Chapitre 4

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17 janvier 12 h 30

D’un coup, il se pencha vers le thorax du cadavre, puis plongea sa main dans une des poches de sa blouse trempée et y trouva une pince aux extrémités effilées. Il enfonça celle-ci de quelques centimètres dans la poitrine béante et la ressortit avec un air de triomphe.

— Ceci n’est pas un accident, adjudant, nous en avons ici la preuve !

Les deux sous-officiers n’en revenaient pas. Comment pouvait-il être aussi affirmatif ?

Comme s’il avait deviné leurs questions silencieuses, il les appela :

— Venez voir toutes les deux, vous allez vite comprendre.

Il s’accroupit à nouveau au niveau du thorax de la victime.

— Vous visualisez l’orifice créé par la branche au niveau de la cinquième côte sur le côté droit ?

Difficile de ne pas le remarquer la plaie, d’un diamètre entre cinq et dix centimètres, était béante et remplie de débris végétaux.

Elles hochèrent la tête en cœur.

— Regardez maintenant, au niveau de la troisième côte, donc au-dessus, de l’autre côté. Vous voyez cette espèce d’autre orifice ?

En fait, la poitrine du pauvre gars était une espèce de bouillie informe, mais guidée par les conseils du médecin légiste, elles comprirent de quoi il voulait parler.

— Eh bien, de cet endroit, on observe clairement des plombs. De plus, je parierai mes bottes que le gris, c’est de la poudre. Je pense que le type a été tué à bout touchant et que l’arbre est venu bien après. L’autopsie confirmera tout ça.

— Mince alors ! ne put s’empêcher de jurer Angélique.

Elle qui s’imaginait que cette affaire allait être rapidement résolue. Un meurtre maintenant… Il fallait qu’elle prévienne Morvan et vite. La reprise de l’enquête sur les drogues synthétiques dans le Haut-Léon allait devoir attendre un peu.

— Bon, tu as bien fait de prendre les TCIP avec toi, finalement, Angélique, fit son capitaine une fois qu’elle l’eût informé.

Une fois de plus, cela démontrait l’utilité de suivre la procédure à la lettre, quelles que soient les circonstances d’un décès. Ainsi prouvait-elle à son chef, à nouveau, sa conscience professionnelle et son sérieux.

Durant la conversation entre Angélique et son chef, le légiste poursuivait ses constatations :

— Je dirais même que nous avons affaire à de la grenaille, type n° 8 ou n° 7. Pour que le coup soit mortel avec ce type de plomb, il faut être très près. On verra lors de l’autopsie quel est exactement le diamètre des projectiles. Il est même possible que la composition chimique des impuretés du métal puisse nous indiquer la marque des cartouches.

Constatations qu’elle apporta en direct à son chef. Celui-ci fulminait : il n’avait qu’une hâte, c’était remettre sa brigade au complet sur cette affaire de drogues de synthèse et voilà qu’on leur refilait un accident qui se transformait en meurtre. Probablement une bête histoire entre chasseurs. Cela tombait mal.

— Mademoiselle, enfin Madame, euh… Adjudant, venez voir, il semble que la victime avait ses papiers sur elle, enfin sur lui. Bon honnêtement, vu ce qu’il doit rester de ses bijoux de famille, on s’en fiche un peu, non ?

L’humour des carabins…

Angélique s’approcha, toujours en ligne avec Morvan, et se saisit du portefeuille tendu par le médecin. Celui-ci avait enfilé des gants en latex dès le début, tout comme elle. L’objet s’ouvrit dans ses mains et elle y trouva tout de suite la carte professionnelle d’un constructeur naval militaire.

— La victime s’appelait Alain Guillou et travaillait chez Naval Group, Paul.

La réaction au bout du fil fut immédiate :

— Naval Group ? Mince, ça sent les emmerdes à plein nez.

— À ce point-là ? lui demanda-t-elle.

— Je te fiche mon billet qu’on va avoir la DGSI sur le dos, tu verras.

