Chapitre 2

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17 janvier 10h

Jean-Luc Martin aperçut avec soulagement le halo bleu d’un gyrophare se refléter sur les arbres autour de lui. Son calvaire touchait à sa fin. Toutefois, se redressant et quittant son abri précaire, il constata que le véhicule en approche semblait avoir arrêté sa progression. Il se souvint des troncs couchés qu’il avait contourné en grimpant sur les talus.

Il vit venir vers lui deux pompiers, jeunes, costauds et souriant malgré le temps. Sa chienne leur fit la fête dès qu’ils l’eurent salué et il la gronda pour qu’elle s’apaise.

— Le corps est où ? demanda l’un d’eux, lorsque l’animal se calma enfin.

Du doigt, le retraité désigna la direction de la parcelle concernée.

L’autre pompier lui tendit une couverture de survie pour qu’il soit finalement au sec. Martin, une fois protégé, proposa de les accompagner sur les lieux.

Ils progressèrent, enjambant les arbres et les branches. La couverture dorée se déchira en plusieurs endroits, mais continua plus ou moins à jouer son rôle d’imperméable. Ils arrivèrent en vue du tronc et, à quelques mètres, Martin leur désigna la manche orange qui dépassait dessous.

— Je reste là, mon chien devient fou dès que je me rapproche, les prévint-il.

— Ok, on y va nous. Vous n’aurez qu’à guider les gendarmes quand ils seront là.

— D’accord, fit le retraité retournant se mettre un peu à l’abri alors que la pluie redoublait d’intensité.

Les deux sapeurs-pompiers progressèrent prudemment, sans doute pour évaluer les possibilités d’évacuer le blessé ou le défunt. Ils se placèrent chacun d’un côté du fût couché et cherchèrent les constantes de la victime.

D’un échange de regards au-dessus du tronc, ils se confirmèrent mutuellement le décès de celle-ci.

Sans beaucoup d’illusions, ils essayèrent de soulever la pièce de bois qui écrasait le corps. Elle ne bougea pas d’un centimètre.

Le retraité les voyait faire à quelques mètres de lui, se demandant bien ce qu’ils espéraient. Malgré la couverture de survie, il commençait à frissonner. L’eau glacée avait pénétré sous ses habits et peinait à se réchauffer au contact de sa peau. Des tremblements le gagnèrent et il se mit à claquer des dents.

D’autres lumières bleues apparurent : les gendarmes étaient là. Les deux véhicules étaient arrivés presque simultanément. Tous étaient bloqués par des arbres en travers du chemin. Angélique pesta. Le temps ne s’arrangeait pas et ils allaient être loin des lieux de l’accident. En effet, pour elle, au vu de ce qu’on lui avait dit au bout du fil, il ne pouvait s’agit que de cela : un accident. Continuant à fulminer, elle sortit du véhicule et se dirigea vers celui de ses collègues. Elle salua la plus gradée des gendarmes plougastels :

— Tiens, bonjour Laure, comment vas-tu depuis la dernière fois ?

Quelques mois auparavant, elles s’étaient retrouvées, par hasard, toutes les deux sur un accident routier sur la nationale 165 entre Loperhet et Plougastel-Daoulas. Un motard qui s’était jeté contre la glissière de sécurité en voulant éviter une voiture faisant un écart. Elles n’étaient de service ni l’une ni l’autre, mais avaient pris les choses en main. Le Gall était une maréchale des logis-cheffe très professionnelle mais qui avait l’estomac sensible. Une fracture ouverte de la jambe du blessé l’avait fait vomir dans le bas-côté.

— Bonjour Angélique. J’aurais préféré te revoir dans d’autres circonstances et avec une autre météo.

Elles se serrèrent la main, une poignée franche et solide. Angélique était heureuse d’avoir à faire à une collègue féminine. La mixité progressait dans la gendarmerie, mais il y avait encore du chemin à parcourir. C’était vraiment un coup de chance que les deux responsables de Landerneau et Plougastel soient des femmes.

Elles ne pouvaient pourtant pas être plus différentes toutes les deux. Autant Angélique était grande et costaude, blonde, cheveux longs, un mètre 90, autant Le Gall était une petite brune d’à peine un mètre 60 avec une brosse courte. Sans attendre, l’adjudante s’adressa à ses troupes :

— Clélia, Arnaud, foncez sur place pour les constatations. Dépêchez-vous avant que la pluie n’efface tout.

— On y va, Angélique. Allez, viens, Arnaud, magne-toi un peu ! surenchérit sa collègue.

