’aurais jamais dû le toucher.
— Qui était cette fille ? Qui… qu’est-ce que j’ai vu ?!

La vieille femme soupira, puis regarda Alma avec une tristesse infinie.

— C’était toi. Une version de toi qui n’a pas eu ta chance. Une version restée coincée dans ce miroir depuis bien plus longtemps que tu ne peux l’imaginer…

Alma sentit sa gorge se serrer.

— Mais… pourquoi ?

La vieille femme se détourna.

— Parce qu’un jour, tu as fait un choix. Et ce miroir… garde la trace de ce que tu aurais pu devenir.

Un long silence s’installa. Puis elle ajouta, en s’éloignant :

— Reviens demain à minuit. Tu veux la vérité ? Tu la trouveras… de l’autre côté.

Et elle disparut.

Ne restait plus qu’Alma. Et son propre reflet, revenu. Mais désormais, ses yeux… n’étaient plus exactement les mêmes.