— Au moins, on sera dessaisis et on pourra retourner à nos affaires de drogue, non ?

— Si seulement…

En attendant, il fallait informer la famille du décès d’Alain Guillou. Angélique proposa à Morvan de s’en charger, vu qu’elle était sur place, ce qu’il accepta facilement. Il avait lui-même horreur de ce type d’annonce. L’adresse était notée sur la carte d’identité de la victime.

— Tu pourrais me conduire dans le bourg, Laura, demanda-t-elle à sa collègue de Plougastel.

— Je vais faire mieux que ça, Angélique, on va y aller toutes les deux. Je sais que ce genre de démarche n’est pas souvent une partie de plaisir.

Se ravisant, Angélique retourna auprès du cadavre que continuait d’examiner le légiste et, d’un geste vif et professionnel, fouilla dans les poches. Elle y trouva un téléphone portable, des clés de voiture et un paquet de mouchoirs en papier entamé. Elle glissa chacun des objets dans les sachets prévus à cet effet et les referma soigneusement avant de les ranger dans une valise à proximité.




Ce furent donc deux femmes gendarmes qui allèrent sonner rue des Mimosas, au numéro 28, un petit pavillon bien entretenu, avec une pelouse rase, des arbustes fraîchement taillés. Il était maintenant près de 13 heures :

— On n’y a pas pensé, mais peut-être bien qu’elle travaille ? s’inquiéta Angélique.

— Maintenant qu’on est là, on verra bien, non ?

Hochant la tête, l’adjudante appuya sur la sonnette.

— Voilà, voilà, j’arrive ! entendirent-elles au travers de la porte.

Une femme, milieu de quarantaine, leur ouvrit. Elle portait un bébé qui tétait un biberon

Madame Guillou avait le haut de la poitrine maculé de vert et d’orange. Sans attendre qu’elles prononcent le moindre mot, celle-ci repartit à l’intérieur en leur disant :

— Entrez, suivez-moi, on est en plein repas des petits. J’y retourne avant qu’ils ne renversent leurs assiettes par terre, ces deux coquins.

Elle n’était pas du tout dans l’état d’esprit de l’annonce qu’elles avaient à lui faire…

Sans mot dire, elles la suivirent et aboutirent dans une cuisine moderne avec une table et deux chaises hautes dans lesquelles trônaient deux bambins de moins de deux ans, hilares. Très concentrés, ils mettaient les mains dans leur écuelle, pour y prendre la purée, sans doute brocolis et potiron, vu la couleur, s’en remplir la bouche puis cracher l’ensemble. De la même façon, ils déchiquetaient des morceaux de jambon, qu’ils collaient soigneusement sur le plateau de leur chaise. Ils s’amusaient comme des petits fous.

Angélique n’avait pas d’enfants et le spectacle devant elle ne lui en prodiguait pas vraiment l’envie.

— Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude, leur dit Maryse Guillou surprenant sa moue effarée. Il y en a quand même une partie qui finit dans leur estomac.

Elle continuait à donner le biberon au bébé qu’elle portait dans les bras et ne paraissait pas gênée par ces projections dans toute la pièce. Les deux gendarmes se regardèrent un instant, se questionnant silencieusement sur la meilleure façon d’annoncer à cette femme qu’elle était désormais veuve.

Elles demeuraient à bonne distance des deux enfants afin d’éviter leurs projectiles.

Semblant soudain réaliser qu’elle avait deux gendarmes dans sa cuisine, Maryse réagit :

— Au fait, je ne vous ai même pas demandé, qu’est-ce qui vous amène chez moi ?

Nouvel échange de regards embarrassés entre Laura et Angélique.

— Je ne pense pas que le moment soit opportun, Madame, lui répondit cette dernière.

— Pourquoi cela, il s’est passé quelque chose de grave ?

L’inquiétude commençait à poindre dans sa voix.

— Il est arrivé quelque chose à ma fille Laurine ?

— Non, non, rassurez-vous, Madame.

— À Alain ?

Le temps d’hésitation d’Angélique lui fit comprendre qu’elle avait visé juste.