— Ça va, ça va, on n’est pas aux pièces, grommela Jaouen, profitant des derniers instants au chaud et à l’abri dans leur pick-up.

Il se décida à sortir et se rendre à l’arrière du véhicule pour y saisir l’une des valises destinées aux prélèvements. Glissant sur une branche, il termina les fesses dans la boue, sous l’hilarité des gendarmes présents.

— Bon, quand tu auras fini d’amuser la galerie, tu te mettras au boulot, Arnaud, hein ? fit Angélique, masquant son sourire. Le Gall, tu fais boucler le périmètre par les tiens ?

Cet instant l’avait aidé à chasser ses ruminations à se trouver dehors avec un temps pareil, pour un simple accident.

— Pas de souci, c’est comme si c’était fait, répondit sa collègue de Plougastel. Allez, vous deux, faites-moi un pourtour large avec du balisage.

Les deux TCIP, équipés de leur matériel, arrivèrent sur la parcelle.

— Oh putain, quel merdier ! s’exclama Jaouen.

— Comme tu dis, oui, surenchérit sa collègue.

Il pleuvait dru, le terrain tendait à se transformer en une grande flaque de boue d’où sortaient en de multiples endroits des branches dressées et des troncs couchés, dont certains avaient commencé à être débités.

— Arnaud, prends l’appareil photo et fais des clichés de toutes les traces que tu peux encore apercevoir avant qu’elles disparaissent sous l’eau, ordonna Le Quellec. Je vais me rapprocher du corps et voir ce que je peux faire comme prélèvements.

Il s’agissait de figer la scène. Cette procédure était mise en œuvre dans tous les cas. Lors d’un accident, cela s’avérait utile pour déterminer les causes afin que les différentes assurances s’arrangent entre elles. Les constatations et prélèvements effectués pouvaient également jouer pour définir des éventuelles responsabilités pénales. S’il s’agissait d’un meurtre, une scène bien figée révélait souvent des indices précieux sur le ou les coupables.

Jaouen s’exécuta, partant de l’extérieur vers le corps, pour éviter de polluer les traces avec les siennes. Malheureusement, il observa assez vite que les pompiers et le témoin n’avaient pas pris autant de précautions que lui : le pourtour du tronc avait été piétiné en tous sens.

« Il faudra penser à relever les empreintes des semelles de ces trois-là », songea-t-il.

Angélique, accompagnée de sa collègue Le Gall, arriva à l’entrée de la parcelle sous une pluie battante. Elles restèrent sur la bordure, pour ne pas perturber ou polluer le travail de prélèvement des deux techniciens. Elles constatèrent ce que les deux TCIP avaient vu en approchant : un enchevêtrement de troncs et de branches avec une forme orange en dessous.

— Eh ben, ça ne va pas être simple… soupira Angélique.

— Non, en effet, admit l’autre gendarme.

— Vous n’auriez pas un moyen de couvrir le corps, à Plougastel ? se renseigna la première.

— Une tente ou un truc du genre ?

Le Gall réfléchit quelques instants puis sembla se rappeler quelque chose :

— Si, on doit avoir ça. Je vais les solliciter pour qu’on nous amène ça.

— Oui, parce qu’on va devoir protéger le cadavre maintenant. On ne va pas réussir à le dégager de là avant un bon moment.

Angélique soupira encore. Quand elle avait souhaité de l’action, elle ne l’avait pas envisagée comme cela.

— Il faudrait dégoter des engins de levage et de tronçonnage pour accéder ici, suggéra Le Gall.

— Tu as raison, je vais appeler la brigade qu’ils me trouvent des renforts, surtout en matériel, approuva Angélique.

Elles s’éloignèrent pour solliciter leur hiérarchie respective sur leurs portables.

Angélique tomba sur Morvan, à peine revenu de sa réunion, mais déjà au courant :

— Alors, ça se présente comment Angélique ? lui demanda son chef de brigade.

— C’est un gros merdier. On ne peut pas approcher à plus de 50 mètres, il y a des branches et des troncs dans tous les sens. On va avoir besoin de moyens de levage et de tronçonnage. En plus, il pleut comme vache qui pisse. Plougastel va faire venir une tente pour protéger le corps, le temps qu’on puisse enlever le fût qui l’écrase.

— Tu as été sur place ? Un accident d’après toi ?

— Non, je ne suis pas encore allée vraiment sur les lieux même. J’ai laissé les TCIP opérer. Il y a déjà eu assez de piétinements partout. Je t’en dirai plus quand ils auront fini, mais pour moi, cela ressemble à un bûcheron du dimanche qui s’est pris l’arbre qu’il était en train de couper.

