Tout était… gris.

Pas un gris ordinaire. Un gris qui avalait les couleurs. Un monde sans ciel, sans vent, sans lumière. Alma sentit ses pieds toucher un sol froid et humide, comme de la pierre lisse. Le miroir avait disparu derrière elle.

Elle était seule.

Ou presque.

Devant elle s’élevait une version déformée du village : les maisons penchaient comme si elles souffraient, les fenêtres la fixaient comme des orbites vides. Tout semblait vivant, mais malade.

Et dans ce monde... il faisait nuit en plein jour.

Alma avança. Elle reconnut des endroits familiers : l’école, la boulangerie, la place centrale. Mais tout était abandonné. Brisé. Pourri. Les arbres étaient tordus, le sol couvert d’ombres rampantes qui murmuraient des mots incompréhensibles.

Puis elle la vit.

L’autre elle.

Assise sur un banc, les cheveux longs, emmêlés. Le regard vide. Les bras entourant ses genoux. Elle semblait plus jeune… ou plus vieille. Comme si le temps ne fonctionnait pas ici.

— C’est toi, dit Alma.

La fille tourna lentement la tête. Son visage était le sien, mais marqué, fatigué, abîmé.

— Non, répondit-elle. Toi, tu es celle qui a eu une vie.

Un long silence.

— Qu’est-ce que cet endroit ? demanda Alma.

— Le Revers. Le monde où tout ce qui a été oublié reste enfermé. Je suis restée ici quand toi, tu es née là-bas.

— Mais pourquoi… ? Pourquoi moi ?

La fille leva les yeux. Et Alma sentit, pour la première fois, ce qu’elle avait ressenti, elle, enfermée ici pendant des années. Le silence. La solitude. La douleur de voir une vie se dérouler sans elle.

— Tu crois que je voulais voler ta place ? demanda la fille. Non… Je voulais juste exister.

Alma recula. Mais une main surgit du sol, puis une autre. Des ombres humanoïdes, sans visage, s’élevaient lentement. Elles chuchotaient :
— Prends-la… Prends sa vie… Tu la mérites…

La fille se leva. Un éclair de rage passa dans son regard.

— Tu ne comprends pas ? Je ne veux pas voler ta vie. Je veux qu’on me rende la mienne.

Puis elle marcha vers Alma, la main tendue.

— Échangeons. Juste une minute. Laisse-moi sentir… la lumière.

Alma recula encore. Mais soudain, elle entendit quelque chose…
Une voix. Loin derrière elle.

C’était la Gardienne.
— Reviens, Alma ! Le miroir se referme !

Le cœur d’Alma battait à toute vitesse. Si elle hésitait… elle resterait coincée ici pour toujours. Mais en face d’elle… son double ne pleurait plus. Elle souriait.

Et ce sourire… n’avait plus rien d’humain.

Alma courut.

Les ombres hurlèrent.

Le monde trembla.

Elle sauta dans le vide… droit dans le miroir qui s’effondrait.

Et au moment de traverser…
Elle sentit une main l’attraper par la cheville.