Sans réfléchir, elle tendit le nourrisson à Laura qui était la plus proche d’elle, puis, une fois celui-ci en sécurité dans les bras de la gendarme, s’effondra.

Angélique avait pressenti que l’annonce risquait d’être compliquée, mais pas à ce point-là. Elle se retrouvaient toutes les deux, avec une veuve évanouie et trois enfants en bas âge dont s’aspergeant de plus belle avec la purée verte et orange.

Pour arranger le tout, le bébé dans les bras de Laura fit un rot « liquide » régurgitant une partie du lait qu’il venait de boire, sur la poitrine de la gendarme de Plougastel.

L’un des enfants en chaise haute essaya de se lever, obligeant Angélique à intervenir. Elle batailla un peu avec l’espèce de sangle de sécurité et finit, elle aussi, avec un enfant –une fillette – dans les bras.

Le troisième se mit à hurler, réclamant également d’être porté. Laura, après lui avoir nettoyé sommairement le visage, posa le nourrisson dans un transat à proximité et se chargea du jeune enfant qui braillait à gorge déployée. Il se calma aussitôt qu’il fut en contact avec l’uniforme de Laura et commença aussitôt à jouer avec les épaulettes de sa veste de service, pourtant trempée.

Les deux bambins dégageaient une odeur pestilentielle dès qu’ils remuaient dans les bras des gendarmes.

Celui qui était dans les bras d’Angélique avait visiblement encore la bouche pleine quand elle l’avait attrapée et bavait consciencieusement sa purée sur l’épaule de la veste, étalant la pâte avec ses petits doigts.

Laura, qui avait une fille à peine plus âgée que les deux jeunes enfants, prit les choses en main.

— Peux-tu regarder si madame Guillou va bien ? Je vais m’occuper de ces petits monstres, je crois que leurs couches sont pleines.

Angélique acquiesça et, tenant toujours la fillette qui répandait la bouillie régurgitée sur sa veste et maintenant dans ses cheveux, se baissa vers la femme évanouie. Elle respirait. D’une seule main, elle la mit en PLS, afin qu’elle ne risque pas de s’étouffer puis, se redressa et chercha sa collègue.

Celle-ci était partie explorer la maison et avait découvert la salle qui servait aux enfants. Elle avait emporté avec elle le transat dans lequel elle avait déposé le bébé et déjà installé sur une table à langer celui qui était auparavant dans ses bras.

— Tu veux bien le surveiller deux secondes le temps que je trouve le nécessaire pour le changer, Angélique ?

Celle-ci était totalement sidérée. Si elle s’était attendue à cela en allant annoncer un décès… Quand elle raconterait ça à ses collègues, ils allaient bien rire.

— Angélique ?

— Euh oui, pardon, Laura, répondit-elle en se ressaisissant. Au fait, j’ai mis Madame Guillou en PLS. Une fois qu’on en aura terminé avec ces trois gamins, on pourra peut-être appeler un médecin et voir si quelqu’un peut venir aider, cette pauvre femme.

— Oui, je ne suis pas certaine qu’elle puisse gérer ces trois gosses dans son état, surenchérit Laura.

Même dans un « état normal », songea Angélique. Jamais elle n’aurait d’enfants, c’était juré ! Pourquoi les gens font-ils des gosses ?

Laura avait commencé à déshabiller le premier enfant qui semblait trouver cela très drôle. La couche, effectivement pleine d’une bouillie gluante et odoriférante, glissa des mains de la gendarme, chut sur sa jambe gauche puis tomba au sol.

Bah, sur le pied gauche, ça porte bonheur, se dit Angélique, philosophe, souriant intérieurement.

Laura, faisant fi, pour le moment de l’état de son pantalon et de sa chaussure, poursuivit le change de l’enfant après avoir juste ramassé la couche sale. Celui-ci, une fois les fesses à l’air, ne trouva rien de mieux – c’était un garçon – que d’uriner sur la veste de la gendarme.