— J’ai informé le procureur de Brest. Il veut qu’on boucle vite cette affaire pour nous remettre sur les drogues de synthèse. Il pense que ce serait judicieux d’envoyer le médecin légiste directement sut place, tu en penses quoi ?

Il demandait régulièrement l’avis de ses subalternes qu’il considérait plus comme des collaborateurs.

— Oui, c’est une bonne idée. Je te préviendrais quand on sera prêts à dégager le corps.

— Au moins l’affaire sera vite bouclée. Je m’occupe de te trouver des moyens logistiques pour sortir le corps de là.

— Merci, Paul.

Effectivement, cela devrait se régler rapidement. Un type un peu con qui se fait tomber un tronc sur lui, on n’allait pas y passer la journée, quand même !

Puis, se rappelant de qui avait donné l’alerte, elle se dit qu’en attendant de pouvoir sortir la victime, elle allait interroger le témoin. Celui-ci patientait, visiblement frigorifié. Son chien commençait à éternuer, lui aussi avait dû prendre froid.

— Vous venez avec moi dans le véhicule, monsieur ? Je vais prendre votre déposition, fit Angélique en s’approchant de lui. En plus, vous allez pouvoir être vraiment à l’abri.

Le ciel s’était assombri et l’éclairage bleu des gyrophares conférait une impression de film post-apocalyptique.

Pas fâché d’être enfin au sec, Jean-Luc Martin s’assit à l’arrière du pick-up de gendarmerie, son animal trempé à ses pieds. Il roula en boule la fine couverture dorée, déchirée à plusieurs endroits et inutile maintenant. Rassemblant ses esprits, il répéta à Angélique ce qu’il avait déjà dit durant son appel au 17, puis aux pompiers lors de leur arrivée. Elle comprit très vite qu’il avait été un peu traumatisé par sa découverte macabre. Elle ne savait pas s’il était amateur de polar, mais elle avait souvent constaté ce type de sidération chez les témoins. Ce n’était pas pareil que dans les romans, là, c’était la vraie vie. Visiblement, il n’aspirait qu’à quitter les lieux et aller prendre une douche brûlante pour se réchauffer et à retrouver son existence « normale ».

Avisant Le Gall, qui avait sollicité Plougastel pour la tente et qui venait lui rendre compte, elle lui demanda :

— Tu peux reconduire ce monsieur chez lui, s’il te plait ? J’ai ses coordonnées si besoin.

— Bien sûr, pas de problème. Vous venez avec moi, Monsieur ?

Jean-Luc Martin, accompagné de son chien trempé, suivit la petite brune jusqu’au véhicule de Plougastel et monta à l’arrière. Il s’excusa par avance des dégâts que son animal mouillé pourrait causer. Les gendarmes, prévenants, le rassurèrent puis le Kangoo se mit en route vers le bourg de Dirinon, laissant Angélique seule avec les pompiers qui étaient à l’abri dans leur VSAV[1] inutile pour l’instant.

Une fois le témoin parti, Angélique se décida à aller sur la scène du drame. Ses techniciens avaient quasiment terminé. Elle se dirigea vers eux. Clélia Le Quellec la vit arriver et la rejoignit, puis semblant se raviser après un dernier coup d'œil circulaire, elle se retourna vers son collègue et lui demanda :

— Attends, juste un dernier truc, il y a une trace grisâtre sur la coupe au niveau de la souche, tu peux faire un prélèvement, Arnaud ? Je vais expliquer la situation à Angélique, pendant ce temps-là.

— Alors ? lui demanda celle-ci.

— Ça ne va pas être facile d’identifier des empreintes. Tout a été piétiné par les pompiers et le témoin, sans parler de la pluie qui tombe sans arrêt. Et puis, le type est bien enfoncé sous cet arbre. On dirait bien un bête accident de bûcheronnage.

Toutes les deux s’approchèrent du fût couché sous lequel gisait le corps vêtu d’orange. Elles se penchèrent sur la victime.

— On ne voit pas grand-chose, en fait, constata Le Quellec.

— Non, effectivement, il est à moitié dans la boue et le tronc doit peser son poids, le pauvre gars a été bien écrasé.

— On va avoir besoin d’une grue, non ? s’inquiéta Clélia.

— Peut-être qu’avec deux tracteurs et leurs bras, ils pourraient y arriver… Mais encore faudrait-il qu’ils puissent accéder jusqu’ici.