Angélique dut se retenir de ne pas pouffer. Cela prenait un tour apocalyptique, cette annonce. La fillette, s’étant sans doute lassée d’étaler la purée sur les cheveux, s’attaqua au visage et la gendarme sentit un bout de jambon tenter de s’insinuer dans son oreille.

Dans le même temps, le bébé qui semblait calme dans son transat se rappela à leur bon souvenir avec un nouveau « rot liquide » suivi de braillements suraigus.

— Il faut vraiment qu’on trouve de l’aide rapidement, Laura, suggéra Angélique, débordée.

Se rapprochant de sa collègue, elle glissa dans les traces laissées au sol par la couche et ne maintint son équilibre que grâce à sa musculature. La fillette ne lui avait pas non plus échappé des bras.

Laura venait de terminer avec le change du premier enfant et l’avait déposé sur le tapis matelassé qui couvrait une partie de la pièce.

— On ne les met plus dans des parcs maintenant ? s’étonna Angélique, se souvenant très bien du sien. Elle avait vu plein de photos d’elle, accoudée à la barrière.

— C’est fini, ça, Angélique, aujourd’hui, on privilégie la motricité libre.

— Bon, va falloir le surveiller alors, il va cavaler partout.

— Tu as raison, je vais aller fermer la porte, tant qu’on est là toutes les deux.

Puis, elle se saisit du bébé qui hurlait toujours dans son transat. Celle qui était dans les bras d’Angélique était occupée avec ses cheveux pleins de purée et restait silencieuse si ce n’était quelques babillements.

Le deuxième change fut réalisé en quelques minutes, montrant l’habitude qu’avait Laura dans ce domaine. Sa fille à elle n’était propre que depuis quelques mois, elle n’avait pas encore oublié ces gestes. Elle reposa le bébé dans son transat et celui-ci ne tarda pas à somnoler.

Elle revint vers Angélique qui ne se fit pas prier pour lui confier la fillette. Celle-ci, silencieuse jusqu’alors, commença à hurler, ne voulant pas lâcher la chevelure blonde de la gendarme. Elle refusait catégoriquement de la quitter.

— Bon, je n’ai pas le choix, va falloir que je m’y mette, si je comprends bien ?

— J’en ai bien peur, fit Laura avec un sourire. Tout va bien se passer, je vais te guider, la rassura-t-elle.

Suivant les conseils de sa collègue, elle ne se débrouilla pas si mal, bataillant avec les scratchs de la couche. Elle alla ensuite déposer la fillette avec son copain de jeu, sur le tapis.

— Je peux te laisser seule avec eux, Laura ? Je vais aller voir comment se sent madame Guillou.

— Vas-y, je ne bouge pas. En les surveillant, je vais essayer de nettoyer un peu le sol et mon uniforme aussi.

— Je crois que pour le mien, je verrai ça plus tard, répondit Angélique avec une moue dégoûtée.




Heureuse de quitter un instant la nursery, Angélique se dirigea vers le salon où madame Guillou semblait commencer à émerger, pâle et tremblante. Elle s’agenouilla auprès d’elle.

— Comment vous sentez-vous, Madame ?

— Que m’est-il arrivé et que faites-vous là ? Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Angélique Benslimane et je suis adjudant de gendarmerie à Landerneau, Madame…

— Il est arrivé quelque chose à Alain, c’est bien ça ? se mit-elle à sangloter, retrouvant peu à peu la mémoire.

— Oui, Madame. Mais tout d’abord, est-ce que l’on peut appeler quelqu’un pour vous aider ?

— Oui, Josiane Tanguy.

— Une amie ?

— Oui, c’est la femme de Jean-Michel, avec qui Paul devait aller couper du bois ce matin.

Sans avoir besoin de l’interroger de façon formelle, Angélique récupérait plein d’informations. Elle nota mentalement d’aller questionner ce Jean-Michel Tanguy. Était-il allé bûcheronner avec Alain Guillou ? Une dispute avait-elle éclaté entre les deux hommes ? Et si finalement, cette affaire était simple et se résolvait rapidement ?

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