— Et cette foutue pluie qui ne s’arrête pas, grommela la TCIP, alors que les deux gendarmes se redressaient et s’éloignaient du cadavre.

Angélique sourit intérieurement. Même Clélia, vraie Bretonne de souche, ne supportait pas cette rincée continue.

— On va bientôt patauger dans la boue, surenchérit Angélique.

— C’est déjà le cas, regarde comme ça devient liquide autour de nous.

— Vous avez pu prélever ce que vous vouliez ? s’enquît sa supérieure glissant dans l'eau et se rattrapant sur l’épaule de sa collègue.

Il n’aurait plus manqué qu’elle aussi se retrouve les fesses dans la boue, comme Jaouen dont elle avait ri un peu plus tôt.

— On a fait ce qu’on a pu dans les conditions qu’on avait. Je ne suis pas certaine que tout ce qu’on a recueilli servira à quelque chose, mais on a pris tout ce qu’on pouvait, même du mélange eau-boue-sang dans lequel le corps baigne.

— Merci, Clélia.

Angélique savait que tout avait été fait au mieux avec elle. Si quelque chose pouvait être utile à l’enquête, il aurait forcément été vu par Clélia Le Quellec.

— J’espère que la tente de Plougastel va arriver vite, sinon, le cadavre va finir par se dissoudre, ajouta-t-elle.

— Aucune chance qu’un corps se dissolve, Angélique.

— Je plaisantais, Clélia, c’était une blague… Seule la peau se décolle à force de rester dans l’eau.

Consciencieuse, appliquée et compétente, mais pas doté d’un grand sens de l’humour, la maréchale des logis-chef.

N’ayant rien de mieux à faire, elles se décidèrent à rejoindre Jaouen dans leur véhicule pour se mettre à l’abri, comme l’avaient fait les pompiers dans le leur. Ces derniers étaient totalement inutiles tant que le corps ne serait pas accessible.

Au bout de quelques minutes de conversation assez banale avec Clélia, Angélique reçut un autre appel de son capitaine :

— Alors, du nouveau ? Tu as pu aller sur place ? Tu as un premier avis sur la scène ?

— Oui, les TCIP ont terminé. Ils ont pris tout ce qu’ils ont pu, mais avec cette eau omniprésente, ça ne va pas être simple. Je te confirme ce que je t’ai dit : cela ressemble bien à un accident bête. Le type se serait reçu l’arbre qu’il coupait.

— Ok, ça devrait donc être assez facile à régler. Tiens-moi au courant que je sache quand t’envoyer le légiste

— Pour le moment, on n’a aucune visibilité de quand on pourra lever le tronc qui écrase le cadavre, lui répondit-elle.

Sans cela, le pauvre toubib ne servirait pas à grand-chose.

— Justement, j’ai du nouveau : des agriculteurs qui ne sont pas loin vont venir vous donner un coup de main pour débloquer l’accès et aussi pour soulever l’arbre. Je vais appeler l’institut médico-légal de Landerneau qu’un des leurs se tienne prêt. Tiens moi au courant de l’avancement des opérations.

— Bien sûr !

— Vous n’êtes pas trop trempés ?

Voilà pourquoi elle appréciait Morvan : c’était un bon chef qui s’inquiétait des conditions de travail de ses collaborateurs.

— On s’est mis au sec dans les voitures et on patiente pour le moment. Il n’y a rien de plus à faire. Je vais renvoyer les TCIP à la brigade avec le pick-up qu’ils commencent leurs analyses.

— Essaye de te trouver à l’abri quand même !

— T’en fais pas, j’irai dans le VSAV.

— Tu pourras même y faire une sieste sur le brancard, plaisanta Morvan.

Un instant, Angélique oublia la pluie et mêla son hilarité à celle de son capitaine.

— Excellente idée.

— Tu penses bien à me prévenir quand je devrai t’envoyer le médecin légiste ?

— Pas de souci !

Elle expédia donc ses deux techniciens à Landerneau. Ceux-ci n’étaient pas fâchés de pouvoir aller se mettre au sec à la brigade.

À cet instant, le Kangoo de Plougastel déboucha dans le chemin. Angélique les rejoignit dans leur fourgonnette. Auparavant, elle passa rapidement informer les pompiers de la situation. Ils demeurèrent ainsi, tous confinés dans leurs véhicules jusqu’à ce qu’ils entendent enfin les moteurs des engins agricoles en approche.

[1] VSAV : Véhicule de Secours Aux Victimes, ambulance équipée pour porter les premiers soins aux victimes, y compris pratiquer les techniques de réanimation.

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